
AVERTISSEMENT.
Ces Réflexions ne mont point
semblé de nature à être lues à lAssemblée
Nationale. Jai préféré de les faire imprimer
, & de les distribuer à tous ses Membres. Il ma paru
que cétoit un de ces sujets, qui ont plus particulièrement
besoin de se présenter au Corps Législatif avec lappui
de lOpinion publique : quoiquen le traitant, jaie consulté,
comme je le devois, les personnes de
lArt, que je me sois aidé de leurs lumières, je sens
que cela ne doit point suffire ; & je présume que lAssemblée
Nationale ne voudra rien prononcer à cet égard, sans connoître,
avant tout , le sentiment de lAcadémie des Sciences, à
qui appartient, à si juste titre, le droit de fixer toutes les
Opinions sur ces sortes de matières.
PROPOSITION
FAITE
A LASSEMBLÉE NATIONALE,
SUR
L E S P O I D
S E T M E S U R E S ,
PAR
M. LÉVÊQUE DAUTUN.
Linnombrable
variété de nos poids & de nos mesures & leurs dénominations
bisarres jettent nécessairement de la confusion dans les idées,
de lembarras dans le commerce. Mais ce qui particulièrement
doit être une source derreurs & dinfidélités,
cest moins encore cette diversité, en elle-même, que
la différence des choses sous luniformité des noms.
Une telle bigarure, qui est un piége de tous les instans pour la
bonne foi, est bien plus commune quon ne le pense, puisque, méme
sous les noms auxquels lusage semble avoir le plus attaché
lidée dune mesure fixe, tels que
A 2
( 4 )
pied, aulne, &c. il existe une foule de différences très-réelles
(1). Rien ne sauroit justifier un semblable abus.
Il étoit réservé à lAssemblée
Nationale de lanéantir.
(1) Tableau
des principales différences des
Poids & Mesures usités en France.

( 5 )
Je ne retracerai
point ce que nous apprend lhistoire concernant ce point de léconomie
politique. Il faut dire

A 3
( 6 )
pourtant que les Romains en avoient senti tout les avantages.
Ce Peuple (& le fait est remarquable dans la discussion actuelle), en laissant
subsister parmi cette foule de Nations conquises toutes les différences
de loix, de

Ce
Tableau nest quun extrait fort abrégé des principales
différences entre les poids & mesures du Royaume indiquées
dans lEncyclopédie par ordre de matières, dans Giraudeau,
Paucton, &c.
( 7 )
langues, de moeurs & dusages, ne fit quune exception :
ce fut en faveur de luniformité des poids & des mesures
quil exigea & quil obtint par-tout. Charlemagne apperçut
ce fruit de la sagesse Romaine ; il le recueillit avec soin & en fit
jouir ses sujets. Mais bientôt ses successeurs abandonnèrent
à lanarchie féodale tous les établissemens
qui avoient signalé son régne : chacun de ses innombrables
vassaux qui déchiroient la France, eut, dans sa petite Souveraineté,
son poids & sa mesure, comme ses loix & sa monnoie particulière.
Sous la troisième race, Philippe-le-Long, & après lui
Louis XI essayèrent de rétablir luniformité
de ce régime primitif ; mais leurs efforts échouèrent
contre les obstacles qui appartenoient à ces régnes de confusion.
Cette idée parut longtemps perdue :elle dut reparoître dans
un siècle de lumières.
Sous le règne de
Louis XIV, trois Académiciens célèbres, MM. Amontons,
Picard & Huyghens, la reproduisirent.
Louis XV alloit la réaliser, lorsque les préparatifs dune
guerre tournèrent ailleurs ses regards. Enfin limportance
de cette réforme soffrit au génie actif de M. Turgot;
il étoit digne de lapprécier, & il alloit y attacher
son nom quand il quitta le Ministère.
