De la Première Invention et de l'Usage de la Monnaie Ch. I |
La Monnaie fut d'abord inventée en tant que Gage et au lieu d'une Sûreté, car quand les hommes vécurent par l'Echange de ce qui leur faisaient Défaut et de ce qu'ils avaient en Excès, les deux parties ne pouvaient pas toujours sur le moment s'accorder ; ce pourquoi la Nature corrompue de l'Homme rendit rapidement nécessaire, que le bénéficiaire laisse en Gage quelque chose de valeur, afin de pourvoir les donneurs de ce qu'ils désiraient dans semblable occasion : avec le Temps on découvrit aisément que ce Gage devait être quelque chose de pas trop commun, ni de facile à consommer par l'usage, ou d'altérer faute d'usage, et cette chose fut la Monnaie.
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chap. II De la Matière de la Monnaie. |
DE toutes les choses dont la Monnaie pouvait être faite, aucune n'était aussi appropriée que les Métaux, comme le Cuivre, l'Argent, mais par dessus tout, l'Or ? car ils sont d'abord utiles, ce qui leur confère une valeur, ensuite ils ne sont pas très répandus, ce qui accroît celle-ci; ils peuvent être divisés en aussi petites parties que l'on veut, et refondus ensuite en une masse plus grande : ils sont susceptibles de recevoir n'importe quelle forme, marque ou impression et propres à l'admettre; ils sont excessivement résistants aux Dégradations du temps ou accidentelles, ils sont difficiles à corrompre naturellement, surtout l'Or, sur la durabilité et l'incorruptibilité duquel les Alchimistes, qui ont le plus tourmenté ce corps, écrivent des merveilles; au point qu'on affirme, Qu'il est plus difficile de détruire l'Or que d'en faire ; et ils ont diverses autres propriétés qui les accomodent à la matière de la Monnaie ; de sorte que le monde entier les a par consentement général, et de tous temps acceptés à cette fin, particulièrement l'Or et l'Argent, dont j'entends principalement traiter : Il est vrai que nombreux sont certains Pays, qui se sont auparavant servis, et se servent encore d'autres choses à la place de l'Argent : (comme par exemple à l'heure actuelle) en Ethiopie où l'on se sert de certaines pierres de Sel en guise de Monnaie; de Coquillages en Guinée ; de Cacao en Nouvelle-Espagne, de Coco au Pérou, l'un étant un fruit, l'autre une herbe : mais dans tous ces Pays l'on trouvera qu'une certaine valeur est attachée à l'Or et à l'Argent, au moyen principalement desquels la valeur de toutes les autres choses est établie, et que ces autres choses ne servent que de Monnaie de billon dans les divers Pays d'Europe où cette monnaie est courante dans certaines limites, en fontion de [12] la Loi ou de la Coutume du Lieu ; mais ces pays ne peuvent pas ne pas avoir de Monnaie d'Or et d'Argent, à moins de s'exclure de tout commerce avec les autres Nations : Et à cet effet l'Invention de Lycurgue fut admirable, qui désirant couper ses Concitoyens de tout commerce avec les autres nations, bannit sous peine de fortes sanctions tout l'Or et tout l'Argent de la Cité*; et tant que la Prohibition fut respectée, elle préserva intégralement les Us et Coutumes de la Cité du mélange avec les autre Nations* : mais quand l'ambition et le plaisir les eut engagés* dans le Commerce des autres Nations, alors l'Or et l'Argent passèrent dans les usages malgré toutes les Oronnances, grâce à la valeur universelle qui leur est attribuée. Je montrerai ci-après l'Erreur importante et courante qu'il y a à croire que les Princes peuvent attribuer à l'Or et à l'Argent la valeur qu'ils veulent, en surhaussant et en dépréciant leurs Monnaies, alors qu'en vérité l'Or et l'Argent garderont vis-à-vis de ce qu'ils servent à évaluer, la même proportion, que celle que le consentement général des autres Nations leur attribue, s'il y a Commerce* avec d'autres Nations : Par cet échange il se fait, que si le prix de l'Or et de l'Argent s'élève, le prix de toutes les Denrées s'élève conformément à l'élévation de l'Or et de l'Argent; de sorte que même si un Prince ou un Etat élève à sa guise le prix de l'Or et le prix de l'Argent, ceux-ci conserveront vis-à-vis des autres choses qu'ils servent à évaluer la même proportion, que celle que le consentement général des Nations voisines leur attribue : et cette valeur universelle de l'Or et de l'Argent, l'hôtel des monnaies, même en ce qui concerne la monnaie, l'appelle Intrinsèque, et on appelle Extrinsèque la valeur locale, en tant qu'elle dépend de l'impression de la marque et des ordonnances de l'Etat. Maintenant on dit que la Monnaie a une valeur Intrinsèque suivant le titre et le poids de l'Or et de l'Argent, que [13] l'on calcule en France (et de même anciennement en Angleterre.) d'abord pour l'Or, en le divisant en 24 parties, qui sont appelés Carats, de sorte que lorsqu'on dit que l'Or est à 23 Carats de fin, cela signifie qu'il y a une 24e partie d'Alliage mêlé à l'Or ; ou que l'Or est à 22 carats de fin, donc qu'il y a une 12e partie d'Alliage : ou qu'il est à 22 carats et un quart de fin, donc qu'il y a autant d'Alliage que nécessaire pour arriver à 24 parties.
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