Mémoire
pour prouver qu'une nouvelle espèce de monnaie
peut être meilleure que l'or et l'argent (1707).
Paris, Bibliothèque
de l'Arsenal, ms 6113, f° 49-78
Source : Paul Harsin, John Law Oeuvres complètes. Paris,
Sirey, 1934.
p. 195-214
Je propose de prouver qu'une nouvelle espèce de monnoye peut être
établie plus propre à cet usage que l'or ou l'argent.
L'or et l'argent ont été employés à faire
la monnoye parce que ces métaux avoient des qualités qui
les rendaient propres à cet usage. D'autres effets peuvent être
employés à faire la monnoye, s'ils ont les qualités
nécessaires et y seront plus ou moins propres selon qu'ils ont
ces qualités en plus grand ou moindre degré.
Pour juger si la nouvelle espèce que je propose est plus propre
à faire la monnoye que l'or ou l'argent, il est nécessaire
de savoir quels sont les usages auxquels la monnoye est employée
et quelles sont les qualités qui rendent l'or et l'argent propres
à les servir.
PREMIÈRE PARTIE.
Avant que l'usage de la monnoye fût connu, les effets étoient
échangés par troc. Cette manière d'échange
étoit très inconvénient; il n'y avoit pas alors de
mesure pour connoistre quelle proportion de valeur les effets avoient
les uns aux autres. Ex. A demandoit à troquer 50 boisseaux de blé
contre du vin; on ne pouvoit pas bien déterminer quelle quantité
de vin étoit égale en valeur avec les 50 boisseaux de blé.
Car quoique la quantité qui étoit égale l'année
auparavant fût connue, si le blé ou le vin n'estoit pas de
la même bonté ou qualité, si la quantité de
blé ou des vins n'estoit pas dans la même proportion avec
la demande, la proportion de valeur estoit changée, les 50 boisseaux
pouvoient valoir deux fois la quantité de vin qu'ils valoient l'année
précédente. L'argent, étant capable d'un titre /1e/
d'être réduit à un certain degré de finesse
et étant peu sujet aux changements dans sa quantité ou dans
la demande et par là moins incertain en valeur, étoit employé
à servir de mesure pour connoistre la proportion de valeur des
effets si les 50 boisseaux de blé valoient marcs d'argent fin ou
de tel titre et que les 12 marcs d'argent de cette finesse valussent 15
muids de vin de la qualité que A demandait en échange, alors
15 muids de ce vin étaient l'équivalent de ces 50 boisseaux
de blé. La proportion de valeur des effets livrés en différents
endroits étoit encore plus difficile à connoiste. Ex. 100
pièces de toille d'Hollande estoient livrées à Amsterdam
à l'ordre d'un marchand à Londre et le marchand d'Amsterdam
demandoit qu'on livrât la valeur en draps d'Angleterre à
son ordre à Londre. La valeur des 100 pièces de toille ne
pouvoit pas être réglée sur la quantité de
draps d'Angleterre qu'ils valoient à Amsterdam, parce que ce drap
étoit d'une plus grande valeur à Amsterdam qu'à Londre
où il devoit être livré. Et la valeur du drap d'Angleterre
ne pouvoit pas être réglée sur la quantité
de toille d'Hollande qu'elle valoit à Londre parce que cette toille
étoit d'une plus grande valeur à Londre qu'à Amsterdam
où elle avoit été livrée. L'argent, étant
très portatif, et par là à peu près de la
même valeur en différents endroits, étoit employé
à servir de mesure pour connoistre la proportion de valeur des
effets livrés en différents endroits. Si les 100 pièces
de toille valaient à Amsterdam 200 marcs d'argent fin et que 200
marcs d'argent valussent à Londres 20 pièces de drap de
la qualité que le marchand d'Amsterdam demandoit en échange,
alors 20 pièces de ce drap livré à l'ordre étoient
l'équivalent de ces 100 pièces de toille livrées
à Amsterdam.
Les contracts, promesses, etc., étant payables en effets, étoient
sujets aux disputes, les effets de même espèce diffèrent
beaucoup en valeur. Ex. A avoit prêté 50 boisseaux de blé
à B et B avoit contracté à rendre la même quantité
de blé dans une année. A prétendoit que le blé
que B luy rendoit n'estoit pas de la bonté de celuy qu'il avoit
prêté et comme le blé n'estoit pas capable d'un titre,
on ne pouvoit pas les bien juger.
