Ci-dessous la transcription du manuscrit de la première édition (1758) du Tableau économique. Dupont de Nemours dit qu'elle fut faite à Versailles.
    “Ces Maximes sont au nombre de trente, dont vingt-quatre ont été tirées de la première édition du Tableau économique faite au Château de Versailles. On y a joint les notes qui se trouvent dans la même édition avec très peu de changements; & elles justifieront bien l'éloge que nous avons cru devoir en faire dans l'Avertissement qui précède notre premier Volume de cette année, (pag. xlv). Tous ceux qui les liront & qui se rappelleront le lieu de leur première édition, y remarqueront, avec d'autant plus de plaisir, la Philosophie la plus libre, la plus noble, la plus honorable pour son Auteur, & la plus utile à répandre dans les Palais des Rois, pour leur propre avantage & pour celui des Nations qu'ils gouvernent.” Ephémérides, juin 1769 : 40-41
    Aucun exemplaire imprimé de cette édition n'a été retrouvé. Les passages en couleur représentent les corrections de Quesnay. L'orthographe et la ponctuation originales ont été conservées, sauf pour les apostrophes, qui ont presque toutes été ajoutées, parce qu'à cet égard un strict respect de la lettre a paru plus déformer le texte que le transcrire. Chaque feuillet est séparé du suivant par un filet horizontal. NdE]

  Tableau śconomique  
     
fournies par l'Agriculture prairies, patures, forests, &c., en grains, boissons, viande, bois, bestiaux, matieres premieres des marchandises de main-d'œuvre &c. Debit reciproque d'une classe de depenses à l'autre, qui distribue le revenu de 400 tt de part et d'autre, ce qui donne 200 tt de chaque cote, outre les avances qui sont conservées. et le proprietaire, qui dépense les 400 tt de revenu, en tire sa subsistance, les 200 tt distribuees à chaque classe de depenses peuvent y nourrir un homme dans l'une et dans l'autre Ainsi 400 tt de revenu peuvent faire subsister trois hommes chefs de famille. Sur ce pied 400 millions de revenu peuvent faire subsister 3 millions de familles estimées a trois personnes hors de bas age par famille. Les frais de la classe des depenses productives qui renaissent aussi chaque année et dont environ la moitié est en salaires pour le travail de cinq hommes, ajoutent 200 millions qui peuvent faire subsister encore 1 million de chefs de famille à 200 tt chacun. Ainsi ces 600 millions qui naitroient annuellement des biens-fonds pourroient faire subsister 12 millions de personnes conformement a cet ordre de la circulation et de la distribution des revenus annuels.

En marchandises de main d'œuvre, Logements, imposts, interests d'argent, domestiques, frais de commerce, denrées etrangeres, &c. Debit reciproque d'une classe de depenses a l'autre qui distribue le revenu de 400tt

Les deux classes depensent en partie sur elles memes, et en partie reciproquement l'une sur l'autre.

La circulation porte 400 tt a cette colonne sur quoi il faut retirer les 200 tt des avances annuelles reste 200 tt pour la depense

L'impost qui est rapporté a cette classe de depense est fourni par le revenu et par la classe des depenses reproductives et vient se perdre dans celle-ci, a la reserve de ce qui est reporté a la classe reproductive ou il renait dans le meme ordre que le revenu qui se distribue a cette meme classe mais toujours est il levé au prejudice du revenu des proprietaires ou des avances des cultivateurs, ou de l'epargne sur la consommation. Dans les deux derniers cas, il est destructif parce qu'il diminue d'autant la reproduction, il en est de meme de ce qu'il en passe a l'etranger sans retour, et de ce qui en est arreste par les fortunes pecuniaires des traitans chargés de la perception et des depenses.