Vous ferez aujourdhui
ce que ce grand homme regretta de navoir pu faire. La Nation vous
aura encore cette obligation. Non-seulement le commerce
vous devra des encouragemens par le mouvement rapide imprimé à
sa marche, par une circulation nécessairement plus productive ;
mais la propriété foncière, la culture,
lindustrie,
A 4
( 8 )
mais la consommation journalière en éprouveront
un avantage sensible. Lhabitant des campagnes, obligé dassurer
sa subsistance par le débit de ses productions, ne sera plus découragé
à la vue de cette foule de poids & de mesures différentes
qui lattendent de tous côtés pour peu quil séloigne
de son séjour ordinaire. Quels soupçons, en effet, ne doit
pas éveiller dans son esprit cette variété dont la
seule étude lépouvante ? Aussi ose-t-il à peine
quitter le cercle étroit qui renferme ses possessions : enchaîné
aux mêmes lieux, aux mêmes correspondans, il préfère
à un gain trop incertain une perte réelle, tandis que de
son côté lacheteur étranger naborde quavec
crainte un marché inconnu. Il faut que désormais
le citoyen rassuré, soit quil vende, soit quil achete,
puisse librement parcourir tous les marchés du Royaume ; quil
y verse avec confiance ses denrées ou son argent ; quil sy
voie à labri de la fraude, sous la protection de la loi.
Eh ! combien il la bénira cette loi, lorsquaprès en
avoir éprouvé les bienfaits sous tant de rapports essentiels,
il la retrouvera encore attentive à ses moindres besoins !
Opposera-t-on à
cette réforme lintérêt du Négociant
? Osera-t-on dire que plusieurs branches du commerce de Province à
Province ne subsistent que par linégalité des poids
& mesures qui assure un bénéfice au Marchand
?
Rapporter une telle objection,
cest plus que la résoudre car lobjection elle-même est
la preuve la plus frappante de la nécessité de la réforme.
( 9 )
Un semblable commerce
est fondé tout entier sur lignorance des acheteurs : or vouloir
conserver un commerce quelconque qui ne subsiste quaux dépens
de lignorance, cest évidemment vouloir protéger
la fraude & la mauvaise foi. Les besoins réciproques
; voilà le principe du commerce : la bonne foi &
la confiance ; en voilà les seuls fondemens.
Qui ne sait dailleurs
que les hommes sont en général devenus trop éclairés
par la concurrence de leurs intérêts pour
ne sêtre pas enfin apperçu que le prix quelconque
dune denrée ne doit saccroître, au-delà
de sa valeur primitive, que du remboursement des frais
nécessaires, du salaire des Agens & de lintérêt
des avances ?
On présente une
difficulté, plus apparente dans la commotion que semble devoir
exciter un changement soudain, une introduction subite de poids &
de mesures nouvelles; mais ce sont encore là de vaines terreurs,
dont on auroit pu salarmer dans dautres temps, & quil ne vous convient
pas de partager.
Je nignore point
la résistance quoppose la routine, cette ennemie aveugle
& opiniâtre du bien quon lui présente, tant quil
porte le caractère de la nouveauté; je sais avec quelle
persévérance elle se replie sans cesse sur elle-même
pour perpétuer son Empire.
Mais pourtant, quon ne
pense pas quune telle résistance nécessite de bien grands
efforts. Des moyens simples, prudemment ménagés, de la patience
dans lexécution, sur-tout une instruction claire qui pénétrera
doucement tous les esprits, doivent suffire pour opérer
Proposition de lEv.
dAutun. A 5
( 10 )
un changement qui nest au reste que le complément de ce que vous
avez déja fait.
On peut même dire
que déja lopinion a préparé les voies. De toutes
parts, on sattend à retrouver dans cette partie la même
uniformité que vous avez établie ou arrêtée
dans les autres branches de ladministration, dans la contribution, dans
la législation, &c. ; le voeu des Provinces, consigné
dans leurs instructions y est même formel & nous promet que
ce nouveau bienfait sera reçu avec la même reconnoissance
que ceux qui lont précédé.
