Notice
ANNALES DE CHIMIE, ou Recueil de Mémoires concernant la Chimie & les Arts qui en dépendent par Guyton, Lavoisier, Monge, Berthollet, Fourcroy, Adet, Hassenpratz, Seguin, Vauquelin & Pelletier. Janvier 1793, Tome seizième. A Paris, rue & Hôtel Serpente. A Londres, chez Joseph de Boffe, Libraire, Gerard Street n° 7 Soho. 1793

ANNALES DE CHIMIE.
M A R S 1793

R E C U E I L
De Pièces relatives à l’uniformité des Poids
& Mesures.

A V E RT I S S E M E N T.

LES travaux entrepris par l’académie des sciences, d’après les ordres de l’assemblée constituante, pour parvenir à l’uniformité des poids & mesures, à la division décimale & à un nouveau systême monétaire, sont d’une telle importance ; elles intéressent si essentiellement les arts, le commerce, les sciences, l’humanité toute entière, que nous croyons rendre service à nos lecteurs, en insérant dans ce recueil les différens rapports qui ont été faits successivement à l’académie & à l’assemblée nationale sur cet objet. La plupart de ces rapports n’avoient point encore été imprimés : c’est avec plaisir
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que nous prenons l’engagement avec le public, de completter la collection de tout ce qui sera publié d’intéressant sur cet objet.


R A P P O R T

Fait à l’Académie des Sciences, le 27 Octobre 1790,
sur le titre des métaux monnoyés &
sur l’échelle de division des poids,
des mesures & des monnoies ;

Par MM. Borda, Lagrange, Lavoisier,
Tillet & Condorcet.

L’ASSEMBLÉE Nationale a demandé l’opinion de l’Académie sur la question de savoir s’il convient de fixer invariablement le titre des métaux monnoyés, de manière que les espèces ne puissent jamais éprouver d’altération que dans le poids, & s’il n’est pas utile que la différence, tolérée sous le nom de remède, soit toujours en dehors. Elle a chargé en même-temps l’académie d’indiquer aussi l’échelle de divion qu’elle croira la plus convenable, tant pour les poids que pour les autres mesures, & pour les monnoies.

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Le titre des monnoies, c’est-à-dire, le rapport entre la masse du métal précieux dont elles sont composées & l’alliage qu’il est d’usage d’y joindre, peut être fixé avec une assez grande précision, mais non avec une exactitude rigoureuse. On peut répondre de ne pas ou tomber au-dessous ou s’élever au-dessus d’un terme fixé, de rester dans une limite très-étroite, mais non d’atteindre exactement un point déterminé.
Ainsi pour l’argent, par exemple, on peut à la rigueur répondre de se tenir dans les limites d’un grain ou d’un grain & demi de fin; c’est à-dire, qu’on peut répondre de l’exactitude à 2 ou 3576es près. Pour l’or, on peut se tenir dans les limites d’un ou deux trente-deuxièmes de karat, c’est-à-dire, qu’on peut répondre de l’exactitude à un ou deux 708es près.
Cette erreur tient à deux causes; à la difficulté de rendre parfaitement homogènes les métaux alliés, & de prévoir rigoureusement l’altération que l’action du feu peut occasionner, & à l’impossibilité d’avoir une méthode d’essayer absolument rigoureuse : il n’est d’ailleurs aucune expérience de physique, aucune opération réelle qui ne soit exposée à ces petites incertitudes.
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Il faut donc laisser une certaine latitude, & par conséquent dire, par exemple : la monnoie d’argent sera au titre de 11 deniers, mais si elle se trouve entre 10 deniers 22 grains & demi & 11 deniers, elle sera réputée bonne ; ou dire, la monnoie sera au titre de 11 deniers, mais on tiendra compte au fabricateur de ce qu’elle contiendra au-dessus jusqu’à 11 deniers 1 grain & demi. On suppose alors que malgré les soins du fabricateur, il ne peut vouloir fabriquer à 11 deniers & non au-dessus, sans risquer de tomber jusqu’à 10 deniers 22 grains & demi, & qu’il ne peut vouloir fabriquer à 11 deniers au moins, sans risquer de s’élever jusqu’à 11 deniers 1 grain & demi.
Il en est de même du poids de chaque monnoie. Si on suppose qu’une pièce doive peser 200 grains, il faut ou regarder comme bonne celle qui n’en pésera que 199, si telles sont les bornes de l’exactitude à laquelle on peut parvenir, ou passer au fabricateur les pièces suivant leur poids réel, pourvu qu’elles soient entre 200 & 201 grains.
Cette latitude accordée, soit dans le titre soit dans le poids, s’appelle remède. On dit que le remède est en dedans , si on admet
comme bonnes les pièces qui sont d’une moindre quantité au-dessous du titre ou du poids établi;

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on dit que le remède est en dehors, si on exige que les pièces ayent au moins le titre & le poids fixés par la loi, mais en tenant compte de l’excédant jusqu’à une limite déterminée.
Les monnoies ne font prises en général dans le commerce que comme ayant le poids & le titre au-dessous dequels elles seroient condamnées. Ainsi , par exemple, une monnoie d’argent à 11 deniers de fin au remède d’un grain & demi, sera prise comme une monnoie à 10 deniers 22 grains & demi ; & si le remède étoit en dehors, une monnoie à 10 deniers 22 grains & demi, mais qui pourroit aller jusqu’à 11 deniers, ne seroit prise également que pour une monnoie à 10 deniers 22 grains& demi.
Il est donc indifférent en soi, sous ce point de vue, de placer le remède en dehors ou en dedans, mais il ne l’est jamais d’employer
un langage précis, un langage qui présente 1es objets tels qu’ils font, au lieu de celui qui les représente sous un faux jour.
Ainsi, il vaut mieux dire : la monnoie sera au titre de 20 deniers 22 grains & demi, le .remède étant en dehors, que de dire, la monnoie sera au titre de 22 deniers avec un remède d’un grain & demi, puidque dans les
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deux cas elle sera toujours prise comme étant au titre de 10 deniers 22 grains & demi. Il en est de même du remède de poids.
Le seul cas où l’on seroit obligé de mettre en dedans le remède d’alloi, c’est-à-dire, le remède qui le rapporte au titre, mais qui alors seroit très-petit, seroit celui où l’on voudroit fabriquer de la monnoie d’un métal aussi pur que l’art peut le donner (a).

(a) Nous ne nous arrêterons pas à examiner ici les avantages qu’auroit l’adoption de ce principe , qui donneroit une espérance plus grande de voir un jour les différens peuples employer une monnoie uniforme. Les frais de fabrication seroient augmentés à la vérité, mais ces métaux purs conserveroient comme lingots l’augmentation de valeur que l’affinage leur donne dans le commerce, & la conserveroient par-tout. Comme en fondant ces monnoies on perdroit les frais de fabrication qu’alors il faudroit retenir, on n’auroit pas à craindre d’être forcé à une fabrication superflue, & il n’y auroit même alors aucun inconvénient qu’elles fussent fondues en petites parties, pour remplacer les métaux affinés lorsqu’on éprouveroit quelques difficultés à s’en procurer. L’objection la plus forte contre l’usage des métaux purs dans les monnoies , est la crainte qu’elles ne s’usent plus vite. Mais la dureté que l’alliage leur communique, augmente-t-elle ou diminue-t-elle la perte qu’elles essuient par le frottement ? c’est une question qui n’a jamais été rsolue par des expériences directes ; & l’académie se

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On pourroit croire qu’il y auroit plus de simplicité à établir que la monnoie contiendroit rigoureusement un tel poids de fin, ce qui confondroit les deux remèdes en un seul; mais cette simplicité apparente auroit un grand inconvénient, on ignoreroit si une telle pièce, dont on a vérifié le poids, est au-dessous, par exemple, du poids fixé par la loi, parce qu’elle est réellement trop foible, ou parce qu’elle se trouve à un titre plus élevé. Il convient de séparer l’exactitude du poids de celle du titre, parce que la première peut toujours être vérifiée par des moyens simples ; il suffit de peser les pièces avec de bonnes balances.
Le titre des monnoies ne doit être changé que dans les circonstances où il est convenable de faire une refonte générale ; autrement on introduit dans le commerce de la monnoie de

propose d’en faire, pour éclairer un fait dont la connoissance peut être utile non-seulement pour l’art de fabriquer les monnoies, mais pour un grand nombre d’autres.
Les premières expériences ont prouvé que les monnoies d’argent pur perdoient moins que les monnoies alliées , lorsque le frottement avoit lieu entre des piéces semblables, mais qu’elles perdoient davantage , lorsque le frottement avoit lieu entre les pièces pures & les pièces alliées.
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même métal à deux titres différens, ce qui y jette de la confusion.
Le rehaussement du titre est utile : l’expérience a prouvé que plus les monnoies sont pures, plus elles ont de valeur dans les pays où elles n’ont pas cours, & que l’échange en est plus favorable.
Mais c’est dans le cas d’une opération générale, qu’il faut s’occuper de ces avantages seeondaires.
Nous ne parlons point des altérations de titre qui auroient pour objet de changer la valeur de la livre nominale, comme celle qui conserveroit le nom d’écu de trois livres à une pièce qui ayant le même poids, mais fabriquée d’un métal moins pur, n’auroit que la valeur de cinquante sous. La foi publique proscrit ces sortes d’altérations.
Il est utile que toutes les divisions des mesures, quel que soit l’usage auquel on les emploie, que celles des mesures de longueur,
de surface & de continence, que celles des poids, que celles des monnoies dans leurs valeurs nominales comme pour les pièces employées dans le commerce, soient assujetties, à une même échelle. Enfin, l’échelle arithmétique doit servir de base à toutes ces divisions.
On sent combien cette unité simplifie toutes

