Adam Smith, Wealth of Nations :
Traductions françaises parallèles, 1778/1802

par Paulette Taieb,
Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

janvier 1998


Avertissement

        Entre 1778, date de la première traduction française publiée de La Richesse des nations d'Adam Smith, et 1802 qui marque, pour la période et pour longtemps, la fin d'une série de cinq versions principales, le texte français de l'ouvrage archive des transformations que rend perceptible leur mise en parallèle.

        Ces cinq versions ont été établies par, semble-t-il, cinq personnes différentes : M***, l'abbé Jean-Louis Blavet, l'abbé André Morellet, le poète Jean-Antoine Roucher et Germain Garnier. Des cinq, la première, celle de M***, paraît être passée en France quasiment inaperçue ; la seconde a d'abord été publiée de façon anonyme en feuilleton dans le Journal de l'agriculture, des arts et du commerce et des finances, puis en éditions pirates d'abord émanant de Suisse ; la troisième, celle de l'abbé Morellet n'a jamais été publiée, quoiqu'elle ait été attendue et souhaitée. C'est dans les années 90 que les traductions françaises de l'ouvrage acquièrent en France statut officiel en faisant peau neuve une troisième (quatrième version), puis une quatrième (cinquième version) fois. Tous ces textes ont été effacés, y compris celui de Garnier, par la version actualisée qu'a publiée Blanqui en 1843 de cette ultime traduction. Ces précisions font paraître que deux des textes fournis (M*** et Morellet) peuvent être considérés comme "inédits" en France, même pour leur période ; et que les cinq le sont pour la nôtre.

        Les dates initiales des cinq versions françaises de The Wealth of nations sont : 1778-1779 pour celle de M*** ; 1779-1780 pour celle de Blavet et, vraisemblablement, celle non parue de Morellet ; 1790 pour celle de Roucher ; et 1802 pour celle de Garnier. Cette chronologie est mise en évidence dans le tableau suivant, qui précise les éditions dont on s'est servi pour transcrire les textes, leur forme initiale (livre , périodique, ou manuscrit ) et l'anonymat ou non de leurs traducteurs.

 

Date de première parution
Edition ou manuscrit utilisé pour la transcription
Forme initiale & traducteur
  1776
An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations. By Adam Smith, LL.D. and F.R.S. Formerly Professor of Moral Philosophy in the University of Glasgow. In Two Volumes. Vol. I. [II.] London : Printed for W. Strahan ; and T. Cadell, in th Strand. MDCCLXXVI.
 
1778-1779
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Tome premier. [Second. Troisieme. Quatrieme.] Traduit de l'anglois de M. Adam Smith, par M*** [Il n'y a pas de point après M*** dans les volumes 3 et 4.]. A La Haye. M.DCC.LXXVIII. [volumes 3 et 4: M. DCC. LXXIX.] . Le traducteur est toujours inconnu.
M***
1779-1780
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Traduit de l'anglois de M. Smith. Tome premier. [Second. Troisieme. Quatrieme. Cinquieme. Sixieme.] A Londres. Et se trouve à Paris, Chez Poinçot, Libraire, rue de la Harpe, près S. Côme, N°. 135. 1786.
[Blavet]
s.d.
[1779-1780 ?]
Recherches sur la nature et les sources de la richesse des nations. Traduites de l'anglois de mr. Adam Smith. Par A. Morellet. Bibliothèque Municipale de la Part-Dieu, Lyon. Ms. 2540 [2541, 2542, 2543].
Morellet
1790-1791
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Traduites de l'Anglois de M. Smith, sur la quatrième Edition, par M. Roucher; Et suivies d'un volume de notes, par M. le Marquis de Condorcet, de l'Académie Françoise, et Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. Tome premier. [Second. Troisième. Quatrième.] A Paris, Chez Buisson, Libraire, rue Haute-Feuille, Hôtel de Coetlosquet, N° 20. 1790.
Roucher
1802
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations; Par Adam Smith. Traduction nouvelle avec des notes et observations; Par Germain Garnier, de l'Institut National. Avec le portrait de Smith. Tome premier. [Second. Troisième. Quatrième. Cinquième.] A Paris, Chez H. Agasse, Imprimeur-Libraire, rue des Poitevins, n° 18. An X -- 1802.
Garnier

 

        L'extrait qui a été choisi pour cette présentation, est le chapitre II du Livre I de La Richesse des nations. Ce chapitre, intitulé Of the Principle which gives Occasion to the Division of Labour, a été transcrit d'après l'édition princeps, qui d'ailleurs n'a pas subi de modification substantielle dans les cinq éditions ultérieures de l'ouvrage du vivant de l'auteur. Plusieurs raisons ont présidé à ce choix.

