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Une multitude de plaintes se sont élevées de tous les temps contre la forme d'administration employée dans les provinces : elles se renouvellent plus que jamais, & l'on ne pourroit continuer à s'y montrer indifférent, sans avoir peut-être de justes reproches à se faire. A peine, en effet, peut-on donner le nom. d'administration à cette volonté arbitraire d'un seul homme, qui, tantôt présent, tantôt absent, tantôt instruit, tantôt incapable, doit régir les parties les plus importantes de l'ordre public ; & qui doit s'y trouver inhabile après ne s'être occupé toute sa vie que de requêtes en cassation : qui souvent ne mesurant pas même la grandeur de la commission qui lui est confiée, ne considère sa place que comme un échelon à son ambition ; & fi, comme il est raisonnable, on ne lui donne à gouverner, en débutant, qu'une Géné-
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ralité d'une médiocre étendue, il la voit comme un lieu de passage, & n'est point excité à préparer des établissemens donc le succès ne lui sera point attribué, & dont l'éclat ne paroîtra pas lui appartenir. Enfin, présumant toujours, & peut-être avec raison, qu'on avance encore plus par l’effet de l'intrigue ou des affections, que par le travail & l'étude, ces Commissaires sont impatiens de venir à Paris, & laissent à leurs Secrétaires ou à leurs Subdélégués, le soin de les remplacer dans leur devoir public.
Il est sans doute des parties d'administration qui, tenant uniquement à la police, à l'ordre public, à l'exécution des volontés de Votre Majesté, ne peuvent jamais être partagées, & doivent constamment reposer sur un Intendant seul ; mais il en est aussi, telles que la répartition de la levée des impositions, l'entretien & la construction des chemins, le choix des encouragemens favorables au commerce, au travail en général, & au débouché de la province en particulier, qui, soumises à une marche plus lente & plus confiante, peuvent être confiées préférablement à une Commission composée de propriétaires, en réservant au Commissaire départi l'importante fonction d'éclairer le Gouvernement sur différens règlemens qui seroient proposés : de cette manière, Votre Majesté auroit des garans multipliés du bonheur de ses, peuples ; & sans déranger en rien l'ordre public, Elle seroit sûre que les tributs nécessaires au besoin de l'Etat, seroient adoucis par la répartition, & plus encore par la confiance.
On ne verroit plus cumuler sur le peuple & le poids des impôts & les frais de justice, qui attestent son impuissance, ainsi que les moyens rigoureux qu'on est obligé de mettre en usage.
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générale, & sur la répartition des impositions, & sur les corvées, & sur l'arbitraire absolu, & sur la difficulté d'obtenir justice, & sur le défaut d'encouragement : de-là peut-être, l'indifférence générale pour le bien de l'Etat, qui gagne tous les jours.
Le Gouvernement, témoin de toutes ces plaintes, ne trouvera jamais que des moyens insuffisans pour y remédier, tant que la forme actuelle d'administrer les provinces n'éprouvera aucune modification. En effet, il est à remarquer qu'il n'y a dans les pays d'Election, aucun contradicteur légitime du Commissaire départi, & il ne peut même en exister dans l'ordre actuel, sans déranger la subordination & contrarier la marche des affaires. Ainsi, à moins qu'on ne soit averti par des injustices éclatantes, ou par quelques scandales publics, on est obligé de voir par les yeux de l'homme même, qu'on auroit besoin de juger. Votre Majesté peut aisément se faire une idée de l'abus, & presque du ridicule de cette prétendue administration.
Il vient au Ministre des plaintes d'un particulier ou d'une paroisse entière : que fait-on alors, & qu'a-t-on fait de tous les temps ? On communique à l'Intendant cette requête : celui-ci, en réponse, ou conteste les faits, ou les explique, & toujours d'une manière à prouver que tout ce qui a été fait par ses ordres a été bien fait ; alors on écrit au plaignant qu'on a tardé à lui répondre jusqu'à ce qu'on ait eu pris connoissance exacte de son affaire, & alors on lui transmet, comme un jugement réfléchi du Conseil, la simple réponse de l’Intendant; quelquefois même, à sa requisition, on réprimande
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le contribuable ou la paroisse, de s'être plaint mal à propos. Et qui sait s'ils ne se ressentent pas encore d'une autre manière de leur hardiesse ? Car un Intendant & les Subdélégués voyant toujours que les requêtes leur sont renvoyées, que leurs décisions sont adoptées, & que cette déférence à leurs avis est nécessaire, doivent naturellement mépriser les plaintes auxquelles des Corps entiers ne s'associent pas : voilà pourquoi ils sont si fort redoutés dans les provinces, de la part de ceux qui n'ont pas de relation avec la Cour ou avec la Capitale.
Quand de longs murmures dégénèrent en plaintes générales, le Parlement se remue, & vient se placer entre le Roi & ses peuples ; mais eût-il les connoissances qu'il ne peut rassembler, eût-il les mesures qu'il n'observe guère, ce remède est un inconvénient lui-même, puisqu'il habitue les Sujets de Votre Majesté à partager leur confiance, & à connoître une autre protection que l'amour & la justice de leur Souverain.
