es Spectacles ne furent pendant long-temps représentés en France que dans des especes de galeries & dans des jeux de paulme, où l'on élevoit à l'un des bouts un Théâtre, & au pourtour des murs divers étages de loges placées les unes au-dessus des autres, & séparées dans toute leur hauteur par des cloisons, avec des poteaux sur le devant : ainsi la forme de leur plan étoit longue & étroite, & consistoit en deux lignes paralleles, soit retournées d'équerre vers le bout opposé à la scène, soit réunies par une portion circulaire. On sait que c'est dans de pareilles Salles qu'ont été représentés les chef-d'œuvres des Moliere, des Corneille, des Racine & des Quinault. En vain s'étoit-on apperçu, de tout temps, des inconvéniens de ces ruelles alongées, combien elles faisoient de tort à la voix ou au chant, & combien elles préjudicioient à la vue du spectacle ; on s'y étoit en quelque sorte habitué, & il s'étoit écoulé plus d'un siecle avant qu'on eût songé à y remédier.
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   Les freres Slotz, Architectes & Décorateurs des Menus-Plaisirs du Roi, furent les premiers qui s'aviserent d'ôter les poteaux & les cloisons de séparation des loges, à la Salle provisoire qu'ils exécuterent dans le Manége des Ecuries de Versailles, à l'occasion des Fêtes données en 1745 pour le premier mariage de feu Monseigneur le Dauphin, pere du Roi. Cette nouveauté ayant été beaucoup applaudie, à cause des avantages qu'elle procuroit aux spectateurs, fut employée ensuite à plusieurs Salles nouvelles : on abandonna insensiblement les cloisons & les poteaux de séparation des loges, & à l'exemple des Théâtres d'Italie, on adopta des formes circulaires, ovales, en fer à cheval, comme étant plus capables par leur concavité, non-seulement de favoriser le son, mais encore d'offrir un ensemble plus agréable & de meilleur goût.

   L'incendie de l'Opéra de Paris en 1763, ayant donné lieu à sa reconstruction, M. Moreau, Architecte du Roi & de la Ville, chargé de cet important ouvrage, s'appliqua a faire disparoître la plupart des défauts qu'on reprochoit à nos anciens Théâtres, en mettant à profit toutes les observations, qui avoient été faites jusques-là, sur ce qui pouvoir contribuer à leur perfection.
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   Ce Théâtre, dont on fit l'ouverture le 26 Janvier 1770, & qui a été incendié de nouveau le 8 Juin 1781, faisoit partie du Palais Royal, & occupoit un emplacement de 180 pieds de long, depuis son entrée dans la rue Saint-Honoré jusqu'à la Cour des Fontaines, sur à peu près 92 pieds de large. La Salle avoit la forme d'une espece d'ovale tronquée & évasée depuis l'extrémité de son petit diamètre jusqu'à l'avant-scène : elle avoit de longueur 48 pieds, depuis le fond de l'Amphithéâtre jusqu'au bord du Théâtre, de largeur 46 pieds jusqu'à la cloison adossée aux loges, & d'élévation 42 pieds jusques sous le plafond. On y voyoit quatre rangs de loges, placés à-plomb l'un de l'autre, sans aucuns poteaux montants sur le devant ; de sorte qu'au lieu d'offrir l'aspect d'une multitude de petites cellules, comme dans nos anciens Théâtres ou dans ceux d'Italie, chaque rang formoit un balcon continu de la forme la plus agréable dans tout le pourtour de la Salle ; ce qui donnoit sans comparaison plus d'élégance à son ensemble, & permettoit à la fois de découvrir plus facilement l'action théâtrale. Les séparations des loges ne s'élevoient qu'à hauteur d'appui, & n'étoient pas
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dirigées vers la scène, ce qui aurait été sans doute plus avantageux aux places du fond des loges situées vers les côtés de la Salle : les devantures des balcons étoient seulement peintes d'ornemens rehaussés en or, d'un genre fort noble, disposition qui favorisoit nécessairement les renvois du son : pour rendre la Salle plus sonore, on avoit bâti son pourtour en charpente avec des poteaux saillants de huit pouces, placés au fond des loges vis-à-vis de leur séparation ; lesquels faisoient manifestement par leurs ressauts quelque tort à la libre circulation du son & à son renvoi.