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les opérations par lesquelles on est obligé de comparer les volumes avec les poids, les prix avec les poids ou les mesures. De même en prenant pour base commune l’échelle arithmétique, tous les calculs de commerce se réduisent à des calculs de nombres entiets, quelles que soient les dénominations que portent les diverses divisions ; au lieu que si on prend des échelles de division différentes de l’échelle arithrnétique, on est obligé, pour chacune, d’avoir des règles particulières. Ainsi, dans l’usage actuel, tel homme sait calculer des sous & des entiers, qui ne sait pas calculer des toises, pieds, pouces & lignes, des livres, onces, gros & grains.
L’adoption de l’échelle arithmétique pour toutes les divisions, diminuera beaucoup les embarras qui doivent naître de l’établissement des nouvelles mesures, & tous ceux qui sauront l’arithmétique simple, pourront en calculer toutes les divisions, tandis que ceux qui savent calculer les anciennes n’éprouveront aucun embarras, puisqu’ils pourront calculer les nouvelles avec encore plus de facilité.
On auroit pu proposer de changer aussi l’échelle arithmétique, & de prendre l’échelle duodécimale, c’est-à-dire, celle qui emploie onze, chiffres, & qui suit la progression des

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puissances de douze ; mais ce changement ajouté à tous les autres, en ôtant à ceux qui ne sont pas accoutumés au calcul, une base à l’aide de laquelle ils puissent entendre les changemens & s’y conformer, en rendroit le succès presqu’impossible. Ajoutons que non-seulement il faudroit deux chiffres nouveaux, mais que l’artithmétique parlée a pour base l’arithmétique décimale, ce qui obligeroit à la changer encore, de manière que les effets de tous ces changemens réunis, incommodes aux personnes les plus habituées à réfléchir, seroient insuppor-tables à toutes les autres.
Nous conclurons donc que l’échelle décimale doit servir de base à toutes les divisions, & que même le succès de l’opération générale sur les poids & mesures tient en grande partie à l’adoption de cette échelle. L’impossibilité d’avoir en nombres ronds de la division immédiatement inférieure, le quart d’une unité quelconque, & celle d’en avoir jamais le tiers, sont le seul inconvénient de cette échelle ; mais il est très-foible pour le quart. Au lieu de dire, par exemple, que celui d’une livre est quatre onces, on diroit qu’il est deux onces cinq gros, si la livre se divisoit en dix onces, & l’once en dix gros, & celui de la non divisibilité par trois n’est pas assez important pour sacrifier la con-

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cordance de toutes les divisions, ou s’exposer aux embarras qui naîtroient de l’adoption d’une nouvelle échelle arithmétique.


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Fait à l’Académie des Sciences, le 19 Mars 1791, sur le choix. d’une unité de mesure ;

Par MM. Borda, Lagrange, Laplace,
Monge & Condorcet.

L’IDÉE de rapporter toutes les mesures à une unité de longueur prise dans la nature, s’est présentée aux mathématiciens dès l’instant où ils ont connu l’existence d’une telle unité & la possibilité de la déterminer. Ils ont vu que c’étoit le seul moyen d’exclure tout arbitraire du systême des mesures , & d’être sûr de conserver toujours le même, sans qu’aucun autre événement, qu’aucune révolution dans l’ordre du monde pût y jetter de l’incertitude ; ils ont senti qu’un tcl systême n’appartenant exclusivement à aucune nation, on pouvoit se flatter de le voir adopter par toutes.

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En effet , si on prenoit pour unité une mesure déjà usitée dans un pays, il ferait difficile d’offrir aux autres des motifs de préférence capables de balancer l’espèce de répugnance, sinon philosophique, du moins très-naturelle, qu’ont les peuples, pour une imitation qui paroît toujours l’aveu d’une sorte d’infériorité : il y auroit donc au moins autant de mesures que de grandes nations. D’ailleurs, quand même presque toutes auroient adopté une de ces bases arbitraires , mille événemens faciles à prévoir, pourroient faire naître des incertitudes sur la véritable grandeur de cette base; & comme il n’existeroit point de moyen rigoureux de vérification, il s’établiroit à la longue des différences entre les mesures. La diversité qui existe aujourd’hui entre celles qui sont en usage dans les divers pays, a moins pour cause une diversité originaire qui remonte à l’époque de leur établissement, que des altérations produites par le tems. Enfin, on gagneroit peu, même dans une seule nation, à conserver une des unités de longueur qui y sont usitées; il n’en faudroit pas moins corriger les autres vices du systême des mesures, & l’opération entraîneroit une incommodité presque égale pour le plus grand nombre.
On peut réduire à trois les unités qui pa-

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roissent les plus propres à servir de base; la longueur du pendule, un quart de cercle de l’équateur, enfin un quart du méridien terrestre.
La longueur du pendule a paru en général mériter la préférence. Elle présente l’avantage d’être plus facile à déterminer & par conséquent à vérifier, si quelques accidens arrivés aux étalons en amenoient la nécessité. De plus, ceux qui voudroient adopter cette mesure déjà établie chez un autre peuple, ou qui, après l’avoir adoptée, auroient besoin de la vérifier, ne seroient pas obligés d’envoyer des observateurs à l’endroit où la première opération auroit été faite.
En effet, la loi des longueurs du pendule est assez certaine, assez confirmée par l’expérience pour être employée dans les opérations sans avoir à craindre que des erreurs imperceptibles. Quand même d’ailleurs on ne voudroit pas avoir égard à cette loi, on sent qu’une comparaison de la différence de longueur entre les
pendules une fois exécutée, pourroit toujours être vérifiée, & qu’ainsi l’unité de mesure deviendroit invariable pour tous les lieux où cette comparaison auroit été faite ; ainsi l’on y pourroit réparer immédiatement l’altération accidentelle des étalons, ou y déterminer la même unité de mesure à quelqu’époque que l’on prît

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la résolution de l’adopter. Mais nous verrons dans la suite qu’on peut rendre ce dernier avantage commun à toutes les mesures naturelles, & employer les observations du pendule à les vérifier; quoiqu’elles n’ayent pas servi de base à leur détermination.
En employant la longueur du pendule, il paroît naturel de préférer celle du pendule simple, qui bat les secondes au 45e degré. En effet, la loi que suivent depuis l’équateur jusqu’aux pôles les longueurs des pendules simples faisant des ocillations égales , est telle, que celle du pendule au 45e degré est précisément la valeur moyenne de toutes ces longueurs, c’est-à-dire, qu’elle etl égale à leur somme divisée par leur nombre. Elle est également une moyenne & entre les deux longueurs extrêmes prises, l’une au pôle, l’autre à l’équateur, & entre deux longueurs quelconques correspondanres à des distances égales, l’une au nord & l’autre au
midi de ce même parallèle. Ce ne seroit donc pas la longueur du pendule sous un parallèle déterminé qui seroit ici l’unité de mesure, mais la longueur moyenne des pendules inégaux entr’eux qui battent les secondes aux diverses latitudes.
Cependant nous devons observer que cette unité ainsi déterminée, renferme en elle-même

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quelque chose d’arbitraire. La seconde de tems est la quatre-vingt-six mille quatre centième partie du jour, & par conséquent une division arbitraire de cette unité naturelle. Ainsi, pour fixer l’unité de longueur, on emploie non-seulement un élément hétérogène (le tems), mais un élément arbitraire.
A la vérité on éviteroit ce dernier inconvénient, en prenant pour unité le pendule hypothétique qui ne feroit qu’une oscillation en un jour, longueur qui, divisée en dix milliards de parties , donneroit une unité de mesure usuelle d’environ vingt-sept pouces, & cette unité répondroit au pendule qui fait cent mille oscillations dans un jour. Mais alors on conserveroit encore l’inconvénient d’admettre un élément hétérogène, d’employer pour déterminer une unité de longueur, 1e tems, ou ce qui est la même chose ici, l’intensité de la force de gravité à la surface de la terre : or s’il est possible d’avoir une unité de longueur qui ne dépende d’aucune autre quantité, il paroît naturel de la préférer, D’ailleurs, une unité de tnesure prise sur la terre même, a un autre avantage, celui d’être parfaitement analogue à toutes les mesures réelles, que dans les usages communs à la vie, on prend aussi sur la terre, telles que les distances entre des points de sa surface,