C'est après avoir été frappé de la défectuosité de cette contexture d'administration, que j'ai desiré fortement, pour la gloire de Votre Majesté, pour le bonheur de ses peuples, & pour l'accomplissement du devoir de ma place, qu'on pût développer à Votre Majesté la nécessité de s'occuper essentiellement de cet important objet.
En même temps, je sens plus que personne la convenance de n'employer que des moyens lents, doux & sages : il faut desirer le bien, y marcher ; mais c'est y renoncer, que de vouloir y atteindre par un mouvement précipité, qui, presque toujours
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augmente les obstacles & les résistances. D'ailleurs, il n'est rien qui ne soit soumis à quelques inconvéniens ; il n'est rien où l'expérience n'ajoute encore à l’instruction & à la confiance. Ainsi, ce n'est que dans une seule Généralité que je proposerois à Votre Majesté d'introduire un changement qui consisteroit essentiellement dans l'essai d'une administration provinciale ou municipale.
Il est sans doute des parties d'administration qui, tenant uniquement à la police, à l'ordre public, à l'exécution des volontés de Votre Majesté, ne peuvent jamais être partagées, & doivent constamment reposer sur un Intendant seul ; mais il en est aussi, telles que la répartition de la levée des impositions, l'entretien & la construction des chemins, le choix des encouragemens favorables au commerce, au travail en général, & au débouché de la province en particulier, qui, soumises à une marche plus lente & plus confiante, peuvent être confiées préférablement à une Commission composée de propriétaires, en réservant au Commissaire départi l'importante fonction d'éclairer le Gouvernement sur différens règlemens qui seroient proposés : de cette manière, Votre Majesté auroit des garans multipliés du bonheur de ses, peuples ; & sans déranger en rien l'ordre public, Elle seroit sûre que les tributs nécessaires au besoin de l'Etat, seroient adoucis par la répartition, & plus encore par la confiance.
On ne verroit plus cumuler sur le peuple & le poids des impôts & les frais de justice, qui attestent son impuissance, ainsi que les moyens rigoureux qu'on est obligé de mettre en usage.
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On délivreroit peut-être insensiblement les habitans de la campagne du joug sous lequel ils vivent.
Subdélégués, officiers d'élections, directeurs, receveurs & contrôleurs des vingtièmes, commissaires & collecteurs des tailles, officiers des gabelles, voituriers, buralistes, huissiers, piqueurs de corvées, commis aux aides, aux contrôles, aux droits réservés; tous ces hommes de l'impôt, chacun selon son caractère, assujettissent à leur petite autorité, & enveloppent de leur science fiscale des contribuables ignorans, inhabiles à connoître si on les trompe, mais qui le soupçonnent ou le craignent sans cesse. Si ces diverses servitudes peuvent un jour être tempérées, si d'un pareil chaos il peut enfin sortir un systême simple & régulier d'imposition : on ne peut l'espérer, à travers les obstacles de l'habitude, qu'à l'aide des administrations provinciales, qui en proposeroient successivement les moyens, & qui en faciliteroient l'exécution.
En même temps ce qui convient à chaque province en particulier seroit mieux connu.
La France, composée de vingt-quatre millions d'habitans répandus sur des sols différens, & soumise à diverses coutumes, ne peut pas être assujettie au même genre d'impositions. Ici la rareté excessive du numéraire peut obliger à commander la corvée en nature ; ailleurs une multitude de circonstances invitent à la convertir en contribution pécuniaire : ici la gabelle est supportable ; là, des troupeaux qui composent la fortune des habitans, font, de la cherté du sel, un véritable fléau : ici, où tous les revenus sont en fonds de terre, l'on peut confondre la capitation avec la taille ou les
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vingtièmes ; ailleurs, de grandes richesses mobiliaires & l'inégalité de leur distribution invitent à réparer ces divers impôts : ici l'impôt territorial peut être fixe & immuable ; là, tout en vignoble, & tellement soumis à des révolutions, que si l'impôt n'est pas un peu flexible, il sera trop rigoureux : ici, les impôts sur les consommations sont préférables ; ailleurs, le voisinage de l'étranger les rend illusoires & difficiles à maintenir. Enfin par-tout, en même temps que la raison commande, l'habitude & le préjugé font existans. Cependant c'est l'impossibilité de pourvoir à toutes ces diversités par des loix générales, qui oblige d'y suppléer par l'administration la plus compliquée ; & comme la force morale & physique d'un ministre des finances ne sauroit suffire à cette tâche immense & à de si justes sujets d'attention, il arrive nécessairement que c'est du fond des bureaux que la France est gouvernée ; & selon qu’ils sont plus ou moins instruits, plus ou moins purs, plus ou moins vigilans, les embarras du ministre & les plaintes des provinces s'y accroissent ou diminuent. Cependant, en ramenant à Paris tous les fils de l'administration, il se trouve que c'est dans le lieu où l'on ne fait que par des rapports éloignés, où l'on ne croit qu'à ceux d'un seul homme, où l'on n'a jamais le temps d'approfondir, qu'on est obligé de diriger & discuter toutes les parties de l'exécution appartenant à cinq cents millions d'impositions subdivisées de plusieurs manières par les formes, les espèces & les usages. Quelle différence entre la fatigue impuissante d'une telle administration, & le repos & la confiance que pourroit donner une ad-
 
