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ARREST
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EXTRAIT DES REGISTRES DU CONSEIL D’ÉTAT. |
E ROI s’étant fait rendre
compte du prix des grains dans les différentes parties de son
royaume, des loix rendues successivement sur le commerce de cette denrée, & des
mesures qui ont été prises pour assurer la subsistance
des peuples & prévenir la cherté; Sa Majesté a
reconnu que ces mesures n’ont point eu le succès qu’on
s’en étoit promis.
Persuadée que
rien ne mérite de sa part une attention plus prompte, Elle a ordonné que
cette matière fût de nouveau discutée afin de ne
se décider qu’après l’examen le plus mûr & le
plus réfléchi.
Elle a vu avec la plus grande satisfaction, que les plans les plus propres
rendre la subsistance de ses peuples moins dépendante des vicissitudes
des saisons, se réduisent à observer l’exacte justice, à maintenir
les droits de la propriété, & la liberté légitime
de ses sujets.
En conséquence,
Elle s’est résolue à rendre au commerce des
grains, dans l’intérieur de son royaume, la liberté qu’Elle
regarde comme l’unique moyen de prévenir, autant qu’il
est possible, les inégalités excessives dans les prix, & d‘empêcher
que rien n’altère le prix juste & naturel que doivent avoir les subsistances, suivant
la variation des saisons & l’étendue des besoins.
En annonçant les principes qu’Elle
a cru devoir adopter, & les motifs qui ont fixé sa décision, Elle veut développer
ces motifs,
non-seulement par un effet de sa bonté, & pour témoigner à ses
sujets qu’Elle se propose de les gouverner toujours comme un père
conduit ses enfans, en mettant sous leurs yeux leurs véritables
intérêts; mais encore pour prévenir ou calmer les
inquiétudes que le
peuple conçoit si aisément sur cette matière, & que
la seule instruction peut dissiper; sur-tout pour assurer davantage la
subsistance des penples, en augmentant la confiance des Négocians dans des
dispositions, auxquelles Elle ne donne la sanction de son autorité,
qu’après avoir vu qu’elles ont pour base immuable la
raison & l’utilité reconnues.
Sa Majesté s’est donc convaincue, que la variété des saisons & la
diversité des terreins occasionnant une très-grande inégalité dans
la quantité des productions d’un canton à l’autre, & d’une
année à l’autre dans le même canton, la récolte de chaque canton
se trouvant par conséquent quelquefois au-dessus, & quelquefois au-dessous
du nécessaire pour la subsistance des habitans, le peuple ne peut
vivre dans les lieux & dans les années où les moissons
ont manqué, qu’avec des grains, ou apportés des lieux favorisés
par l’abondance, ou conservés des années antérieures.
Qu’ainsi le transport & la
garde des grains, sont, après la production, les seuls moyens
de prévenir la disette des subsistances ;
parce que ce sont les seuls moyens de communication qui fassent du superflu
la ressource du besoin.
La liberté de cette communication
est nécessaire à ceux qui manquent de la denrée,
puisque si elle cessoit un moment, ils seroient
réduits à périr.
Elle est nécessaire à ceux
qui possèdent le superflu, puisque sans
elle ce superflu n’auroit aucune valeur, & que les propriétaires
ainsi
que les laboureurs, avec plus de grains qu’il ne leur en faut pour
se
nourrir, seroient dans l’impossibilité de subvenir à leurs
autres besoins, à leurs dépenses de toute espèce, & aux
avances de la culture,
indispensables pour assurer la production de l’année qui doit
suivre.
Elle est salutaire pour tous, puisque ceux qui
dans un moment se refuseroient à partager ce qu’ils
ont avec ceux qui n’ont
pas, se priveroient du droit d’exiger les mêmes secours, lorsqu’à leur
tour ils éprouveront les mêmes besoins ; & que
dans les alternatives de l’abondance & de la disette, tous
seroient exposés tour-à-tour
aux derniers degrés de la misère, qu’ils seroient
assurés
d’éviter tous en s’aidant mutuellement.
Enfin, elle est juste, puisqu’elle est & doit être
réciproque, puisque le droit de se procurer par son travail, & par
l’usage légitime de ses propriétés, les moyens de subsistance préparés
par la Providence à tous les hommes, ne peut être sans injustice ôté à personne.
Cette communication, qui se fait par le transport & la
garde des grains, & sans laquelle toutes les Provinces souffriroient
alternativement ou la disette ou la non-valeur, ne peut être établie que de deux
manieres; ou par l’entremise du commerce laissé à lui-même,
ou par l’intervention du Gouvernement.
Les réflexions & l’expérience
prouvent également, que la voie du commerce libre est, pour
fournir aux besoins du peuple, la plus sûre, la plus prompte,
la moins dispendieuse & la moins sujette à inconvéniens.