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ou l’étendue de portion de cette même surface. Il est bien plus naturel en effet de rapporter la distance d’un lieu à un autre, au quart d’un des cercles terrestres, que de la rapporter à la longueur d’un pendule.
Nous avons donc cru devoir nous déterminer pour ce genre d’unité de mesure, & préférer ensuite le quart du méridien au quart de l’équateur. Les opérations nécessaires pour déterminer ce dernier élément, ne pourroient s’exécuter que dans des pays trop éloignés de nous, pour qu’elles n’entraînassent pas des dépenses & des difficultés fort au-dessus des avantages qu’on pourroit s’en promettre. Les vérifications, si jamais on vouloit y recourir, seroient plus difficiles pour toutes les nations, du moins jusqu’au tems où les progrès de la civilisation s’étendront aux peuples de l’équateur, tems malheureusement encore bien éloigné de nous. La régularité de ce cercle n’est pas plus assurée que la similitude ou !a régularité des méridiens. La grandeur de l’arc céleste, répondant à l’espace qu’on auroit mesuré , est moins susceptible d’être déterminé avec précision ; enfin on peut dire que chaque peuple appartient à un des méridiens de la terre ; mais qu’une partie seulement est placée sous l’équateur.

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Le quart du méridien terrestre deviendroit donc l’unité réelle de mesure, & la dix-millionième partie de cette longueur en seroit l’unité usuelle. On voit ici que nous renonçons à la division ordinaire du quart du méridien en degrés, du degré en minutes, de la minute en secondes ; mais on ne pourroit conserver cette ancienne division, sans nuire à l’unité du systême de mesure, puisque la division décimale, qui répond à l’échelle arithmétique, doit être préférée pour les mesures d’usage ; & qu’ainsi l’on auroit pour celles de longueur seules deux systêmes de division, dont l’un s’adapteroit aux grandes mesures, & l’autre aux petites. La lieue, par exemple, ne pourroit être à la fois & une division simple du degré, & un multiple de la toise en nombres ronds. Les inconvéniens de ce double systême seroient éternels : au contraire ceux du changement seront passagers; ils ne tomberont d’ailleurs que sur un petit nombre d’hommes accoutumés au calcul, & nous n’avons pas cru que la perfection de l’opération dût être sacrifiée à un intérêt, qu’à beaucoup d’égards nous pouvions regarder comme personnel.
En adoptant ces principes, on n’introduira rien d’arbitraire dans les mesures que l’échelle arithmétique sur laquelle leurs divisions doivent
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nécessairement se régler. De même il n’y aura rien d’arbitraire dans les poids que le choix de la substance homogène, & facile à retrouver toujours dans le même degré de pureté & de densité, à laquelle il faut rapporter la pesanteur de toutes les autres, comme, par exemple, si on choisit pour base l’eau distillée, pesée dans le vide, ou rappelée au poids qu’elle y auroit, & pris au degré de température où elle passe de l’état de solide à celui de liquide. C’est encore à ce même point de température que seroient rapportées toutes les mesures réelles employées dans les opérations, en sorte qu’il n’existeroit dans tout l’ensemble du systême rien d’arbitraire, que ce qu’il l’est nécessairement & par la nature même des choses.
Encore le choix & de cette substance & de ce terme de température est-il fondé sur des raisons physiques, & la conservation de l’échelle arithmétique actuelle prescrite par la crainte du danger auquel ce changement, ajouté à tous les autres, exposeroit le succès de l’opération entière.
La mesure immédiate du quart d’un méridien terrestre seroit impraticable; mais on peut parvenir à en déterminer la grandeur , en mesurant un arc d’une certaine étendue pour en conclure la valeur de l’arc total, soit immédia-

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tement, soit en déduisant de cette mesure, la grandeur d’un arc du méridien répondant à la centième partie de l’arc céleste de 90 degrés, & pris de manière qu’une moitié de cet arc soit au midi , & l’autre au nord , du 45e parallèle. En effet , comme cet arc est la valeur moyenne de ceux qui depuis l’équateur jusqu’aux pôles répondent à des parties égales de l’arc céleste , ou ce qui revient au même, à des distances égales en latitudes, en multipliant, cette mesure par cent, on aura encore la valeur du quart du méridien. Les accroissemens de ces arcs terrestres suivent la même loi que ceux du pendule, & l’arc qui répond à ce parallèle est moyen entre tous les autres, de la même manière que le pendule du 45e degré l’est entre tous les autres pendules.
On pourroit objecter ici que la loi des accroissemens des degrés, en s’avançant vers les pôles , n’est pas aussi certaine que celle des accroissemens du pendule , quoique l’une & l’autre ne renferment que la même supposition, celle de l’ellipticité des méridiens; on pourroit dire qu’elle n’a pas été confirmée également par les observations. Mais, 1°. il n’existe pas d’autre moyen d’avoir la valeur du quart d’un des cercles terrestes. 2°. Il n’en résulte aucune inexaétitude réelle, puisque l’on a la
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longueur immédiate de l’arc mesuré, avec laquelle celle que l’on aura conclue sera toujours dans un rapport connu. 3°. L’erreur qu’on peut commettre ici dans la détermination de la centième partie du quart du méridien ne seroit pas sensible. L’hypothèse elliptique ne peut s’éloigner de la réalité dans l’arc, dont la grandeur sera mesurée immédiatement; elle représentera nécessairement avec une exactitude suffisante la petite portion de courbe presque circulaire , & un peu aplatie , que forme cet arc. 4°. Enfin , si cette erreur pouvoit être sensible, elle pourroit aussi, par une conséquence nécessaire, être corrigée par les observations mêmes : il ne peut subsister d’erreurs qu’autant qu’elles seroient inappréciables.
Plus l’arc mesuré sera étendu, plus les détermi-nations qui en résultent seront précises; en effet, les erreurs commises dans la détermination de l’arc céleste, ou même dans les mesures terrestres, & celles de l’hypothèse, auront une influence d’autant moins sensible sur les résultats, que cet arc sera plus grand. Enfin, il y a de l’avantage à ce que les points extrêmes se trouvent l’un au midi , l’autre au nord du parallèle de 45 degrés, à des distances qui sans être égales,ne soient pas trop disproportionnées.

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Nous proposerons donc de mesurer immédia-tement un arc du méridien, depuis Dunkerque jusqu’à Barcelone, ce qui comprend un peu plus de neuf degrés & demi. Cet arc seroit d’une étendue très-suffisante, & il y en auroit environ six degrés au nord, & trois & demi au midi du parallèle moyen. A ces avantages se joint celui d’avoir les deux points, extrêmes également au niveau de la mer : c’est pour satisfaire à cette dernière condition qui donne l’avantage d’avoir des points de niveau invariables & déterminés par la nature, pour augmenter la grandeur de l’arc mesuré, pour qu’il soit partagé d’une manière plus égale, enfin pour s’étendre au-delà des Pyrénées, & se soustraire aux incertitudes que leur effet sur les instrumens peut produire dans les observations, que nous proposons de prolonger la mesure jusqu’à Barcelone. On ne peut satisfaire en même tems à la condition d’avoir les deux points extrêmes au niveau de la mer, & à celle de traverser le 45e parallèle, ni en Europe, ni même dans aucune autre partie du monde, sans être obligé de mesurer un arc d’une étendue beaucoup plus grande , à moins de prendre ou la ligne que nous proposons, ou bien un autre méridien plus occidental, depuis la côte de France jusqu’à celle d’Espagne.
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Ce dernier arc seroit plus également partagé par le 45e parallèle: mais nous avons préféré celui qui s’étend de Barcelone à Dunkerque parce qu’il suit la méridienne tracée en France, & qu’ainsi il existe déjà une mesure de cet arc, depuis Dunkerque jusqu’à Perpignan, & qu’il est avantageux de trouver dans les travaux déjà faits une vérification de ceux que l’on doit exécuter. En effet , si dans les nouvelles opérations on retrouve, pour la distance de Perpignan à Dunkerque , un résultat semblable dans toutes les parties, on a un motif de plus de compter sur la bonté de ses opérations. S’il se trouve des différences , en cherchant quelles en sont les causes, & de quel côté est l’erreur, on sera sûr de découvrir ces causes & de corriger l’erreur. D’ailleurs, en suivant cette direction, on traverse les Pyrénées dans une ligne plus facile à parcourir.
Les opérations nécessaires pour ce travail seroient, 1°. de déterminer la différence de latitude entre Dunkerque & Barcelone, & en général de faire sur cette ligne toutes les observations astronomiques qui seroient jugées utiles; 2°. de mesurer les anciennes bases qui ont servi à la mesure du degré faite à Paris, & aux travaux de la carte de France ; 3°. de vérifier par de nouvelles observations la suite

