Extraits de lettres de TURGOT à DU PONT DE NEMOURS
relatives à la publication de
l'Examen de l'Examen du Livre intitulé, Principes de la liberté du Commerce des grains.

 

(Source : œuvres de Turgot et documents le concernant avec Biographie et Notes
par Gustave SCHELLE.)


Turgot intendant de Limoges, 1768-1774.
Paris, Librairie Félix Alcan, 1919.

 

Limoges, 2 décembre. [1768]

« Vous êtes assurément, mon cher Du Pont, tenax propositi vir. Cette qualité est bonne à bien des choses et je vois qu'elle l'a été à vous faire arriver à Orléans, malgré tous les obstacles ; puisque votre santé n'a point souffert du mauvais temps, je vous pardonne votre opiniâtreté. L'abbé de Véri m'a mandé que vous aviez fait aller votre cheval en poste pour le soulager.

Vous avez mal entendu ma lettre : Desmarets n'avait poin perdu vos papiers et vous les recevrez en deux paquets que je vous conseille de demander chez M. de F. et chez son gendre. Pour votre malle, il n'a pas été possible de la faire plomber.

J'ai reçu le tome XI des Ephémérides et j'ai vu avec grand plaisir qu'on n'y avait pas mis l'Examen de l'examen, mais j'ai trouvé l'extrait du Magistrat de Rouen (Réponse du magistrat de Normandie au gentilhomme de Languedoc, sur le commerce des blés, des farines et du pain) bien maigre ; il fallait une réfutation.

Je joins ici une rescription sur M. Fontaine ; j'aurais mieux aimé qu'elle eût été sur l'extraordinaire des guerres, vous auriez eu moins de chemin à faire. J'ai un peu ri de vos raisonnements sur les dépenses du voyage. Soyez tranquille sur l'avenir; quant au présent, le moyen le plus naturel d'y pourvoir est de vous faire avoir une gratification. Je ne vous oublierai pas auprès de M. M. et M. d'I.

Vous savez qu'on a décrété un pauvre diable qui avait mar-|chandé la récolte d'un fermier en vert. Voilà apparemment ce que ces Messieurs appellent monopole. Je n'accaparerai sûrement pas leur bon sens, car il est encore bien loin de sa maturité, si jamais il doit y arriver, ce dont je doute très fort.

On dit que les placards continuent; je ne doute pas que cela fasse redoubler l'espionnage et les patrouilles de nuit.

Adieu, mon cher Du Pont, je vous souhaite bien de la santé et bon courage. Mandez-moi si vous tirez quelque chose au clair sur le produit des Ephémérides et sur le nombre des souscripteurs.

Desmarets vous dit mille choses ; il est tout honteux du peu de crédit qu'il a dans l'atmosphère.

Je vous ai écrit lundi dernier par une occasion particulière. Accusez-moi, je vous prie, la réception de ce paquet et celle des papiers que vous avez confiés à Desmarets.

Adieu, mon cher Du Pont, je vous souhaite bien de la santé et bon courage. Mandez-moi si vous tirez quelque chose au clair sur le produit des Ephémérides et sur le nombre des souscripteurs. » (20-21)


Limoges, 13 janvier. [1769]

« Je ne comptais plus vous écrire, mon cher Du Pont, mais vos dernières lettres exigent réponse sur quelques articles ; ainsi je vous dirai :

1° Que j'ai reçu de vous huit lettres seulement ; celle qui me manque est celle du 8 décembre ; encore suis-je persuadé que vous ne l'avez point écrite, car celle qui est partie le 11 et que j'ai sous les yeux me paraît être la seconde que vous ayez écrite et non la troisième.

2° Voici la réponse de M. Barbou celle qui a accompagné | votre sixième, ou plutôt de son commis, car il encore trop malade pour écrire. Elle est telle que vous pouvez la désirer et telle qu'elle devait être. Il fera prendre le mauvais papier par son frère de la rue Saint-Jacques qui saura bien en trouver l'emploi.

3° Je ne pense pas que vous deviez encore vous décourager sur les mauvaises impressions et les coups de corne. Je sonderai moi-même le terrain et j'espère que je pourrai un peu détruire l'idée qu'on avait de vous, si tant est qu'on l'eut. Je certifierai que vous êtes une très bonne tête et qui est très près de la juste température mitoyenne entre l'eau bouillante et le terme de la glace. Cet Apis devrait pourtant être bien content de vous dans le nouveau volume dont je suis enchanté.

4° Et non moins enchanté du parti que vous avez pris de donner séparément l'Examen de l'examen. Cela s'appelle lever noblement les difficultés ; il est dommage que vous ne puissiez pas aussi donner gratis au public les œuvres prolixes de M. B. Vous y gagneriez, je crois, plus que vos frais. Votre extrait de Chinski est très agréable et celui du Ne quid nimis un chef d'œuvre. Il n'y a que la plaisanterie de M. Pincé que je n'aime pas à moins qu'elle n'ait rapport à quelque ouvrage de Forbonnais sous ce nom, auquel cas il aurait fallu une note pour expliquer ce que c'est.

5° Je suis fort aise que vous ayez vu d'Angivillier; c'est un garçon qui a de l'esprit, des connaissances et une âme très honnête.

6° J'ai été ci-devant opposé à toute dédicace, cependant, vu les vents qui soufflent, l'exemple d'Arion est fort tentant et je me range à l'avis du docteur et de M. de Saint-Mégrin, pourvu | que la dédicace soit très bien faite et noble sans affectation, chose difficile. Au reste, votre volume ne sera pas publié le 20 janvier et nous aurons encore le temps d'en causer. Une dédicace s'imprime fort bien après tout le reste du volume.

Vous m'apprenez que la mouche du coche est une abeille, mais j'y trouve cette différence, c'est qu'avec l'autre mouche, le coche allait, du moins suivant son fidèle historien, Jean de La Fontaine, au lieu que je doute fort que le coche aille avec celle-ci. Cela ne vient pas de la différence des mouches, mais sans doute de la différence des bourbiers; je plains les pauvres chevaux !

Adieu, mon cher du Pont, je vous embrasse, et je sens bien vivement tous les témoignages de votre amitié. Mes compliments à Mme Du Pont.

Je me rappelle qu'Arion vivait dans un temps et nous dans un autre. Les naturalistes prétendent que l'animal qui lui fut si utile a beaucoup perdu de ses bonnes qualités et qu'aujourd'hui il n'a plus ni l'oreille aussi sensible, ni le caractère aussi officieux. Le pauvre Arion se noierait sans trouver qui vînt l'aider à nager. » (55-57.)