        La plus triviale d'abord : le chapitre est court. Un peu moins trivial : deux notions partagent les traductions, à chaque fois de façon différente. Il s'agit de division of labour et de self-love.
          Pour division of labour, deux des traducteurs l'expriment par "partage du travail" (M*** et Morellet) et les autres par "division du travail" (Blavet, Roucher, Garnier). C'est ici la traduction littérale qui s'est imposée. Pour self-love, trois la traduisent littéralement par "amour-propre" (M***, Blavet, Roucher), les deux autres lui cherchent des équivalents variants : "propre intérêt", puis "avantage" (Morellet); ou "intérêt personnel", puis "égoïsme" (Garnier). Dans ce cas, ce sont les équivalents qui se sont imposés. Tout se passe comme si l'ensemble des traductions donnait à voir le moment où l'économie met son empreinte (intérêt personnel, "égoïsme") sur une catégorie (amour de soi-même) et l'élève, re-nommée, au rang d'axiome de comportement constitutif.

        La redistribution des traductions en passant d'une notion à l'autre brouille au premier abord le jeu.
        Mais, peut-être, pourrait-on en tirer aussi comme un cliché instantané du moment où s'effondre une approche théorique (celle des Économistes) tandis qu'une autre vient s'interposer. Le "partage du travail" de la traduction de 1778 et du manuscrit Morellet, qui réfléchit encore le "partage des professions" dont parle Turgot dans Réflexions sur la formation et la distribution des richesses -- "Il est même nécessaire que, dans chaque métier, les Ouvriers, ou les Entrepreneurs qui les font travailler, aient un certain fonds de richesses mobiliaires amassées d'avance. Nous sommes encore ici obligés de revenir sur nos pas pour rappeller plusieurs choses qui n'ont été d'abord qu'indiquées en passant quand on a parlé du partage des différentes professions & des différents moyens par lesquels les Propriétaires peuvent faire valoir leurs fonds, parcequ'alors on auroit pû les bien expliquer sans interrompre le fil des idées." (Voyez Ephémérides du Citoyen, XII, 1769 : 62-63) --, s'efface en 1779 devant la "division du travail".

        Pour chaque traduction, on a donné en fac-similé la page qui comporte le titre du Livre ainsi que celui du chapitre I précédant immédiatement le chapitre fourni. On a aussi reproduit les paginations des éditions utilisées. Les accidents du texte ont été reproduits avec la mention [sic]. Cette mention est aussi utilisée, lorsque l'orthographe ou la syntaxe peuvent laisser penser à une coquille dans la transcription (ce qui n'exclut pas qu'il s'en produise). Les caractères dans lesquels les textes ont été composés sont, pour l'original anglais, le Baskerville et, pour ses variations françaises, le Didot, dont l'oeil se correspond. Dans les deux cas leur rendu est meilleur à l'impression qu'à l'écran.

          Pour que le lecteur puisse à sa guise comparer les traductions entre elles et les confronter au texte original, on a construit le dispositif en quatre panneaux représenté ci-dessous. A gauche, le texte d'Adam Smith et en haut le panneau de "commande". A droite, deux panneaux superposés dans lesquels le lecteur peut faire apparaître les traductions de son choix en "clicquant" sur les puces orange (panneau supérieur droit) ou verte (panneau inférieur droit). Toutes les combinaisons sont modifiables à tout moment et les bords des cadres sont déplaçables suivant la lisibilité désirée des textes considérés. Le nom des auteurs des traductions choisies s'affiche dans le coin gauche de la barre d'état suivant le panneau que le lecteur consulte (flèche rouge du schéma ci-dessous). Et il est possible de revenir en arrière en "clicquant" sur les zones sensibles des illustrations. Bien entendu chaque texte peut être consulté séparément.

        Enfin on trouvera ci-dessous les références de l'article fondamental sur le sujet, celui de Kenneth E. Carpenter et de deux références annexes, ainsi que la mention des participants au séminaire consacré à "l'histoire française de The Wealth of Nations d'Adam Smith" dans le cadre du DEA "Histoire de la pensée économique" (ENS Fontenay / Université de Paris I Panthéon-Sorbonne) qui, au cours des années 1995-1996, 1996-1997, ont alimenté les recherches par leurs observations : S. Costagliola, P. Debacker, F. Bernard, K. Goglio, J.A. Navarre, Y. Perez, M. Traore, S. Trivière.

  • Kenneth E. Carpenter, "Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations d'Adam Smith et politique culturelle en France", in OEconomia, Economies et Sociétés, série PE, n° 24, octobre 1995 : 5-30.
  • Marie-France Piguet, Classe. Histoire du mot et genèse du concept des Physiocrates aux Historiens de la Restauration. Presses Universitaires de Lyon, 1996 : 77-86.
  • Christophe Salvat, "French translations of the Wealth of nations in the eighteen century : the case of division of labour". Projet de communication au Colloque de la Société Européenne d'Histoire de la Pensée Economique (ESHET Conference) Bologne (Italie), 27 février - 1er mars 1998.

 

Texte et traductions en parallèle.

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