Revenu total 400 tt reproduit avec les frais d'agriculture de 400 tt

Remarques sur les variations de la distribution des
revenus annuels d'une nation

On voit dans le tableau precedent que dans l'ordre de la circulation reguliere de 400 millions de revenu annuel #|ces quatre cens millions s'obtiennent au moyen de 600 millions d'avances, et se distribuent annuellement| a quatre millions de chefs de famille, il y a un million de proprietaires dont la depense est estimee du fort au foible 400ll pour chacun, et trois millions de chefs de famille occupés aux travaux ou emplois lucratifs qui chacun du fort au foible retire 200ll pour sa depense. Mais dans cette distribution on supose 1° que la totalité des quatre cens millions de revenu entre dans la circulation annuelle et la parcourt dans toute son etendue qu'ils ne se forment point de fortunes pecuniaires qui arrêtent le cours d'une partie de ce revenu annuel de la nation et qui retiennent le pecul ou la finance du royaume au prejudice de la reproduction du revenu, et de l'aisance du peuple 2° qu'une partie de la somme du revenu ne passe pas chez l'etranger sans retour en argent ou en marchandises 3° que la nation ne souffre pas de perte dans son commerce reciproque avec l'etranger, quand meme ce commerce seroit fort profitable aux commerçans en gagnant sur leurs concitoyens dans la vente des marchandises qu'ils rapportent ; car alors l'accroissement de la fortune de ces commerçans est un retranchement dans la circulation des revenus, qui est prejudiciable a la distribution et a la reproduction. 4° Qu'on ne soit pas trompé par un avantage aparent du commerce reciproque avec l'etranger, en en jugeant simplement par la balance des sommes en argent, sans examiner le plus ou le moins de profit qui resulte des marchandises memes que l'on a vendues et de celles que l'on achettées ; car souvent la perte est pour la nation qui reçoit un surplus en argent, et cette perte tourne au prejudice de la distribution et de la reproduction des revenus 5° que les proprietaires et ceux qui exercent les proffessions lucratives ne retranchent de la circulation et de la distribution, par une epargne sterile, une partie de leur revenu et de leur gain. 6° que l'administration des finances, soit dans la perception des imposts, soit dans les depenses du gouvernement, n'occasionnent point de fortunes pecuniaires qui derobent une partie des revenus a la circulation a la distribution et a la reproduction. 7° que l'impost ne soit pas destructif # |ou disproportionné a la masse du revenu de la nation ;| que son augmentation suive l'augmentation du revenu de la nation qu'il soit etabli immediatement sur le revenu des proprietaires et non sur les denrees où il multiplieroit les frais de perception et prejudicieroit au commerce ; qu'il ne se prenne pas non plus sur les avances des fermiers des biens fond dont les richesses doivent etre conservees pretieusement pour les depenses de la culture. 8° Que les avances des fermiers soit suffisantes pour que les depenses de la culture reproduissent au moins cent pour cent ; car si les avances ne sont pas suffisantes les depenses de la culture sont plus grandes et produissent peu de revenu net # |en france elles ne produissent enproffit net qu'environ trente pour cent| 9° que les enfans des fermiers


s'etablissent dans les campagnes pour y perpetuer les laboureurs car si quelques vexations leur font abandonner les campagnes et les determinent a se retirer dans les villes ils y emportent les richesses de leurs peres qui etoient employés a la culture 10° Que l'on evite la desertion des habitans qui emportent leurs richesses hors du Royaume 11° Que l'on empeche point lecommerce exterieur des denrées du cru car tel est le debit telle est la reproduction 12° Qu'on ne fasse point baisser le prix des denrees et des marchandises dans le Royaume car le commerce reciproque avec l'etranger deviendroit desavantageux a la nation 13° Que l'on ne croye pas que le bon marché des denrees soit profitable au menu peuple car le bas prix des denrées fait baisser leur salaire diminue leur aisance, leur procure moins de travail ou d'occupation lucrative et diminue le revenu de la nation. 14° Qu'on ne diminue pas l'aisance du bas peuple, car il ne pouroit pas assez contribuer a la consommation des denrées qui ne peuvent etre consommees que dans le pays, et la reproduction et le revenu de la nation diminueroit. 15° Qu'on favorise la multiplication des Bestiaux, car c'est eux qui fournissent aux terres les engrais qui procurent les riches moissons. 16° Que l'on ne provoque point le luxe de decoration, parce qu'il ne se soutient qu'au prejudice du luxe de subsistance qui entretient le debit et le bon prix des denrees du cru, et la reproduction des revenus de la nation. 17° Que le gouvernement œconomique ne s'occupe qu'a favoriser les depenses productives et du commerce exterieur des denrées du cru, et qu'il laisse aller d'elles memes les depenses steriles. 18 Qu'on n'espere des ressources pour les besoins extraordinaires de l'état que de la prosperité de la nation et non du credit des financiers, car les fortunes pecuniaires sont des richesses clandestines qui ne connoissent ni Roi ni patrie 19° Que l'état evite les emprunts qui forment des rentes financieres et qui occasionnent un commerce de finance ou d'agiot par l'entremise de papiers commerçables où l'escomte augmente de plus en plus les fortunes pecuniaires steriles ; car on prefere ces rentes et ces gains usuriers aux revenus de l'agriculture que l'on abandonne et que l'on prive des richesses necessaires pour l'amelioration des biens fond et pour la culture des terres. 20° Qu'une nation qui a un grand territoire a cultiver et la facilité d'exercer un grand commerce de denrees du cru, n'etende pas trop l'employ de l'argent et des hommes aux manufactures et au commerce de luxe, au prejudice des travaux et des depenses de l'agriculture car preferablement a tout le royaume doit etre bien peuplé de riches laboureurs. # |21. Que le gouvernement soit moins occupe des soins d'epargner que des operations necessaires pour la prosperité du Royaume ; car de trop grandes depenses peuvent cesser d'etre excessives par l'augmentation des richesses 22. Qu'on soit moins attentifs a l'augmentation de la population qu'a l'accroissement des revenus ; car l'aisance que procure de grands revenus est preferable aux besoins pressans de subsistance qu'exige une trop grande population,et il y a plus de ressources pour les besoins de l'etat quand le peuple est dans l'aisance.|
Il y a sans doute des royaumes où aucune de ces conditions n'existe ; et on dit que tout est bien ; cela est vray, car independamment de ces conditions un grand etat peut etre egal a un petit, et avec ces conditions un petit etat peut etre egal a un grand : De la nait cet equilibre de puissances entre les nations, recherché dans l'ordre politique.