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des triangles qui ont été employés pour mesurer la méridienne, & de les prolonger jusqu’à Barcelone; 4°. de faire au 45e degré des observations qui constatent le nombre des vibrations que feroit en un jour dans le vide au bord de la mer, à la température de la glace fondante, un pendule simple, égal à la dix- millionième partie de l’arc du, méridien , afin que ce nombre étant une fois connu, on puisse retrouver cette mesure par les observations du pendule. On réunit par ce moyen les avantages du systême que nous avons préféré, & de celui où l’on auroit pris pour unité la longueur du pendule. Ces observations peuvent se faire avant, que cette dix-millionième partie soit connue. Connoissant en effet le nombre des oscillations d’un pendule d’une longueur déterminée, il suffira de connoître dans la suite le rapport de cette longueur à cette dix-millionième partie, pour en déduire d’une manière certaine le nombre cherché. 5°. Vérifier par des expériences nouvelles, & faites avec soin, la pesanteur, dans le vide, d’un volume donné d’eau distillée, prise au terme de la glace; 6°. enfin, réduire aux mesures actuelles de longueur les différentes mesures de longueur, de surface ou de capacité usitées dans le commerce, & les différens poids qui y sont en usage, afin de pouvoir
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ensuite par de simples règles de trois les évaluer en mesures nouvelles lorsqu’elles seront déterminées.
On voit que ces diverses opérations exigent six commissions séparées , occupées chacune d’une de ces parties du travail. Ceux à qui l’Académie en confieroit le soin, seroient en même tems chargés de lui exposer la méthode qu’ils se proposent de suivre.
Nous nous sommes bornés dans ce premier rapport, à ce qui regarde l’unité de mesures; nous nous proposons de présenter dans un autre, le plan du systême général qui doit être établi d’après cette unité. En effet, cette première détermination exige des opérations préliminaires qui demandent du tems, & qui doivent être préalablement ordonnées par l’Assemblée nationale. Nous nous sommes cependant déjà assez occupés de ce plan, & les résultats des opérations tant pour la mesure de l’arc du méridien que pour le poids d’un volume d’eau donné, peuvent être prévus d’une manière assez approchée pour que nous puissions assurer dès aujourd’hui qu’en prenant l’unité de mesure que nous venons de proposer, on peut former un systême général où toutes les divisions suivent l’échelle arithmétique, & dont aucune partie ne renferme rien qui puisse gêner dans les usages habituels.

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Nous nous bornerons à dire ici , que cette dix-millionième partie du quart du méridien qui seroit notre unité usuelle de mesure, ne différeroit du pendule simple, que d’un cent quarante-cinquième environ, & qu’ainsi l’une & l’autre unité conduisent à des systêmes de mesures absolument semblables dans leurs dispositions.
Nous n’avons pas cru qu’il füt nécessaire d’attendre le concours des autres nations, ni pour se décider sur le choix de l’unité de mesure, ni pour commencer les opérations. En effet, nous avons exclu de ce choix toute détermination arbitraire, nous n’avons admis que des élémens qui appartiennent également à toutes les nations ; le choix du quarante-cinquième parallèle n’est point déterminé par la position de la France, il n’est pas considéré ici comme un point fixe du méridien , mais seulement comme celui auquel correspondent la longueur moyenne du pendule & la grandeur moyenne d’une division quelconque de ce cercle. Enfin, nous avons choisi le seul méridien où l’on puisse trouver un arc aboutissant au niveau de la mer, coupé par le parallèle moyen, sans être cependant d’une trop grande étendue qui en rende la mesure actuelle trop difficile. Il ne se préfente donc rien ici qui puisse donner le plus léger prétexte au reproche d’avoir voulu affecter une sorte de prééminence.

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En un mot , si la mémoire de ces travaux venoit à s’effacer, si les résultats seuls étoient conservés, ils n’offriroient rien qui pût servir à faire connoître quelle nation en a conçu l’idée, en a suivi l’exécution.
Nous concluons en conséquence à présenter ce rapport à l’Assemblée nationale, en la priant de vouloir bien décréter les opérations proposées , & les mesures nécessaires pour l’exécution de celles qui doivent s’étendre sur le territoire de l’Espagne.


R A P P O R T

Fait à l’Académie des Sciences, le 11 Juillet 1792,
sur la nomenclature des mesures linéaires & superficielles;

Par MM. Borda, Lagrange, Condorcet
& Laplace.


L’ACADÉMIE, consultée par le ministre des contributions publiques, sur une innstruction relative au cadastre de la France, a témoigné dans sa réponse le désir que les mesures de cette grande opération fussent rapportées à la

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mesure universelle déjà suffisamment connue pour cet objet. Elle s’est imposé par-là le devoir de fixer & de dénommer l’unité de mesure univerfelle, & toutes les mesures linéaires & superficieiles qui en dérivent. Le comité qu’elle a chargé des mesures en général, s’est donc occupé de ces dénominations.
Dans un travail de ce genre , qui prête extrêmement à l’arbitraire & où il est si facile d’imaginer des nomenclatures à-peu-près également avantageuses, il étoit nécessaire de réunir un grand nombre de personnes éclairées, pour les consulter sur les nuances qui peuvent faire préférer une de ces nomenclatures aux autres. Plusieurs membres de l’Assemblée nationale & M. Jolivet, rapporteur du projet de cadastre du royaume, ont bien voulu se réunir à nous; après plusieurs conférences nous nous sommes arrêtés à la nomenclature suivante.
La division décimale étant convenue, il falloit fixer l’unité de mesure univerfelle & lui donner un nom , ainsi qu’à ses multiples & sous-multiples décimaux. Nous avons cru devoir prendre pour unité de mesure, la décimale du quart du méridien, qui doit devenir la plus usuelle, & cette décimale nous a paru être sa dix-millionième partie qui étant de 3 pieds & quelques lignes , remplacera l’aulne & la

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toise. Nous l’avons donc choisie pour unité de mesure & nous l’avons nommée mètre.
Les besoins de la société n’exigeant point néces-sairement des noms particuliers pour les multiples décimaux du mètre jusqu’à mille, nous nous sommes abstenus de leur en donner : mais l’étendue de mille mètres étant fort commode pour mesurer les grandes distances, nous l’avons nommée millaire, mot qui rappelle le rapport de cette nouvelle unité à l’unité principale, ou au mètre. Le millaire est la minute décimale du quart du méridien; il remplacera la lieue & ses usages.
Au-dessous du mètre les mesures décimales jusqu’à sa millième partie, sont très-usuelles, & nous avons long-tems balancé entre ces deux partis : ou de leur donner des noms d’une syllabe, mais isolés & indépendans de l’unité de mesure ; ou de leur donner des noms composés , mais qui rappellent leurs rapports à cette unité. Nous nous sommes enfin déterminés pour ce dernier parti, comme le plus simple , & parce que l’adoptant pour les mesures des superficies, des solidités, des capacités, des poids & des monnoies, on aura un systême entier de dénominations, uniforme pour toutes ces mesures & composé du plus petit nombre possible de mots arbitraires. On

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peut d’ailleurs espérer qu’un systême aussi simple sera adopté par les autres peuples; ce qui en simplifiant les rapports des dénominations de leurs mesures aux nôtres, augmentera les avantages d’une mesure universelle. L’académie dans le systême de mesures qu’elle a proposé, ayant également considéré tous les peuples, elle doit faire en sorte que leurs diverses nomenclatures, se rapprochent entr’elles autant que le permet la variété des langues, & sous ce point de vue, il n’est pas douteux que les nomenclatures méthodiques méritent la préférence. Voici donc le systême de dénomination des mesures linéaires que nous présentons à l’académie.
Nous fixons l’unité de mesure à la dix-millionième partie du quart du méridien, & nous la nommons mètre : au-dessus du mètre nous comptons sans aucune nouvelle dénomination jusqu’à mille mètres que nous prenons pour unité de mesure de grandes distances & que nous nommons millaire. Au-dessous du mètre, nous nommons sa dixième partie décimètre; sa centième partie centimètre; sa millième partie millimètre, &c. par analogie avec les fractions décimales dont l’introduction du nouveau systême de mesures rendra l’usage aussi familier que celui des nombres entiers.