L'argent étant capable d'un titre estoit employé à
servir de valeur dans laquelle on contractoit, alors celui qui prêtoit
prenoit le contract payable en argent d'un tel titre et par là
évitoit les disputes.
On avoit de la peine à trouver les effets qu'on demandoit en échange.
Ex. A avoit des vins à Bordeaux plus qu'il n'en avoit besoin, il
avoit besoin de soye, mais comme on ne trouvoit pas de soye à Bordeaux,
il estoit obligé de transporter ses vins pour les troquer sur les
lieux où il y en avoit. L'argent étant très portatif
étoit employé à servir de medium par lequel les effets
pouvoient être plus commodément échangés. Alors
A pouvoit troquer ses vins à Bordeaux contre de l'argent et porter
l'argent sur les lieux où il y a voit de la soye pour les troquer.
L'argent, avec ses autres qualités, étant durable, divisible
et sa propriété pouvant être transférée
ou aliénée par livrance, estoit d'autant plus propre à
servir à ces usages et ceux qui avoient des effets, dont ils n'avoient
pas immédiatement besoin, les convertissoient en argent. Il estoit
moins embarrassant à garder que la plupart d'autres effets; sa
valeur estoit moins sujette aux changemens. Il estoit plus durable et,
estant divisible sans diminuer sa valeur, on pouvoit s'en servir en tout
ou en partie comme on en avoit besoin. Donc l'argent en matière
ayant les qualités nécessaires estoit employé à
servir aux usages auxquels la monnoye sert présentement. Estant
capable d'empreint, les Princes établirent des bureaux pour le
porter à un titre et le fabriquer. Par là, le titre et poids
estoient connus et l'embaras de le pezer et rafiner épargné.
Par ce que je viens de dire, on voit que la monnoye est nécessaire
pour remédier aux inconvéniens qu'on souffroit dans l'état
du troc, mais il n'est pas nécessaire que la monnoye soit faite
d'argent; l'or sert les usages de la monnoye comme l'argent et on peut
employer d'autres effets à ces usages pourveu qu'ils ayent les
qualités qui rendent l'or et l'argent propres à les servir.
SECONDE PARTIE.
L'or et l'argent ne sont plus propres à faire
la monnoye.
La monnoye est la mesure par laquelle on connoist la proportion de valeur
des effets, la valeur dans laquelle les contracts, promesses, etc., sont
faits payables, la valeur par laquelle les effets sont échangés
et la valeur dans laquelle les effets dont on n'a pas besoin sont convertis.
Les qualités nécessaires pour estre propres à servir
à ces usages sont d'estre certain en valeur, durable, portatif,
transférable par livrance, divisible, capable d'un titre et d 'empreins
pour marquer le titre et poids.
Les effets qui ont ces qualités et ( = au) plus grand degré
sont les plus propres à faire la monnoye.
Le certain dans la valeur est la qualité la plus nécessaire.
La monnoye est employée à servir de mesure pour connoistre
la proportion de valeur des effets parce qu'elle est supposée moins
sujette aux changements en sa valeur que les autres effets. Les contracts
sont receus payables en monnoye: par ce qui est supposé, elle sera
de la même valeur lorsque le payement est fait que quand on a contracté.
La monnoye est receue en échange des effets et on convertit ceux
dont on n'a pas besoin en monnoye, parce que elle est supposée
de continuer de la même valeur et que celuy qui la reçoit
quand il a besoin d'autres effets en pourroit acheter avec cette monnoye
pour la valeur de ceux qu'il a échangés.
Je feray voir que l'or et l'argent sont devenus très incertains
en valeur et, par cette raison, peu propres à servir aux usages
de la monnoye. La mesure du blé est vendue double de la quantité
de rnonnoye qu'elle estoit vendue il y a 50 années: on conclut
que le blé est plus cher. La différence du prix peut venir
d'un changement dans la quantité ou dans la demande pour la monnoye;
alors c'est la monnoye qui est à meilleur marché.
Les espèces estant du même poids et titre et exposées
pour le même nombre de sols, nous rend peu sensible aux changements
dans la valeur de la monnoye ou des matières d'or et d'argent,
mais n'empesche pas la valeur de la monnoye et des matières de
changer. Un écu ou un marc d'argent ne vaut pas tant qu'il a valu.
La valeur de toutes choses change et la valeur d'argent change plus que
la valeur d'autres effets en sorte que les écus qu'on reçoit,
quoique du même poids et titre et valant le même nombre de
sols que quand la dette a été contractée, ne valent
pas présentement ce qu'ils valoient alors.