Ici se présente
un rapprochement frappant. Pendant plusieurs siècles la féodalité
regarda comme un de ses plus glorieux priviléges de créer,
pour les diverses parties de la France une prodigieuse bigarure de monnoies
: cétoit autant de barrières qui séparoient
les habitans dun même Royaume. Le numéraire
à chaque instant arrêté dans sa marche, à chaque
instant intercepté par des changes, vérifié,
refondu dans cette foule dHôtels de Monnoies dont la France
étoit couverte, finissoit par se concentrer dans un petit nombre
de mains avides, tandis quune pauvreté irrémédiable
affligeoit presque luniversalité du Peuple François.
Malgré les énormes abus de cet absurde régime, lhabitude
& le préjugé sembloient les protéger contre toute
innovation. Cependant le Gouvernement reconquit lunité du
Pouvoir exécutif. Un des premiers usages quil en fit, fut
de rendre à la circulation, luniformité dune
monnoie exclusive. Un tel changement, loin dexciter des troubles,
frappa tous les esprits par son utilité.
( 11 )
Bientôt largent, devenu libre, parcourut rapidement toute
létendue du Royaume pour sy multiplier, dans son cours,
pour répondre à toutes les demandes, remplir tous les engagemens,
satisfaire à tous les besoins. Le nombre des espèces nétoit
pas encore augmenté, & tout le Royaume se crut enrichi.
Il en sera de même
de la réforme projettée : chacun se hâtera de voir
que, plus les moyens de faciliter les échanges seront simples &
identiques, plus laisance régnera : or cette simplicité,
cette identité tient évidemment à luniformité
des poids & des mesures.
Mais comment parvenir
à établir cette uniformité ?
Le moyen le plus simple
& qui, à toute autre époque, seroit peut-être
le seul proposable, consisteroit à déterminer, tous les
poids & toutes les mesures quelconques du Royaume sur le double étalon
de livre & de toise qui existe à Paris. Cette méthode
présenteroit plusieurs avantages. Le premier, sans doute, &
qui, toutes choses dailleurs égales, pourroit paroître
déterminant, cest que, dans une aussi vaste réforme,
il en résulteroit le moins possible dinnovations. Il faut
favoir quen 1766 on envoya des étalons
parfaitement conformes à ce double modèle dans quatre-vingt
de nos principales Villes. On a dû, avec le temps, rapporter à
ces étalons les poids & mesures linéaires qui y étoient
en usage ainsi que dans les cantons circonvoisins : ce ne seroit donc
pas aujourdhui des objets nouveaux, des noms étrangers, offerts
à lignorance toujours soupçonneuse ; & lon
saccommoderoit par là aux craintes & à la foiblesse
de ceux quune trop
( 12 )
grande nouveauté effraye, & qui ne se confient à linconnu
que sur la foi de ce quils connoissent déja.
On pourroit observer aussi
que la toise de Paris a acquis une grande célébrité
; quelle a été employée aux observations savantes
des Astronomes envoyés au Pérou,
doù elle a retenu le nom de cette Contrée: quon
en a envoyé, en différens tems, des copies non-seulement
dans
les principales villes du Royaume, mais encore à Londres, à
Vienne, en Italie, ensorte quil nest point de Nation en Europe
qui nen connoisse le rapport exact avec ses mesures, comme nous
connoissons celui de la toise de Paris aux mesures de tous les Etats de
lEurope ; & sur - tout que la longueur de cette toise a été
comparée
avec un grand foin à celle du pendule qui bat les secondes à
Paris, & déterminée dans le rapport de 504
à 157 par feu M. de Mairan
dont lautorité a fait loi dans cette partie.