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Nous avons ensuite considéré les mesures de superficie. Les besoins de l’arpentage exigent une unité de surface d’environ une ou deux mille toises carrées. Il existe en France une grande variété dans l’étendue & dans les dénominations de cette unité : un carré dont le côté seroit de cent mètres , nous a paru être l’unité de superficie la plus convenable. Il falloit lui donner un nom; celui d’arpent auroit causé de l’embarras & des erreurs par ses acceptions diverses ; nous avons préféré d’employer un mot nouveau. Nous avons donc nommé cette unité are, nom dérivé des mots latins area, arare, aralium, &c. qui ont rapport aux champs dont la mesure a donné naissance à l’arpentage & à la géométrie. Confor-mément à notre systême de dénomination des mesures linéaires, nous avons nommé déciare, centiare, &c. les dixièmes, centièmes, &c. de cette unité de mesure superficielle.
Les noms que nous venons de présenter à l’académie paroîtront d’abord un peu bizarres ; mais on sait avec quelle facilité l’usage fait disparoître ces bizarreries, & l’académie vient d’en avoir un exemple frappant dans la nouvelle nomenclature chimique. L’opération du cadastre du royaume qui exigera le concours d’un grand nombre de personnes intelligentes,

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répandra bientôt ce nouveau systême de dénominations & facilitera son introduction dans les autres mesures : nous croyons par cette raison devoir remettre leurs dénominations à un autre tems.


C O M P T E

Rendu par l’Académie des Sciences à la Convention Nationale, le 25 Novembre 1792, de l’état des travaux entrepris pour parvenir à l’uniformité des Poids & Mesures.

 

  LÉGISLATEURS,

L’académie des sciences vient rendre compte à la Convention nationale, de l’état actuel du travail sur les poids & mesures, dont elle a été chargée par l’Assemblée nationale constituante.
Pour accélérer ce travail, qui exige plusieurs opérations de différens genres, l’académie l’a divisé en cinq parties, pour chacune desquelles elle a nommé une commission particulière.

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La premiére de ces commissions doit déterminer, par des observations astronomiques & géodésiques l’étendue de l’arc du méridien terrestre qui traverse toute la France depuis Dunkerque jusqu’aux Pyrénées, & une petite partie de l’Epagne, depuis les Pyrénées jusqu’à Barcelone ; & de cette mesure, elle conclura la grandeur de la circonférence de la terre, pour y rapporter l’unité de mesure usuelle.
La seconde commission mesurera les bases sur lesquelles doivent s’appuyer les opérations géodésiques.
L’objet de la troisième est d’observer la longueur du pendule à secondes, prise au quarante-cinquième degré de latitude, & au bord de la mer, pour trouver ensuite le nombre d’oscillations que feroit en un jour un pendule simple, égal à la mesure conclue de la grandeur de la terre.
La quatrième commission déterminera le poids d’un volume donné d`eau distillée, & en conclura l’étalon général des poids.
Enfin la cinquième est chargée de comparer d’abord à la toise & à la livre de Paris toutes les mesures de longueur & de capacité, & tous les poids usités en France, & de déterminer ensuite leurs rapports avec les nouvelles unités de poids & de mesures.

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La première occupation des commissaires nommés par l’Académie, a été de faire construire les différens instrumens nécessaires pour leurs opérations. Ceux qui devoient servir aux observations astronomiques & géodésiques, étoient les plus pressés ; mais leur construction exigeant beaucoup de temps, ils n’ont pu être achevés que cette année, & c’est à la fin du printemps seulement, que les commissaires chargés de la mesure de l’arc terrestre, on pu commencer leur travail.
Le citoyen Méchain, l’un de ces commissaires, qui devoit mesurer la partie de la chaîne des triangles comprise depuis les Pyrénées jusqu’à Barcelone, est arrivé en Espagne au mois de juillet. Ses premiers travaux ont été d’aller reconnoître les sommets des montagnes qui pouvoient servir de points de station pour ses triangles, afin d’en former d’abord un plan général : revenu ensuite une seconde fois sur ces montagnes, il a mesuré tous les angles ; & maintenant, la chaîne des triangles qu’il devoit observer en Catalogne est déterminée.
Mais cet académicien a conçu le projet d’étendre beaucoup plus loin ses opérations ; il desireroit lier à son travail l’île de Mayorque, dont les hautes montagnes s’apperçoivent
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des hauteurs voisines de Barcelone & de Tortose, quoiqu’elles en soient éloignées d’environ quarante-cinq lieues ; il voudroit même aller jusqu’à la petite île de Cabrera, qui est au sud de Mayorque, & toujours à-peu-près sous le méridien de Paris. La mesure de l’arc terrestre comprendroit alors douze degrés d’un grand cercle, ou trois cents lieues communes de France en ligne droite, & le quarante-cinquième degré de latitude se trouveroit au milieu de l’arc mesuré, ce qui rempliroit complettement l’objet de l’académie : cette extension de travail donnera sans doute un nouveau prix à l’opération entreprise, qui sera fort au-dessus de tout ce qui a jamais été fait en ce genre, & annoncera l’ouvrage d’une grande nation.
Le gouvernement espagnol paroît s’honorer de concourir à ce beau travail : une corvette armée à Carthagène, a été envoyée en station à Barcelone, et est destinée à transporter le citoyen Méchain à Mayorque, à Tortose & à Cabrera, lorsque la suite des observations l’exigera. M. de Gonzalès, officier de marine très-instruit, qui commande la corvette, plusieurs autres officiers & ingénieurs accompagnent et secondent le citoyen Méchain, & par tout les ordres de M. de Lascy, commandant de la

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Catalogne, précédent & facilitent ses opérations.
Le citoyen Méchain, après avoir achevé toutes ses observations au-delà des Pyrénées, rentrera en France au printemps prochain; & continuant ses opérations, il viendra à la rencontre du citoyen Delambre, second commissaire qui, de son côté, a commencé la mesure des triangles autour de Paris. Une saison pluvieuse, des temps obscurs & brumeux qui font le désespoir des observateurs, ont contrarié les premiers travaux du citoyen Delambre ; des obstacles d’un autre genre ont encore ralenti sa marche; mais son courage & sa constance ont surmonté toutes les difficultés : il a déjà mesuré des triangles dans l’étendue de plus de 20 lieues, & la rigueur de la saison ne l’empêche pas de continuer encore ses travaux ; son zèle se proportionne à la longueur de la carrière qu’il doit parcourir.
Tandis que ces deux académiciens s’occupent des observations des triangles, on fait les préparatifs nécessaires pour la mesure des bases sur lesquelles ces triangles doivent s’appuyer; la commission qui en est chargée, en mesurera une première au printemps, & c’est celle qui a déja servi, dans le siècle dernier, pour la détermination du degré terrestre entre Paris
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& Amiens, & qui se trouve auprès de Paris, entre Ville-Juif & Juvisy ; une seconde sera mesurée dans le midi de la France ; et peut-être une troisième en Catalogne. Les commissaires se proposent de mettre, dans ce travail, des attentions & des soins particuliers, dont les Anglois leur ont donné l’exemp!e dans une opération de ce genre, qu’ils viennent de faire auprès de Londres. Ils espèrent ne pas leur rester inférieurs, & ils chercheront à les surpasser.
L’opération relative à la longueur du pendule, qui est l’objet de la troisième commission, est déjà fort avancée : de nombreuses expériences ont été faites à l’observatoire, par les citoyens Borda, Coulomb & Cassini, pour déterminer d’abord la longueur du pendule qui bat les secondes à Paris. Le choix des moyens qu’ils ont employés, le scrupule qu’ils ont mis dans leurs observations, & l’accord singulier de leurs résultats, pourroient, dès-à-présent, faire regarder cette première partie de leur travail comme suffisamment exacte ; mais ils se proposent de continuer encore leurs expériences pendant l’hiver, & ils ne les cesseront que lorsqu’ils croiront ne pouvoir plus ajouter aucun degré de précision à leur résultat. Nous mettons sur le bureau un mémoire