On sera convaincu que l'argent a beaucoup diminué en valeur si
on veut s'informer du prix des terres, maisons, vins, blé et autres
effets, avant la découverte des Indes. Alors mille marcs d'argent
en matières ou en espèces acheptoient plus de ces effets
que dix mille achèteroient à présent. Les effets
ne sont pas plus chers ou peu différents. La quantité estant
à peu près dans la proportion où elle estoit alors
avec la demande, c'est l'argent qui est à meilleur marché.
Ceux qui se servent de vaisselle d'argent croyent ne perdre que l'intérest
de la somme employé, la façon, controlle, etc., mais ils
perdent encore ce que la matière diminue en valeur. Et la valeur
diminuera tant que la quantité augmente et que la demande n'augmente
pas à proportion. Une famille qui a eu mille marcs de vaisselle
depuis 200 ans a perdu la valeur de plus que de 900 marcs outre la façon,
le controle et l'intérest, car les 1000 marcs ne valent plus tant
que 100 marcs valoient alors.
La quantité d'or a augmenté au-delà de l'augmentation
de la demande et l'or a diminué en valeur, mais comme l'or n'a
pas augmenté dans la même proportion avec l'argent, sa valeur
n'a pas tant diminué. L'année 1514 le marc d'or valoit 130
livres 3-7 et le marc d'argent 12 et 15. Le marc d'or en matière
ou en espèce valoit alors 10 marcs d'argent et un quart; à
présent, le marc d'or vaut plus que 15 marcs d'argent, donc ces
métaux ne sont pas de la valeur qu'ils estoient à l'égard
des autres effets ni à l'égard l'un de l'autre. L'or quoique
diminué en vaut 60 pour cent plus d'argent qu'il n'a valu.
Depuis 200 ans, la monnoye a esté affoiblie, les espèces
d'argent environs de deux tiers et les espèces d'or un peu plus
que trois quarts. La diminution de valeur des matières et les affoiblissements
de la monnoye ont causé des pertes très considérables
à ceux qui avoient des rentes payables en monnoye; ils ont encore
souffert par la diminution des rentes. Avant la découverte des
Indes, les rentes estoient constituées au denier 10, à présent
au denier 20.
Une donnation faite il y a 200 ans, destinée pour l'entretien
de 50 personnes, peut à peine en entretenir un présentement.
Je suppose cette donnation un hypothèque pour la somme de 10.000
livres. La monnoye étant alors plus rare, les rentes estoient constituées
au denier 10. Mille livres d'intérest pouvoient alors entretenir
50 personnes, la monnoye, à cause de sa rareté, estant d'une
grande valeur. Estant devenue plus abondante par la quantité des
matières qui a esté apportée des Indes, l'intérest
a baissé à 5 %. L'intérest de l'hypothèque
de 10.000 livres est réduit à 500, il n'y a que le tiers
d'argent dans les 500 livres qu'il y avoit. Et les matières ayant
diminuées en valeur, les 500 livres ne valent pas tant que 20 livres
valoient et n'achepteroient pas tant de denrées que 20 livres auroient
acheptées.
Par cette supputation, une somme destinée pour l'entretien de
50 personnes, il y a 200 ans, et qui alors suffisoit, peut à peine
entretenir un présentement. Deux personnes avoient il y a 200 ans
mille livres de bien chacun. L'un achepta une terre de 2000 livres, il
empreunta 1000 livres de l'autre et donna hypothèque sur sa terre.
Quand la valeur des terres n'auroit pas augmenté, cette terre vaudroit
60.000 livres. La monnoye ayant été affoiblie et la valeur
des matières ayant diminué, mais la valeur des terres ayant
augmenté par la diminution de l'intérest de la monnoye qui
affecte le prix des terres, au lieu du denier 10 et 12 qu'elles estoient
vendues alors, elles sont vendues au denier 20 et 24.
On peut supputer les améliorations des terres depuis 200 ans moitié
de ce qu'elles produisoient alors, mais, supposant que cette terre ne
produit que la même quantité de deniers et de même
qualité qu'alors, elle doit valoir 120.000 livres. La terre est
vendue. La famille de celui qui avoit employé son bien en terres
reçoit 119.000 livres et la famille de l'autre qui avoit employé
son bien à rente reçoit 1000 livres qui par les affoiblissements
de la monnoye et la diminution de la valeur des matières ne valent
pas plus que 30 livres valoient alors.