   L'espace, compris entre le pourtour des loges & le Théâtre, étoit divisé à l'ordinaire en trois parties : la plus voisine de la scène étoit l'orchestre, l'autre le parterre, la troisieme l'amphithéâtre. On entrait dans le parterre par deux portes latérales ; & il falloit monter 18 marches, depuis le vestibule, pour arriver à un lieu aussi fréquenté, par deux raisons relatives à la maniere d'être du local : la premiere, que le Théâtre faisant partie du Palais Royal, il étoit indispensable d'assujettir les premieres loges au plain-pied des appartemens du Prince ; la seconde, que le quartier se trouvant très-bas par rapport
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au niveau ordinaire de la riviere, il étoit conséquemment nécessaire d'élever le sol du Théâtre pour pouvoir, de dessous, faire sortir au besoin des décorations, sans rencontrer l'eau. Comme on avoit reproché à l'ancienne Salle d'être privée de cet avantage, parce qu'elle étoit presque à rez-de-chaussée de la rue, il convenoit d'y avoir égard dans la reconstruction de la nouvelle.
   La courbe de cette Salle est différente de celle du Théâtre de Turin, & nous paroît préférable en ce qu'elle a moins de profondeur, & que son évasement peut faciliter de mieux découvrir le lieu de la scène ; c'est pourquoi nous croyons devoir nous arrêter particulierement à la décrire. Après avoir fixé la longueur a b de la Salle, Fig. XXII, & sa largeur c d, dans le rapport de 4 à 3, & les avoir divisé en deux également à angles droits , on a partagé a b, en trois parties égales a g, g h, h b. On a tiré ensuite, de chaque extremité du petit diametre, les lignes c h e & d h f ; puis du point h, comme centre, en prenant h b pour rayon, on a décrit l'arc f b e, c'est-à-dire le fond des loges, & l'arc k l concentrique pour former leur devanture. Cela étant fait, on a continué la courbe, en prenant les extrémités c & d du petit diametre
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pour centres, & l'on a tracé les arcs e d, f c, du fond des loges, & les arcs concentriques l m, k l du devant des loges; enfin, depuis le petit diametre jusqu'à l'avant-scène, on a poursuivi les deux côtés de la Salle paralellement au grand diametre a b. Ainsi cette courbe étant une demi-ovale évasée vers le Théâtre, ne pouvoit avoir conséquemment les propriétés de l'ellipse par rapport au concert des renvois du son. En effet, si l'on tire du milieu i de l'avant-scène, point qui correspondroit en quelque sorte au foyer, si la courbe en question étoit véritablement elliptique, des lignes i o, i p, i q, i r, contre son pourtour, on s'appercevra, par la comparaison de leurs angles d'incidence & de réflection, que les renvois iq, ir, du fond de la Salle, devoient réfléchir vers le milieu de l'amphithéâtre, à cause de l'approximation de la figure elliptique avec celle de l'ovale en cet endroit, mais que tous les autres i o, i p, ne réfléchissoient manifestement que vers le parterre, & le long de sa ligne diamétrale a b.
   L'avant-scène avoit de largeur 36 pieds sur 32 de hauteur; elle étoit de la plus riche composition, & décorée de quatre grandes colonnes corinthiennes portées sur un socle, & dont le
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fust étoit orné de canelures à jour, interrompues par des bossages qui s'accordoient avec les appuis de différens rangs de loges. On avoit pratiqué de part & d'autre de cette avant-scène, entre les colonnes & jusques dans leur socle, plusieurs loges bien fermées par les côtés ; & même, au lieu d'y appliquer la grande toile, comme cela se fait toujours, on avoit reculé cette toile de 4 ou 5 pieds à dessein de ménager encore quelques arriere-loges dans cet espace. Il n'est pas douteux que toutes ces cavités, en absorbant une partie de la voix dès son débouchement vers la Salle, ne pouvoient manquer de lui être préjudiciables & de diminuer son volume.
