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Arrêt sur le Cabotage des blés, farines et légumes.
[A. Calvados, C. 2628. — D. P.. VIII, 72.]
 

12 octobre.

 

Le Roi, s'étant fait représenter les Arrêts rendus en son Conseil les 14 février et 31 décembre 1773, 25 avril et 22 juin 1774, portant Règlement pour le transport des grains d'un port du royaume à un autre, S. M, a reconnu que l'Arrêt du 14 février 1773 a eu pour principe de considérer tous les sujets du Royaume comme les membres d'une grande famille qui, se devant un secours mutuel, ont un droit sur les produits de leurs récoltes respectives ; cependant, les dispositions de cet arrêt ne répondent pas assez à ces principes d'union établis entre tous les sujets de S* M.
     L'Arrêt du 14 février 1773 n'avait d'abord permis le commerce des grains d'un port à un autre, que dans ceux où il y a siège d'amirauté ; si l'arrêt du 31 décembre suivant a étendu à quelques ports des généralités de Bretagne, La Rochelle et Poitiers, où il n'y avait point de siège d'amirauté, cette même permission; si celui du 25 avril 1774 a permis le transport des grains dans le port de Cannes en Provence, et celui du 22 juin suivant dans les ports de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure, il reste encore plusieurs ports, où il n'y a point de siège d'amirauté, par lesquels le commerce des grains par mer reste interdit ; s'il est permis de transporter des grains au port de Saint-Jean-de-Luz, il est défendu d'en sortir par ce port pour tous les autres ports du Royaume ; pour les ports de la même province, la quantité de grains qu'il est permis de charger est limitée à cinquante tonneaux. Les formalités rigoureuses auxquelles le transport est assujéti peuvent détourner les sujets de notre royaume de se livrer à ce commerce et faire rester, au préjudice




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des propriétaires, les grains dans les provinces où ils seraient surabondants, pendant que d'autres provinces, qui auraient des besoins, en seraient privés. L'Arrêt du 14 février 1773 rend les capitaines responsables des effets des mauvais temps, et les condamne aux amendes et aux confiscations ordonnées même lorsque les gros temps les auront obligés de jeter leur chargement ou une partie à la mer, et les oblige de faire verser, dans le port pour lequel la cargaison était destinée, la même quantité de grains venant de l'étranger, qui est mentionnée en l'acquit-à-caution.
     Enfin, les amendes qui sont portées à trois mille livres, indépendamment de la confiscation, sont prononcées dans le cas où, au lieu de la sortie, il y aurait un excédant de plus d'un dixième des grains déclarés et, au lieu de la rentrée, un déficit de plus du vingtième : mais dans une longue traversée des ports du Royaume les plus éloignés, il pourrait souvent y avoir des déchets plus considérables sur les grains qui seraient transportés d'une province à une autre.
     Tant d'entraves, la crainte d'encourir des peines aussi sévères que celles de la confiscation de toute la cargaison et des bâtiments, étaient faites pour empêcher les négociants de se livrer à un commerce qui pouvait compromettre aussi considérablement leur fortune, et ne pouvait produire d'autre effet que de laisser subsister, entre les différentes provinces, une disproportion dans les prix des grains que la liberté du commerce la plus entière peut seule faire cesser.
     Ces principes, qui ont déterminé S. M. à rendre à la Déclaration de 1763 toute l'exécution que des lois postérieures avaient affaiblie, lui ont fait penser qu'il fallait également rendre au commerce par mer toute la liberté nécessaire pour maintenir l'équilibre entre les différentes provinces qui peuvent se communiquer par cette voie; que tous les ports du Royaume doivent également participer à la liberté, soit qu'il y ait un siège d'amirauté, soit qu'il n'y en ait pas ; que, dans la même province, les quantités de grains que les armateurs peuvent transporter ne doivent pas être limitées ; que les armateurs ne doivent pas être responsables de l'effet des mauvais temps; et qu'enfin, tant que subsisteront les lois qui défendent encore la sortie à l'étranger, et qne S. M. a déjà annoncé devoir cesser, des circonstances favorables le permettraient, les peines




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doivent être plus proportionnées à la nature de la contravention ; à quoi voulant pourvoir : ...le Roi ...ordonne :

Art. I. La Déclaration du 25 mai 1763 sera exécutée; en conséquence, ordonne S. M. que les grains, graines, grenailles, farines et légumes, pourront circuler de province à province, sans aucun obstacle dans l'intérieur, et sortir librement par mer, de tous les ports du Royaume, pour rentrer dans un autre port, soit de la même province soit d'une autre, en justifiant de la destination et de la rentrée,

II. Tous les négociants ou autres qui voudront transporter des grains par mer seront tenus, outre les formalités d'usage dans les lieux où il y a siège d'amirauté, de faire au bureau des fermes établi à la sortie une déclaration de la quantité de grains qu'ils transporteront, et d'y prendre un acquit-à-caution indicatif de la quantité et qualité desdites denrées, et du lieu de leur destination.

III. Lorsque lesdites denrées rentreront dans le Royaume, l'acquit-à-caution sera déchargé dans la forme prescrite par l'ordonnance des fermes.

IV. Les mauvais temps pouvant obliger les capitaines de relâcher dans d'autres ports du Royaume que ceux pour lesquels ils auraient été destinés, et le prix des grains pouvant leur faire trouver plus d'avantage à les vendre ailleurs qu'au lieu de leur destination, pourront lesdits capitaines transporter les grains chargés sur leurs navires dans tout autre port du Royaume que celui pour lequel ils auraient été destinés, et l'acquit-à-caution qu'ils représenteront sera également déchargé dans tous les ports du Royaume.

V. Lors de la vérification, si, au lieu de la sortie ou de la rentrée, il se trouve sur la quantité de grains, graines, grenailles, farines et légumes, un excédant ou un déficit de plus d'un dixième, les négociants ou autres qui auront fait transporter les grains seront tenus de faire rentrer dans le Royaume le quadruple de la quantité de grains qui excéderont à la sortie ou manqueront à la rentrée sur la quantité mentionnée dans l'acquit-à-caution, et ce, dans le délai qui sera prescrit par l'intendant ou son subdélégué, sous peine de 1.000 livres d'amende.

VI. Les peines portées par l'article précédent ne seront point encourues par les capitaines qui auront fait, soit au lieu du débarquement, soit en d'autres amirautés, des déclarations que le jet à la mer de leur chargement ou de partie d'icelui, a été forcé par le gros temps; et seront lesdits capitaines, en vertu desdites déclarations certifiées comme il est d'usage, déchargés de l'acquit-à-caution qu'ils auront pris.

VII. Toutes les contraventions au présent arrêt, relatives au transport par mer des blés, farines et légumes, d'un port à un autre du




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Royaume, seront portées devant les Srs Intendants... pour les juger en première instance, sauf l'appel au Conseil.

 
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