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dans lequel ces commissaires ont rendu à l’académie un compte sommaire de ces premières expériences, en attendant la oublication qu’ils feront de tous les détails de leurs observations, lorsque leur opération sera terminée.
Il reste encore à ces commissaires à comparer la longueur du pendule observée à Paris, avec celle qui a lieu au quarante-cinquième degré de latitude au bord de la mer; & c’est auprès de Bordeaux qu’ils achèveront cette dernière partie de leur travail.
Celui de la quatrième commission, qui doit déterminer le poids d’un volume donné d’eau distillée, & en conclure l’étalon des poids, va être incessamment commencé. Les commissaires chargés de ce travail, qui exige beaucoup de recherches & d’opérations délicates, espèrent qu’il sera terminé avant la fin del’hiver, & dès-lors ils seront en état de déterminer le nouvel étalon des poids, ou la nouvelle livre avec une précision déjà plus grande qu’il n’est nécessaire pour tous les usages ordinaires ; mais ils ne le fixeront absolument que lorsqu’ils auront pu comparer avec la mesure conclue de la grandeur de la terre, les dimensions du volume d’eau distillée dont ils auront trouvé le poids par leurs expériences.
Les quatre commissions dont nous venons de
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parler, ont un objet général qui intéresse toutes les nations; le travail de la cinquième commission regarde la France seule, puisqu’elle doit s’occuper uniquement de déterminer les rapports de nos mesures actuelles avec celles qui seront établies ; pour y parvenir, l’assemblée constituante avoit décrété que les différens départemens enverroient à l’académie les étalons de leurs mesures de longueur & de capacité, ainsi que les étalons des poids. Jusqu’à présent un petit nombre de départemens a satisfait au décret ; mais il faut espérer que, sollicités de nouveau par le ministre de l’intérieur, & mieux instruits de l’utilité de cette entreprise, ils chercheront à en hâter les succès.
L’académie vient de rendre compte à la Convention nationale, de l’état actuel de son travail sur les poids & mesures ; elle espère que les premiers mois de 1794 verront la fin de cette grande opération : il ne restera plus alors qu’à faire les étalons qui seront envoyés au différentes nations, & peut-être aussi aux compagnies savantes de l’Europe qui, par leur célébrité, peuvent le plus contribuer à en étendre l’usage: l’académie s’estimera heureuse de pouvoir y contribuer par elle-même, & elle se félicitera toujours d’avoir concouru à l’exé-

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cution d’un projet glorieux à la nation, utile à la société entière, & qui peut devenir, pour tous les peuples qui l’adopteront, un nouveau lien de fraternité générale.
Qu’il soit encore permis à l’académie de rappeler à la Convention nationale un autre projet adopté par l’Assemblée constituante, & qui se trouve intimement lié au premier : nous voulons parler du systême de division décimale à établir dans les mesures de toute espèce, dans les poids & dans les monnoies : cette division, dont l’usage n’exigera aucune nouvelle connoissance, facilitera tous les calculs du commerce, en les réduisant aux opérations les plus simples de l’arithmétique; & sera d’un avantage aussi grand & plus étendu pour toute la société, que l’uniformité même & l’universalité des poids & mesures.
Les commissaires de l’académie ont senti que ce systême devoit s’étendre jusqu’aux mesures dont l’astronomie & la géographie font usage. Déjà la division décimale a été employée & a remplacé l’antique division du cercle, dans les instrumens dont les citoyens Méchain & Delambre se servent pour la mesure de l’arc terrestre : elle l’a étê également dans une horloge astronomique destinée pour les dernières expériences sur la longueur du pendule ;
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cadémie s’occupe de réduire à cette division toutes les tables qui servent aux calculs des astronomes des navigateurs & des géographes, ouvrage immense que son zèle pour les sciences & pour tous les projets utiles lui fait entreprendre.
Le citoyen Lalande, faisant les fonctions de secrétaire de l’académie, a pris la parole & a dit :
LÉGISLATEURS,

L’académie des sciences demande à la Convention nationale la permission de lui offrir la collection entière des ouvrages qu’elle a publiés depuis son établissement. Cette collection, de plus de 150 volumes, renferme une partie des travaux, des académiciens sur toutes les sciences ; les ouvrages auxquels elle a adjugé des prix sur des questions difficiles & importantes de physique & de navigation; les mémoires que des savans étrangers à l’académie ont soumis à son examen ; la description des machines ingénieuses & utiles qui lui ont été présentées ; enfin la description d’un grand nombre d’arts, à laquelle les savans les plus éclairés, et les artisans les plus célèbres, se sont fait un devoir
de concourir.
Ce sont là les titres de l’académie à la re-

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connoissance publique; elle les offre avec confiance aux Représentans de la nation : ils y verront que, sans négliger jamais ces grandes théories nécessaires aux progrès des sciences, & par-là au perfectionnement des facultés humaines, à l’accroissement de nos moyens d’activité & de bonheur, l’académie a marqué une préférence constante, pour tout ce qui offre l’espoir d’une utilité sensible & prochaine ; ils y verront que les hommes qui, malgré les fautes d’un gouvernement despotique, ont su encore servir la raison, qui l’ont élevée et fortifiée lorsqu’on tendoit à l’opprimer, ne peuvent manquer de redoubler de zèle au moment où, sous la République Françoise, le génie peut choisir, à son gré, l’objet de ses méditations, où il peut se saisir de tous les moyens d’être utile, où enfin la raison est devenue la seule puissance réelle, la seule à laquelle des hommes égaux & libres ne dédaignent pas d’obéir.

Réponse du Président.

Citoyens, la Convention nationale applaudit à l’importance & au succès de votre travail. Depuis long-temps les phlosophes plaçoient au nombre de leurs voeux celui d’affranchir les hommes de cette différence des poids & des mesures qui entrave toutes les transactions so-

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ciales, & travestit la règle elle-même en un objet de commerce: mais le gouvernement ne se prêtoit point à ces idées des philosophes ; jamais il n’auroit consenti de renoncer à un moyen de désunion. Enfin, le génie de la liberté a paru ; & il a demandé au génie des sciences, quelle est l’unité fixe & invariable, indépendante de tout arbitraire, telle, en un mot, qu’elle n’ait pas besoin d’être déplacée pour être connue, & qu’il soit possible de la
vérifier dans tous les tems & dans tous les lieux. Estimables savans, c’est par vous que l’univers devra ce bienfait à la France. Vous avez puisé votre théorie dans la nature : entre toutes les longueurs déterminées, vous avez choisi les deux seules dont le résultat combiné fût le plus absolu, la mesure du pendule, et sur-tout la mesure du méridien; & c’est en rapportant ainsi l’un à l’autre, avec autant de zèle que de sagacité, la double comparaison du temps & de la terre, que par une confirmation mutuelle vous aurez la gloire d’avoir découvert pour le monde entier cette unité stable, cette vérité bienfaisante qui va devenir un nouveau bien des nations, & une des plus utiles conquêtes de l’égalité.
La Convention nationale accepte la collection précieuse dont vous lui faites hommage, & vous invite à sa séance.


R A P P O R T

Fait à l’Académie des Sciences, le 19 Janvier 1793,
sur l’unité des Poids & sur la nomenclature de ses divisions ;

Par MM. BORDA, LAGRANGE, CONDORCET
&
LAPLACE.
Borda, Lagrange, Condorcet
& Laplace.

L’ACADÉMIE ayant chargé les commissaires des poids & mesures de répondre à une série de questions qui lui ont été faites par le comité des assignats & monnoies de la Convention nationale, ces commissaires vont soumettre leurs réponses au jugement de l’académie.
Le comité des assignats & monnoies demande ,
1°. Si la précision du résultat des travaux de l’académie est dès-à-présent telle qu’on puisse s’en servir pour le systême monétaire en fixant avec une approximation suffisante l’unité de dimension linéaire que l’académie se propose devoir établir.
2°. Quelle sera la dénomination de cette unité, l’échelle & la dénomination de ses subdivisions.

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3°. Le rapport de cette unité & de ses subdivisions avec les mesures actuellement en usage, telles que le pied & ses subdivisions.
4°. Quelles seront les dénominations de l’unité de poids & de ses subdivisions dans le nouveau systême.
5°. Quel sera le rapport de cette unité avec celle qui est actuellement en usage, telle que la livre poids de marc.
Les commissaires vont d’abord répondre aux questions qui concernent l’unité des mesures linéaires ; ils parleront ensuite de l’unité des poids, & enfin des monnoies.
L’académie a proposé de prendre pour l’une des mesures linéaires, la dix-millionième partie du quart du méridien terrestre. Or nous pouvons dès-à-présent déterminer cette dix-millionième partie d’après la mesure des degrés de la méridienne de France : nous nous servirons pour cela des résultats donnés par l’ abbé de la Caille , dans le volume de nos mémoires (année 1758) ; suivant cet astronome, la grandeur du 45e degré de latitude conclue de la comparaison des diverses observations faites en plusieurs points de la méridienne, ainsi que de la mesure des bases & des triangles,
se trouve de 57027 toises : mais on sait que le 45e degré peut être regardé comme le degré