Et cependant quelque naturel
que soit ce moyen, quelques facilités quil offre dans la
pratique, il ne répond
pas encore assez ni à limportance de lobjet, ni à
lattente des hommes éclairés & difficiles. Lorsquune
Nation se détermine à opérer une grande réforme,
il faut quelle évite, quelle redoute même de
lopérer à demi, pour nêtre plus obligée
dy revenir ; & sil sagit dune réforme
dans les poids & mefures, il ne suffit pas de les réduire à
un seul poids, à une seule mesure, comme on pourroit aisément
le faire par le moyen indiqué ; il faut, pour que la solution du
problème soit parfaite, que cette réduction se rapporte
à un modèle invariable pris dans la nature, afin que toutes
les
( 13 )
Nations puissent y recourir dans le cas où lcs étalons quelles
auroient adoptés viendroient à se perdre ou à saltérer
: or létalon de poids qui se trouve à Paris, na
été déterminé sur aucune mesure naturelle
; même on a ignoré jusquà ces derniers tems
si la nature pouvoit fournir à cet égard un modèle.
Quant à la toise, elle a été, il est vrai, rapportée
par M. de Mairan, à la longueur du pendule qui bat les secondes
à Paris ; mais cette opération, quelque dégré
de confiance quelle ait acquise parmi nous, na pas été
faite avec la solemnité nécessaire pour fixer irrévocablement
lopinion de toutes les Nations éclairées.
Il conviendroit donc,
en ce moment, & cest le voeu connu dun grand nombre de
Savans, de faire une nouvelle opération dont lexactitude
fut appuyée sur des preuves & des témoignages irréfragables,
& dont les résultats pussent présenter aux yeux de toute
lEurope un modèle inaltérable de tnesures & de
poids.
Deux méthodes principales
pour parvenir à ce but ont été déjà
indiquées par de célébres Académiciens du
siècle précédent & sur-tout de celui-ci.
La première consisteroit
à adopter pour élément de nos mesures linéaires
la soixante-millième partie de la longueur du dégré
du méridien coupé en deux parties égales par le quarante-cinquième
parallele, & dont la langueur a été déterminé
à 57,030 toises
par M. de la Caille. Cette mesure élémentaire
sest trouvée avoir 5 pieds 8
pouces 5 lignes un quart ; elle sappelleroit
un milliaire. Mille Milliaires feroit un
mille, trois mille feroit une lieue ; & vingt
lieues composeroient un dégré. Le milliaire
( 14 )
tiendroit lieu de la toise, dont il ne différeroit que de
42 lignes 3 quarts;
& se diviseroit comme elle en 6 parties,
dont chacune représenteroit un pied.
Cette idée est
juste ; mais dans lexécution elle ne promet pas une exactitude
assez rigoureuse. Les personnes les plus exercées dans ce genre
dopérations, saccordent à penser quon
ne peut répondre dune erreur de 34
toises; ce qui en produiroit une sensible, cest-à-dire denviron
une demie-ligne, sur la longueur du milliaire mesuré en différens
tems. Il faudroit dailleurs un concours dhommes singulièrement
habiles, & des instrumens travaillés avec une perfection infiniment
rare.
La seconde méthode
offre plus de facilités dans lexécution. Ses nombreux
partisans ont conseillé de prendre pour mesure élémentaire,
la longueur du pendule simple à secondes par la
latitude de 45 dégrés. Ils ont préféré,
ce point, comme étant terme moyen entre lEquateur & le
Pôle : on donnerait alors à laune la longueur
exacte de ce pendule, à notre toise le double de cette longueur,
& la toise se subdiviseroit en pieds, pouces & lignes,
suivant les rapports connus de ces subdivisions.
Delà, passant aux
mesures de capacité, telles que le muid, le septier, le boisseau,
la pinte, &c. & en assignant pour base de leurs dimensions le
pied-cube déduit daprès la longueur du pendule, on pourroit
également fixer dune manière uniforme & invariable
toutes les mesures.
Enfin, ce qui est le résultat
dune expérience de nos jours, on appliqueroit aux poids cette
mesure en faisant usage dun procédé ingénieux
de M. Lavoisier qui a déter-
( 15 )
miné avec la plus grande précision, le poids dun pied-cube
deau douce, distilée une fois à la température
de 14 dégrés 4
dixièmes du thermomètre de Réaumur
: par-là, on trouveroit le moyen de fixer invariablement la livre
de pesanteur, car on donneroit le nom de livre au poids réel de
leau ainsi distilée qui seroit contenue dans un vase cubique
dont la hauteur seroit la douzième partie de la longueur du pendule
(1). La livre ainsi trouvée,
il seroit facile de déterminer ses subdivisions comme ses multiples.