Les Négocians, par la multitude des capitaux
dont ils disposent, par l’étendue de leurs correspondances,
par la promptitude & l’exactitude des avis qu’ils reçoivent,
par l’économie
qu’ils savent mettre dans leurs opérations, par l’usage & l’habitude
de traiter les affaires de commerce, ont des moyens & des ressources,
qui manquent aux Administrateurs les plus éclairés & les
plus actifs.
Leur vigilance excitée par l’intérêt,
prévient les déchets & les pertes ; leur
concurrence rend impossible tout monopole; & le
besoin continuel où ils sont de faire rentrer leurs fonds promptement
pour entretenir leur commerce, les engage à se contenter de profits médiocres ;
d’où il arrive que le prix des grains dans
les années de disette ne reçoit guère que l’augmentation
inévitable qui résulte des frais & risques du transport ou de la garde.
Ainsi, plus le commerce est libre, animé, étendu,
plus le peuple
est promptement, efficacement & abondamment pourvu; les prix
sont d’autant plus uniformes, ils s’éloignent d’autant
moins du prix
moyen & habituel, sur lesquels les salaires se règlent nécessairement.
Les approvisionnemens faits par les
soins du Gouver-nement, ne peuvent avoir les mêmes succès.
Son attention partagée entre trop d‘objets,
ne peut être aussi active que celle des Négocians, occupés de leur seu1 commerce.
Il connoît plus tard, il connoît moins
exactement & les besoins & les ressources.
Les Agens qu’il emploie n’ayant aucun
intérêt à l’économie, achettent plus
chèrement, transportent à plus grands frais, conservent
avec moins de précaution ; il se perd, il se gâte beaucoup
de grains.
Ces Agens peuvent, par défaut d‘habileté,
ou même
par infidélité, grossir à l’excès la dépense
de leurs opérations.
Ils peuvent se permettre des manœuvres coupables, à l’insu
du Gouvernement.
Lors même qu’ils en sont le plus innocens,
ils ne peuvent éviter
d’en être soupçonnés ; & le soupçon rejaillit
toujours sur l’Adminis-
tration qui les emploie, & qui devient odieuse au peuple, par les soins mêmes qu’elle prend pour le secourir.
Le Roi doit donc à ses peuples,
d’honorer, de protéger, d’encourager d’une manière spéciale le commerce
des grains, comme le plus nécessaire de tous.
Sa Majesté ayant examiné sous ce point de vue, les réglemens
auxquels ce commerce a été assujetti, & qui après
avoir été abrogés par la Déclaration du 25
mai 1763, ont été renouvelés par l’Arrêt
du 23 décembre 1770; Elle a reconnu que ces règlemens
renferment des dispositions directement contraires au but qu’on auroit dû se
proposer.
Que l’obligation imposée à ceux
qui veulent entreprendre le
commerce des grains, de faire inscrire fur le registre de la Police,
leurs noms, surnoms, qualités & demeures, le lieu de leurs
magasins &
les actes relatifs à leurs entreprises, flétrit & décourage
ce commerce; par la défiance qu’une telle précaution
suppofe de la part du
Gouvernement; par l’appui qu’elle donne aux soupçone
injustes du
peuple sur-tout parce qu’elle tend à mettre continuellement
la matière de ce commerce, & par conséquent la fortune
de ceux qui s’y livrent, sous la main d’une autorité qui
semble s’être réservé le droit de les ruiner & de les deshonorer arbitrairement :
Que ces formalités avilissantes écartent nécessairement
de ce commerce tous ceux d’entre les Négocians, qui par leur
fortune, par l’étendue de leur combinaisons, par la multiplicité de
leurs correspondances, par leurs lumières & l’honnêteté de
leur caractère, seroient les seuls propres à procurer une
véritable abondance :
Que la défense de vendre ailleurs
que dans les marchés, surcharge sans aucune utilité les
achats & les ventes, des frais de voiture
au marché, des droits de hallage, magasinage & autres, également
nuisibles au Laboureur qui produit, & au peuple qui consomme.
Que cette défense, en forçant les vendeurs & les
acheteurs à choisir, pour leurs opérations, les
jours & les heures des
marchés,
peut les rendre tardives, au grand préjudice de ceux qui attendent,
avec toute l’impatience du besoin, qu’on leur porte la denrée
:
Qu’enfin, n’étant pas possible de
faire, dans les marchés, aucun achat considérable,
sans y faire hausser extraordinairement les prix &
sans y produire un vide subit, qui répandant l’alarme soulève
les
esprits du peuple; défendre d’acheter hors des marchés,
c’est mettre tout Négociant dans l’impossibilité d‘acheter
une quantité de grains suffisante, pour recourir d’une
maniere effiace, les provinces qui sont dans le besoin : d’où il
résulte, que cette défense équivaut à une interdiction
absolue du transport & de la circulation des grains d’une province à l’autre :
Qu’ainsi, tandis que l’Arrêt du 23
décembre 1770 assuroit expres sément la liberté du
transport de province à province,
il y mettoit,
par ses autres dispositions, un obstacle tellement invincible, que depuis
cette époque le commerce a perdu toute activité, & qu’on
a été forcé de recourir pour y suppléer, à des
moyens extraordinaires, onéreux à l’État,
qui n’ont point
rempli leur objet, & qui ne peuvent ni ne doivent être continués.