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moyen entre tous ceux d’un méridien ; par conséquent en multipliant cette quantité par 90, on aura l’étendue du quart du méridien, qu’on trouvera de 5,132,432 toises ou 30,794,380 pieds. Prenant ensuite la dix-millionième partie de cette quantité, on aura 3 pieds, 079458, ou simplement 3 pieds 11 lignes 44/100, & ce sera la valeur approchée de l’unité des mesures linéaires proposée par l’académie. Il s’agit d’évaluer la précision de cette détermination.
Nous remarquerons d’abord que Bouguer qui, comme l’on sait, avoit fait beaucoup de recherches sur les erreurs qu’on pouvoit commettre dans les observations astronomiques, estimoit qu’on ne pouvoit répondre de la mesure d’un arc céleste qu’à la précision de 7 ou 8 secondes (voyez son livre de la Mesure de la terre, page 8). D’après cela, si on adoptoit l’opinion de ce savant, comme l’arc qui a servi à l’ abbé de la Caille , pour conclure le 45e degré, se trouve de 6° 40’ ou 24000 secondes, on trouveroit que l’erreur dans la détermination de cet arc, seroit d’un 3400e ou d’un 3000e; ce qui, avec les petites erreurs commises dans la mesure des bases & celle des triangles, donneroit une incertitude,
de plus d’un trois millième sur la grandeur du méridien & par conséquent aussi sur l’unité

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des mesures linéaires que nous en avons déduite. Mais nous devons remarquer qu’il y a eu un si grand nombre d’observations faites dans la méridienne & que ces observations s’accordent si bien entr’elles, qu’il paroîtroit injuste d’évaluer leur précision d’après la règle générale de Bouguer , & nous ne croyons pas qu’on puisse supposer une erreur plus grande que 4 ou 5 secondes sur l’observation de l’arc céleste, qui a servi à déterminer le 45e degré. Dans, cette supposition, l’erreur sur la grandeur de ce degré seroit seulement d’un 5300e & ajoutant un 5e de cette erreur pour celle des bases & des triangles, on auroit l’erreur totale égale à-peu-prés à un 4500e ; ce qui répond à un 10e de ligne sur la longueur de notre unité des mesures linéaires.
Nous venons de répondre aux questions faites par le comité des monnoies sur la dimension de l’unité linéaire & sur la précision avec laquelle on peut la déterminer quant à présent. Ce comité demande encore quels sont les noms que nous proposons de donner à cette mesure & à ses subdivisions. L’académie a déjà énoncé sou avis à ce sujet dans un mémoire qu’elle a envoyé au minislre des contributions publiques au mois de juillet dernier, lorsqu’elle a été consultée par ce ministre, sur

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l’emploi des nouvelles mesures dans les opérations relatives au cadastre : nous joignons ici la copie de ce mémoire, dans lequel l’académie propose de donner à la mesure principale le nom générique de mètre, & de désigner ensuite les subdivisions par les noms de décimètre, centimètre & millimètre, qui rappellent le systême de division décimale auquel cette mesure & toutes les autres doivent être assujetties. On peut voir dans le mémoire, les
raisons qui ont engagé l’académie à adopter ces dénominations.
Nous joignons ici le rapport de ces mesures avec, notre pied ordinaire :

Nous venons de répondre aux questions sur l’unité des mesures linéaires, nous allons maintenant parler de l’unité de poids.
On a proposé de prendre pour cette unité le poids d’une mesure cubique d’eau distillée, ayant pour côté la dixième partie de la mesure linéaire que nous avons appelée décimètre, ou, ce qui est la même chose, la cent mil-

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lionième partie du quart du méridien terrestre Pour parvenir à cette détermination, il faut d’abord connoître par expérience la pesanteur d’un volume donné d’eau disfllée & la rapporter ensuite au décimètre cube.
L’expérience sur la pesanteur de l’eau vient d’être faite avec beaucoup de soin & de précision par les citoyens Lavoisier & Haüy , chargés de cette partie de la commission des poids & mesures : nous allons en donner un précis à l’académie.
Ces commissaires se sont servis pour leur expérience, d’un cylindre de cuivre creux, ayant environ 9 pouces de diamètre & 9 pouces de hauteur, fait par le citoyen Fortin , artiste distingué, avantageusement connu de l’académie. Il falloit d’abord pouvoir mesurer avec précision les dimensions de ce cylindre : une machine imaginée & exécutée par le même artiste leur en a fourni les moyens. Cette machine est sur-tout propre à mesurer les petites
différences qui se trouvent entre deux longueurs à-peu-près égales que l’on veut comparer entr’elles : une différence d’un 2000e de ligne y est rendue sensible par un index, & les mêmes opérations répétées plusieurs fois y donnent les mêmes résultats à un millième de ligne près.
Voici
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Voici le procédé qui a été suivi par les commissaires. Ils ont premièrement fait faire une règle de cuivre de 9 pouces de longueur, c’est-à-dire, à-peu-près égale aux dimensions principales du cylindre. Ensuite comparant successivement cette règle avec des diamètres du cylindre pris en différens points de sa longueur & avec des hauteurs prises également en différens points des surfaces planes, inférieure & supérieure, ils ont déterminé, au moyen de la machine, les petites différences entre cette règle & chacun des diamètres ou hauteurs mesurées : ils ont comparé de cette manière vingt-quatre diamètres & 17 hauteurs ; & prenant un milieu entre les résultats, ils ont conclu la différence entre la règle de comparaison & les dimensions moyennes du cylindre.
Cette première opération achevée, les commissaires ont fait faire sept autres règles à-peu-près égales à la première, & qu’on a eu le soin de couper de longueur, de manière que les huit prises ensemble & ajoutées bout à bout se trouvoient exactement égales à la toise de l’académie, Comparant ensuite chacune de ces sept règles avec la première, ils ont conclu le rapport de la règle de comparaison avec la toise, & comme ils avoient déjà les rap-
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ports de cette même règle avec les dimensions moyennes du cylindre, ils ont pu exprimer ces dimensions en parties de la toise de l’académie & comparer par conséquent la solidité du cylindre avec le pied cube.
Après avoir ainsi trouvé la solidité du cylindre, les commissaires se sont occupés à le peser dans l’air & dans l’eau. Ils l’ont pesé dans l’air avec une balance très-exacte appartenante au citoyen Lavoisier , laquelle est sensible au poids d’un grain lorsqu’elle est chargée d’un poids de 24 livres sur chaque plateau.
Pour le peser dans l’eau, les commissaires ont profité de ce que le cylindre se trouvoit un peu plus léger qu’un pareil volume du fluide; ils y ont fait ajouter une petite tige, & s’en servant ensuite comme d’un pèse-liqueur, ils ont pu déterminer avec beaucoup de précision le poids du volume d’eau déplacé.
Le résultat de cette expérience, dont les commissaires se proposent de communiquer les détails à l’académie, est que le pied cube d’eau distillée, réduite à la température de la glace & supposée dans le vuide, pèse 70 livres 60 grains poids de marc.
Le poids du pied cube d’eau étant ainsi connu, on a conclu celui du décimètre cube,

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ou la nouvelle unité de poids, en multipliant le poids trouvé par le cube du rapport du décimètre au pied, ou par le cube de la fraction décimale 0,3079458 ; faisant cette multiplication, on trouve l’unité des poids égale à 2 liv. 04438 poids de marc, ou 2 liv. 0 onc. 5 gr. 49 gr. ou 18841 gr.
Telle est l’unité des poids qui résulte, tant de l’expérience sur la pesanteur de l’eau que nous venons de rapporter, que de la grandeur du décimètre conclu du degré terrestre. Nous allons examiner la précision de cette détermination.
Examinant d’abord l’expérience, nous estimons que vu la précison de la machine qui a servi à mesurer le cylindre, le grand nombre de mesures par lesquelles on a déterminé les résultats moyens, & la manière directe avec laquelle les commissaires ont rapporté les dimensions du cylindre avec la toise de l’académie, il ne peut y avoir au plus qu’une erreur d’un 200e de ligne sur la hauteur moyenne & sur le diamètre moyen du cylindre ; or cette erreur n’en donneroit qu’une d’un 21,600e sur ces dimensions, & par conséquent une d’un 7200e sur la solidité : ajoutant l’erreur qu’on a pu commettte sur les pesées dans l’air & ans l’eau, que nous ne croyons pas excéder
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un trente ou quarante millième, on aura pour l’erreur totale possible sur la pesanteur de l’eau, un 6000e, ce qui répondroit seulement à un gros & demi sur la pesanteur du pied cube ou à ¼ de grain environ sur le poids d’un marc.
Quant à l’erreur qui vient de la grandeur supposée du décimètre, nous avons déjà dit qu’on ne pouvoit répondre de l’unité des mesures linéaires , & par conséquent de la longueur du
décimètre qu’à un 4500e près ; triplant cette quantité, pour rapporter l’erreur aux solidités ou aux poids, on en conclura que l’erreur sur le cube du décimètre peut être d’un 1500e.
Réunissant maintenant les deux erreurs trouvées, c’est-à-dire, un six-millième venant de l’expérience sur la pesanteur de l’eau & un quinze-centième venant de la détermination du décimètre, on trouvera que l’erreur totale sur l’unité des poids peut être d’un douze-centième, & c’est la plus grande que nous croyons devoir admettre.
Au reste, les commissaires espèrent obtenir des résultats plus précis encore sur la pesanteur du pied cube d’eau, mais cette précision seroit pour ainsi dire inutile quant à présent, parce que l’erreur qui vient de la grandeur supposée du degré terrestre, étant, comme on l’a vu, beaucoup plus grande que celle qui vient de