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ministration provinciale sagement composée ! Aussi n'est-il aucun ministre sage qui n'eût dû desirer un pareil changement, si, trompé par une fausse apparence d'autorité, il n'eût imaginé qu'il augmentoit son pouvoir en rapportant tout à un intendant qui prenoit ses ordres, tandis que les contrôleurs généraux auroient dû sentir qu'en ramenant à eux une multitude d'affaires au-dessus de l'attention, des forces & de la mesure du temps d'un seul homme, ce ne sont plus eux qui gouvernent, ce sont leurs commis. Mais ces mêmes commis, ravis de leur influence, ne manquent jamais de persuader au ministre qu'il ne peut se détacher de commander un seul détail, qu'il ne peut laisser une seule volonté libre pour renoncer à ces prérogatives, & diminuer sa consistance : comme si l'établissement de l'ordre & son maintien par les mesures les plus simples, ne doivent pas être le seul but de tous les administrateurs raisonnables. Je traiterai plus particulièrement dans un mémoire séparé, de la généralité qui paroîtroit la plus propre à ce genre d'épreuve, & du plan qui sembleroit préférable.
On apperçoit aisément qu'on peut en modifier les détails de différentes manières, & remplir néanmoins le but qu'on se propose. Un sage équilibre entre les trois ordres, soit qu'ils soient séparés ou qu'ils soient confondus ; un nombre de représentans qui, sans embarrasser, soient suffisans pour avoir une garantie du vœu de la province; des règles simples de comptabilité ; l'administration la plus économe ; les assemblées générales aussi éloignées que l'entretien du zèle & de la confiance
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peut le permettre ; l'obligation de soumettre toutes les délibérations à l'approbation du conseil éclairé par le commissaire départi ; l'engagement de payer la même somme d'imposition versée aujourd'hui au trésor royal ; le simple pouvoir de faire des observations en cas de demandes nouvelles, de manière que la volonté du Roi fût toujours éclairée & jamais arrêtée ; enfin le mot de don gratuit absolument interdit, & celui de pays d'administration subrogé à celui de pays d'états ; enfin que la ressemblance des noms n'entraînât jamais des prétentions semblables : voilà en abrégé l'idée des conditions essentielles.
On sent qu'il est aisé de les remplir en rassemblant diverses opinions & les lumières que peuvent donner la réflexion & l'expérience, sur-tout lorsque l'on n'est gêné par aucune convention antérieure, & que de la part du souverain tout devient concession & bienfaisance.
J'ajouterai encore, comme une condition essentielle, que quelque perfection qu'on crût avoir donnée à cette institution nouvelle, il ne faudroit annoncer sa durée que pour un temps, sauf à la confirmer ensuite par un nouveau terme, & ainsi de suite, aussi long-temps que votre majesté le jugeroit à propos ; de manière qu'après avoir pris tous les soins nécessaires pour former un bon ouvrage, votre majesté eût encore constamment dans sa main le moyen de le supprimer ou de le maintenir.
Avec une semblable prudence, quel inconvénient pourroit-on craindre, & que de bien au contraire ne doit-on pas attendre d'une pareille expé-
rience ?
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rience ? Déjà j'ai indiqué une partie des avantages attachés à ce nouvel ordre d'administration ; il en est beaucoup d'autres que j'omets : c'en seroit un que de multiplier les moyens de crédit, en procurant à d'autres provinces la faculté d'emprunter ; c'en seroit un plus grand que d'attacher davantage les propriétaires dans leurs provinces, en leur y ménageant quelqu'occupation publique dont ils se crussent honorés : cette petite part à l'administration releveroit le patriotisme abattu, & porteroit vers le bien de l'état une réunion de lumières & d'activité dont on éprouveroit le plus grand effet ; c'en seroit un essentiel encore que d'inspirer à chaque ordre de la société une confiance plus directe dans la justice & la bonté du monarque ; c'est ce qu'on éprouve dans les pays d'états : au lieu que dans une généralité d'élection, où un intendant paroît bien plus un vice-roi, qu'un lien entre le souverain & les sujets, on est entraîné à porter ses regards & ses espérances vers les parlemens, qui deviennent ainsi dans l'opinion les protecteurs du peuple.
Enfin, comme il est généralement connu que l'administration des pays d'élection & la forme actuelle des impositions inspirent aux étrangers une sorte de frayeur plus ou moins fondée, tout projet d'amélioration attireroit en France de nouveaux habitans, & deviendroit sous ce rapport seul une nouvelle source de richesses.
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