La longueur du pendule
par la latitude de 45 dégrés a été
déjà calculée; elle sest trouvée de
36 pouces 8 lignes 12
centièmes ; mais comme elle na pas été déterminée
par une expérience faite sous ce paralèlle, & quil
peut y avoir une erreur dun dixième de ligne, il faudroit
la recommencer sous la latitude même.
Ce plan simple & parfaitement
exact, est fait pour réunir tous les suffrages, & même
pour exciter entre les Nations savantes la plus louable rivalité.
Il mest impossible de douter que lAngleterre, qui dans ce
moment paroît vouloir soccuper de la réduction de ses
mesures, avertie par votre détermination & invitée par
vous, ne se réunisse à la France pour lexécution
dune entreprise que nos relations de Commerce doivent rendre commune
& dont le résultat doit appartenir un jour au Monde entier.
Déjà sur la proposition de M. de Cassini,
les Académiciens des deux Royaumes viennent dassocier leurs
travaux pour lier les triangles de la carte de France à ceux de
la carte
(1)
Cette livre se trouveroit un peu plus forte que la livre actuelle.
( 16 )
dAngleterre; & ce travail sest fait avec le plus parfait accord.
Lexpérience
du pendule, faite plus particulièrement encore sous les auspices
des deux Nations, nauroit pas sans doute un moindre succès,
& sa solemnité même en garantiroit aux yeux de lEurope
entière lexactitude rigoureuse (1).
Chacune des deux Nations
formeroit sur cette mesure ses étalons, quelle
conserveroit avec le plus grand soin; de telle sorte que, si, au bout
de plusieurs siècles, on sappercevoir de quelque variation
dans lannée sydérale, les étalons pussent servir
à lévaluer, & par-là à lier ce point
important du systême du monde à une grande époque,
celle de lAssemblée Nationale.
Peut-être même
est-il permis de voir dans ce concours de deux Nations interrogeant ensemble
la Nature pour en obtenir un résultat important, le principe dune
union politique opérée par lentremise des Sciences. Cette
vue ne peut échapper à des Législateurs & mérite
sans doute une haute considération de leur part.
Enfin, je ne vois contre
ce projet aucune objection réelle.
Il est seulement une
difficulté
quil importe déclaircir; & dont la solution est une partie
même du projet : cest
(1)
Lexpérience devant se faire au niveau de la mer ; & lAngleterre
nayant aucune possession à la latitude de 45
degrés, le lieu de lexpérience est naturellement indiqué
auprès de Bordeaux.
( 17 )
celle qui est fondée sur les obstacles quon rencontreroit en voulant
introduire tout-à-coup dans toute létendue du Royaume une
multitude de mesures nouvelles & de poids différens, soit que
lon conservât les anciens noms, soit que lon se crût obligé
den changer.
Il nest point douteux
que, quelque parfaites que fussent ces mesures, leur introduction subite
& inattendue ne produisit du désordre; mais le moyen dopérer
ce changement sans secousses & sans trouble, se présente naturellement
à lesprit.
Des Commissaires du Roi,
chargés de suivre lexécution de vos Décrets
& de faire jouir la France entière du fruit de votre sagesse,
veillent en ce moment à la formation des Départemens &
des Districts. Par-tout où sétend leur vigilance,
il leur sera facile de faire prendre les dimensions des poids & mesures
employés dans chaque lieu & de les rapporter à la fin
de leur mission dans la Capitale (1).
Ces poids & ces mesures étant bien connus, il sera aisé à des Commissaires de votre Académie des Sciences, den
déterminer dans le tems le rapport exact avec les étalons
qui seront formés sur lexpérience du pendule. Dès
que ce rapprochement aura été fait, il sera envoyé
de nouveaux étalons à toutes les Municipalités avec
des instructions qui feront sentir la nécessité dune
réforme à cet égard, & auxquelles seront jointes
des tables im-
(1)
Il me paroît nécessaire que lAcadémie des Sciences
indique la méthode la plus sure pour obtenir ces dimensions dans
toute leur nature. Ce travail peut être fait en peu de jours.