   Cette Salle étoit couronnée dans tout son pourtour par un entablement architravé que l'on avoit interrompu au milieu de l'avant-scène par un globe semé de fleurs de lis. Au-dessus de cet entablement s'élevoit le plafond qui étoit creux, & qui offrait une surface plane dont les extrémités se terminoient en voussures, où l'on avoit peint des arcades en perspective percées de trois grandes loges en face du théâtre, & précisément au niveau du haut du plafond ; ouvertures qui, en absorbant la voix, devoient faire aussi beaucoup de tort à ses renvois, sans compter que ceux
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qui rencontroient la surface du plafond, ne pouvoient être réfléchis qu'au hasard vers les Auditeurs, sans se concentrer ou sans agir de concert, ainsi qu'il eût été à souhaiter. Le milieu du plafond offroit la forme d'une ovale remplie par un tableau allégorique peint sur toile & à l'huile, où étoient représentées les Muses & les talens rassemblés par le Génie des Arts, qui précédoit le char d'Apollon, avec l'Ignorance & l'Envie humiliées sur le devant : il y avoit dans ce plafond une trappe destinée, au besoin, à renouveller l'air de la Salle, mais qui restoit souvent ouverte pendant tout le spectacle.
   Ce Théâtre étoit environné dans le bas de portiques ; on y entroit, du côté de la Place du Palais Royal, par trois portes qui conduisoient à un vestibule décoré de colonnes doriques canelées & couronnées d'un entablement architravé. A ses deux extrémités, y il avoit deux grandes arcades annonçant chacune deux escaliers, dont l'un conduisoit au parterre, & l'autre aux loges. Derriere l'amphithéâtre, au premier étage, étoit placé le foyer, composé d'une galerie de 60 pieds de long avec cinq croisées, au-devant desquelles régnoit un grand balcon de fer le long de la rue S. Honoré. Le foyer avoit une cheminée ornée de glaces à chaque
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chaque bout, & étoit décoré de boiseries & de sculptures, ainsi que de trois Bustes de marbre représentant Lully, Quinault & Rameau ; & l'on se proposoit d'y placer successivement les portraits des Poëtes & des Musiciens, dont les talens distingués devoient faire à l'avenir la gloire de ce spectacle; pensée qui mérite beaucoup d'être applaudie & imitée dans les Théâtres qu'on élevera par la suite. Quoi de plus intéressant en effet que de consacrer, dans ce lieu de leur triomphe, la mémoire des hommes célebres qui l'ont enrichi de leurs productions !
   Malgré les observations que nous venons de faire sur cette Salle, nous ne pouvons nous dispenser de convenir que, de tous ceux dont nous avons parlé, c'est celui qui nous paroît en général le mieux ordonné pour l'étendue, pour la disposition des loges & pour l'ouverture du Théâtre : aussi la plupart des défauts que nous y avons remarqué, tiennent-ils, soit à l'incertitude qui a regné jusqu'ici sur les principes constitutifs de ces sortes d'édifices, soit à la maniere d'être d'un local aussi resserré, soit à des abus consacrés par un long usage, soit à l'obligation de multiplier les places pour augmenter la recette du Spectacle, soit, en un mot, à des especes d'étiquettes, dont un Architecte n'est pas
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toujours le maître de secouer le joug. Il faut esperer que, lors de la reconstruction de la nouvelle Salle d'Opéra, on osera s'affranchir de toutes ces entraves, pour parvenir à orner enfin cette Capitale d'un monument en ce genre, qui mérite par la suite de servir de modele.
   La Fig. XXI représente, d'un côté une moitié du plan de cette Salle au niveau du parterre, & de l'autre une moitié de son plan à la hauteur des premieres loges, de sorte qu'en les comparant, il sera aisé de juger de leur relation.

 

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