Ces considérations mûrement pesées
ont déterminé Sa Majeste à remettre en vigueur
les principes établis par la Déclaration du 25 mai 1763
; à délivrer
le commerce des grains des formalités & des
gênes auxquelles on l’avoit depuis assujetti par le renouvellement
de quelques anciens rég1emens; à rassurer les Négocians
contre la crainte de voir leurs opérations traversées par
des achats faits pour le compte du Gouvernement. Elle les
invite tous à se livrer à ce commerce. ELLE déclare
que son intention est de les soutenir par la protection la plus
signalée. Et, pour les encourager d’autant
plus à augmenter dans le Royaume la masse des subsistances, en y introduisant
des grains étrangers, ELLE leur assure la liberté d’en
disposer à leur gré. ELLE veut s’interdire à Elle-même, & à ses
Officiers,
toutes mesures contraires à la liberté & à la
propriété de ses sujets,
qu’Elle défendra toujours contre toute atteinte injuste.
Mais si la Providence permettoit que pendant le cours de son règne,
ses provinces fussent affligées par la disette ELLE se promet
de ne négliger
aucun moyen pour procurer des secours vraiment efficaces à la
portion de ses sujets qui souffre le plus des calamités publiques.
A quoi
voulant pourvoir : Ouï le rapport du sieur Turgot, Conseiller ordinaire au Conseil royal, Contrôleur général des finances
; LE ROI
ÉTANT EN SON CONSEIL, a ordonné & ordonne ce qui suit
:
A R T I C L E P R E M I E R .
LES articles Ier. & II. de la Déclaration du 25 Mai 1763 seront exécutés suivant leur forme & teneur : en conséquence, il sera libre à toutes personnes, de quelque qualité & condition qu’elles soient, de faire, ainsi que bon leur semblera, dans l’intérieur du royaume, le commerce des grains & fàrines, de les vendre & acheter en quelques lieux que ce soit, même hors des halles & marchés ; de les garder & voiturer à leur gré, sans qu’ils puissent être astreints à aucune formalité ni enregistrement, ni soumis à aucunes prohibitions ou contraintes, sous quelque prétexte que ce puisse étre en aucun cas & en aucun lieu du Royaume.
II. FAIT Sa Majesté très-expresses inhibitions & défenses à toutes personnes, notamment aux Juges de police, à tous ses autres Officiers & à ceux des Seigneurs, de mettre aucun obstacle à la libre circulation des grains & farines de province à province; d’en arrêterle transport, sous quelque prétexte que ce soit; comme aussi de contraindre aucun Marchand, Fermier, Laboureur ou autres, de porter des grains ou farines au marché, ou de les empêcher de vendre par-tout où bon leur semblera.
III. SA MAJESTÉ voulant qu’il ne soit fait à l’avenir aucun achat de grains & farines pour son compte, Elle fait très-expresses inhibitions & défenses à toutes personnes, de se dire chargées de faire de semblables achats pour Elle & par ses ordres; se réservant dans le cas de disette , de procurer à la partie indigente de ses sujets, les secours que les circonstances exigeront.
IV. DESIRANT encourager l’introduction des blés étrangers dans ses États, & assurer ce secours à ses peuples, Sa Majesté permet à tous ses sujets, & aux Étrangers, qui auront fait entrer des grains dans le royaume, d’en faire telles destinations & usages que bon leur semblera; même de les faire ressortir sans payer aucuns droits, en justifiant que les grains sortans sont les mêmes qui ont été apportés de l’étranger : Se réservant au surplus Sa Majesté, de donner des marques de sa protection spéciale à ceux de ses sujets qui auront fait venir des blés étrangers dans les lieux du royaume où le besoin s’en seroit fait sentir : N’entendant Sa Majesté statuer quant-à-présent, & jusqu’à ce que les circonstances soient devenues plus favorables, sur la liberté de la vente hors du Royaume. Déroge Sa Majesté à toutes loix & règlemens contraires aux dispositions du présent Arrêt, sur lequel seront toutes Lettres nécessaires expédiées. FAIT au Conseil d’État du Roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le treize septembre mil sept cent soixante-quatorze. Signé PHELYPEAUX.
A MONTPELLIER, De l’Imprimerie d’Augustin F. Rochardseul Imprimeur du Roi, Place du Petit-Scel. 1774