( 18 )
primées avec grand soin, à peu-près dans la forme
des comptes faits de Barrême. Dans ces tables
se trouveront les rapports exacts de toutes les anciennes mesures avec
les nouvelles.
Ces petits livrets étant
ainsi dressés pour toutes sortes de mesures, tant linéaires
que solides ou de poids, on les distribuera dans chaque Canton six mois
avant que les nouvelles ne prennent la place des anciennes : ainsi il
ne se fera aucun changement brusque; & dans cet intervalle, chacun
aura tout le tems nécessaire pour connoître parfaitement,
ou par soi, ou par autrui, à quel prix chacune de ces mesures devra
répondre.
De plus, il sera fait,
aux dépens du Trésor public, un certain nombre de ces mesures
qui seront envoyées aux différentes Municipalités
pour quelles soient distribuées gratuitement & daprès
la connoissance locale des besoins, â ceux pour qui ce changement
occasionneroit des dépenses trop au-dessus de leurs forces. Cela
doit paroître juste aux yeux de la Nation, & cest ainsi
que sapplaniront toutes les difficultés.
Lacquittement des redevances
féodales en nature eût peut-être été
le seul obtacle véritablement à craindre par la foule de
discussions que le changement de mesure eût fait naître entre
les Seigneurs & les Vassaux. On veut même que cette crainte
ait arrêté quelques Administrateurs an moment dentreprendre
cette réforme. Heureusement cette difficulté ne subsiste
plus.
Voici donc le projet
de décret que je soumets à lAssemblée.
( 19 )
PROJET DE DÉCRET.
LASSEMBLÉE
NATIONALE désirant faire jouir à
jamais la France entière de lavantage qui doit résulter
de luniformité des poids & mesures, & voulant que
les rapports des anciennes mesures avec les nouvelles soient clairement
déterminés & facilement faits, DÉCRÈTE
que Sa Majesté sera suppliée de donner des ordres aux Commissaires
choisis par elle pour lEtablissement des Assemblées de Départemens
& de Districts, afin quils obtiennent de toutes les Municipalités
comprises dans chaque Département & quils rapportent
à Paris un modèle parfaitement exact des différends
poids & des mesures élémentaires qui y sont en usage.
DÉCRÈTE ensuite quil sera
écrit par lAssemblée Nationale une lettre au Parlement
dAngleterre pour lengager à concourir avec la France
à la fixation de lunité naturelle de mesures
& de poids ; quen conséquence, sous les auspices
des deux Nations, des Commissaires de lAcadémie des Sciences
de Paris se réuniront en nombre égal avec des Membres choisis
de la Société Royale de Londres dans le lieu
qui sera jugé respectivement le plus convenable, pour déterminer
à la latitude de 45 dégrés
la longueur du pendule, & en déduire un modèle invariable
pour toutes les mesures & pour les poids ; quaprès cette
opération faire avec toute la solemnité nécessaire,
Sa Majesté sera suppliée de charger lAcadémie
des Sciences de fixer avec précision pour chaque Municipalité
du Royaume les rapports de leurs anciens poids & mesures avec le nouveau
modèle, & de compo-
( 20 )
ser ensuite pour lusage de chacune de
les Municipalités,
des livres usuels & élémentaires, où seront
indiquées
avec clarté toutes ces proportions. DÉCRÈTE en
outre que ces livres élémentaires seront adressés
à-la-fois dans toutes les Municipalités pour y être
répandus avec profusion ; quen même tems il sera
envoyé à chaque Municipalité un certain nombre
des nouveaux poids
& mesures qui seront distribués gratuitement par elles à
ceux que ce changement constitueroit dans des dépenses trop fortes;
enfin que, six mois seulement après cet envoi, les anciennes
mesures seront abolies & seront remplacées par les nouvelles.
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