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l’expérience sur la pesanteur de l’eau, il n’en résulteroit jamais qu’une très-petite correction sur l’unité des poids. Ce ne sera qu’après avoir obtenu une mesure plus exacte du degré terrestre, qu’on pourra déterminer cette unité avec la précision convenable.
Il nous reste maintenant à parler des dénominations de cette seconde unité & de ses subdivisions. Nous pensons qu’elles doivent être déterminées d’après les mêmes principes que celles des mesures linéaires; c’est-à-dire, qu’il faudroit d’abord faire choix d’un nom générique pour l’unité principale & employer ensuite pour les subdivisions des mots composés qui rappellent la division décimale, comme on l’a fait pour le mètre & les subdivisions.
Nous proposerons à l’académie de donner à l’unité principale le nom générique de grave. Dans le cas où ce nom seroit adopté, les subdivisions pourroient être appelées décigrave, centigrave &, milligrave, & pour les subdivisions inférieures au milligrave, qui n’intéressent qu’un très-petit nombre d’états dans la société, on diroit des dixièmes, centièmes, millièmes de milligrave, comme on dira également pour les mesures linéaires des dixièmes, centièmes & millièmes de millimètre.
Telle est la nomenclature que nous propo-
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sons à l’Académie; nous ne nous dissimulons pas que ces noms, ainsi que ceux de décimètre, centimètre & millimètre ont le défaut d’être trop longs ; mais nous pensons que cet inconvénient est compensé par les avantages énoncés dans le rapport de l’Académie cité ci-dessus.
Voici maintenant la comparaison des nouveaux poids avec le poids de marc.

Nous allons maintenant répondre à la question principale faite à l’académie sur l’emploi de la nouvelle unité des poids dans le systême monétaire. Notre opinion est que cette unité est déjà déterminée d’une manière assez exacte pour qu’on puisse, sans inconvénient, y rapporter dès-à-présent le poids des monnoies fabriquées, & voici les raisons sur lesquelles nous nous fondons. Nous avons dit que l’incertitude qui reste dans notre détermination de l’unité des poids peut tout au plus être supposée égale à un 1200e, ce qui répondroit à environ 3 grains 5/6 par marc: or la loi n’exige des fabricateurs des monnoies qu’une précision de 36 grains par

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marc sur le poids des monnoies d’argent & de 15 grains par marc sur le poids des monnoies d’or ; ainsi l’erreur venant de notre unité des poids seroit neuf fois plus petite que celle que l’on permet sur les pièces d’argent, & quatre fois plus petite que celle que l’on permet sur les pièces d’or; il suit delà qu’en réglant dès-à-présent le poids des monnoies fabriquées d’après la nouvelle unité , il n’en résulteroit qu’une petite différence en plus ou en moins sur le remède de poids; nous devons même dire qu’il est très-probable que cette différence seroit beaucoup plus petite que celle qui est supposée dans notre évaluation. En effet, on a dû remarquer que nous ne sommes parvenus à notre résultat d’un 1200e d’erreur qu’en supposant que les erreurs partielles qui composent l’erreur totale sont toutes dans le même sens, que chacune d’elles est la plus grande qu’on ait pu commettre. Or, il n’est guère possible qu’il n’y ait quelques-unes de ces erreurs qui se compensent ou qui soient plus petites qu’on ne l’a supposé ; d’après cela notre détermination seroit beaucoup plus exacte que nous ne l’avons dit, & ses erreurs seroient d’une très-petite conséquence pour la fabrication des monnoies.
Pour donner à l’Académie une idée des nou-
S iv

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veaux poids auxquels on pourroit rapporter les pièces des monnoies, nous lui présentons trois pièces d’argent exactement étalonnées, d’après la nouvelle unité.
La première est du poids d’un centigrave ; en supposant que cette pièce fût d’un métal pur, sa valeur, comparée à nos monnoies seroit à très-peu près les trois quarts de celle-de l’écu de trois livres, c’est-à-dire, que cette pièce vaudroit 45 sols à très-peu près; en supposant qu’elle fût d’un métal allié & que par exemple l’alliage fût de 10 pour 100 (ce qui tiendroit le milieu entre le titre de nos monnoies & celui des piastres d’Espagne actuelles, la valeur du centigrave seroit de 40 s. 6 d.
Les deux autres pièces pesent, l’une deux centigraves, & l’autre deux centigraves & demi. Ainsi les valeurs de ces trois pièces seroient comme il suit :

Les commissaires des poids & mesures, après avoir répondu aux questions faites par le comité des assignats & monnoies croient devoir engager l’académie à représenter à ce comité,

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& peut-être aussi à celui des finances dont il fait partie, qu’il seroit bientôt tems d’établir dans la monnoie nominale ou la monnoie de comptes le systême de division décimale proposé par l’académie à l’Assemblée nationale constituante. Ce changement, qui seroit une préparation à celui des poids & mesures & qui favoriseroit le succès de ce dernier, pourroit être fait d’une manière très-simple & sans aucun embarras. Il suffiroit pour cela que l’Assemblée conventionelle voulût bien décréter qu’à compter d’une certaine époque, qui seroit par exemple le premier octobre de cette année, tous les comptes des dépenses publiques qui étoient exprimés en livres, sols & deniers tournois, le seroient en livres, dixièmes & centièmes de livre, & que tous les marchés des fournisseurs & entrepreneurs avec la république, faits postérieurement à cette époque, seroient stipulés de la même manière. Le décret pourroit en même tems charger les ordonnateurs des dépenses publiques d’envoyer à leurs agens une instruction sur la manière d’employer cette nouvelle division de l’unité des monnoies. Cette instruction qui pourroit être concertée awec l’académie des sciences seroit extrêmement simple & ne cousisteroit presqu’en un tarif pour réduire les sols & deniers en dixièmes & centièmes de

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livre. Il est aisé de voir que la nouvelle division ainsi employée par toutes les personnes chargées de rendre des comptes publics, se répandroit promptement dans la société & deviendroit bientôt d’un usage général.


E X A M E N  C H IM I Q U E

Du Cerveau de plusieurs animaux;

Par A. F. Fourcroy.


§.   I.

cerveau de veau.

e x p É r i e n c e
   I.

ON a pris, un cerveau de veau dépouillé le mieux possible des vaisseaux sanguins & des membranes qui sont interpolées dans ses circonvolutions; on l’a ensuite bien lavé à plusieurs reprises dans beaucoup d’eau distillée jusqu’à ce qu’il cessât de la colorer en rouge. On a mis un morceau de ce cerveau dans une fiole à médecine avec de l’eau distillée, qu’on a fait

 

Le périodique a été créé en 1789 par Guyton de Morveau, Lavoisier et leurs amis à la suite de leur désaccord théorique avec de La Métherie. Ils écrivaient auparavant dans les Observations sur la physique...

Il devient en 1816 Annales de chimie et de physique, qui, à partir de 1914, sont dédoublées en Annales de chimie et en Annales de physique.

Pour les périodes 1789-1793 (I-XVIII). 1797-1815 (XIX-XCVI), l'adresse est : A Paris, rue et hôtel Serpente, et se trouve à Londres, chez Joseph de Boffe, Libraire, Gerard-Street, n° 7 Soho.

Sur la page de titre les auteurs varient. Initialement, «Par MM. de Morveau, Lavoisier, Monge, Berthollet, de Fourcroy, le baron de Dietrich, Hassenfratz & Adet » .

Parmi les mémoires, cahiers, description d'expériences, extraits et annonces de livres paraît dans le numéro de mars 1793 un recueil de pièces relatives à la réforme des poids et mesures, rassemblant les documents suivants :

Recueil de Pièces relatives à l'uniformité des Poids & Mesures, Annales de Chimie ou Recueil de Mémoires concernant la Chimie & les Arts qui en dépendent par Guyton, Lavoisier, Monge, Berthollet, Fourcroy, Adet, Hassenpratz, Seguin, Vauquelin & Pelletier. Janvier 1793, Tome seizième. A Paris, rue & Hôtel Serpente. A Londres, chez Joseph de Boffe, Libraire, Gerard Street n°7 Soho. p. 225-282.