Quoique la valeur d'or et d'argent ait tant diminuée et qu'elle
est encore sujette aux mêmes diminutions, pourtant ces métaux
sont receus en espèces et matières pour une plus grande
valeur que leur valeur comme métaux abstraits des usages de la
monnoye.
Employer un effet à des usages auxquels il n'estoit pas employé
rend la demande plus grande et augmente la valeur.
L'or et l'argent avant d'être employé[s] aux usages de la
monnoye avoient une valeur des usages auxquels ils servoient alors et
étoient donnés comme monnoye selon cette valeur qu'ils avoient
comme métaux. Estant employés aux usages de la monnoye,
a augmenté la demande pour ces métaux, par conséquent
a augmenté leur valeur. On n'a pas été sensible de
cette valeur acquise à l'or et à l'argent par les usages
de la monnoye, l'augmentation de leur quantité ayant baissé
leur valeur davantage, mais cette valeur acquise les a empêchés
d'estre à si bas prix qu'ils auroient esté s'ils n'avoient
pas esté employés à faire la monnoye et que les mêmes
quantités avoient esté apportées en Europe.
Je suppose qu'il y a autant d'or et d'argent employé à
faire la monnoye et que les mêmes quantités avoient été
apportées en Europe.
Je suppose qu'il y a autant d'or et d'argent employé à
faire la monnoye qu'à tous les autres usages auxquels ces métaux
sont employés; alors ils ont une grande partie de leur valeur des
usages de la monnoye. S'ils n'est oient plus employés à
faire la monnoye, la demande pour ces métaux ne seroit pas si grande,
la qualité pour servir aux autres usages seroit plus grande. Et
comme les effets reçoivent leur valeur des usages auxquels ils
sont employés et que cette valeur est réglée selon
que la quantité est proportionnée à la demande, la
valeur d'or et d'argent seroit réduite plus bas qu'elle n'est à
présent, ces métaux n'estant plus employés à
faire la monnoye et la quantité pour servir les autres usages estant
si considérablement augmentée. L'or et l'argent, avant la
découverte des Indes, estant peu sujets aux changements en leur
valeur et capables d'un titre, estoient par là et leurs autres
qualités propres à faire la monnoye, mais les Princes, en
surhaussant ou affoiblissant les espèces, ont rendu la monnoye
incertaine en qualité quoique réduite à un titre
et la grande quantité de ces métaux qu'on apporte des Indes
rend leur valeur plus sujette aux changemens que la valeur des autres
effets.
Les surhaussemens des espèces ou autres affoiblissemens de la
monnoye ne rendent pas l'or et l'argent moins propres aux usages de la
monnoye, il dépend du Prince de continuer les espèces du
même poids et titre et les exposer pour le même prix, mais
les changements qui arrivent dans la quantité d'or et d'argent
ou dans la demande pour ces métaux les rendent moins propres à
ces usages. Le Prince n'a pu ny ne peut y remédier.
Si on pouvoit trouver de quoy faire la monnoye qui eût les qualités
nécessaires et qui continueroit de la même valeur, il y seroit
plus propre que l'or ou l'argent mais il n'y a rien qui est certain en
valeur car le moindre changement dans la quantité ou dans la demande
change la valeur. Ce qui est moins exposé à ces changements
est le plus propre et doit estre préféré pourveu
qu'il ait les autres qualités nécessaires ou qu'il soit
capable de les recevoir.
Les vin, blé, etc., continueront à peu près de la
valeur qu'ils ont à présent, car la quantité augmente
et diminue avec la demande. Si on employoit quelque autre effet à
servir les usages auxquels le blé est employé, la demande
pour le blé diminueroit, mais alors on employeroit les terres à
produire cet autre effet au lieu du blé et la quantité diminueroit
avec la demande. Si la demande augmente, on employeroit plus de terres
à produire le blé et la quantité augmenteroit avec
la demande.
Il arrive, dans les années stériles ou très abondantes,
que le blé et le vin changent considérablement en valeur,
mais cela ne dure pas; en peu, la quantité se trouve dans la proportion
qu'elle estoit avec la demande et le prix revient.
Les métaux diminueront en valeur car la quantité ne dépend
pas de la demande. J'ay une mine de plomb; la demande pour le plomb n'augmente
pas ou vient à diminuer et la valeur diminue; mais je continueray
à faire travailler la mine tant que la valeur du plomb que j'en
tire excède la dépense parce que je ne scaurois employer
la mine à produire d'autres effets.
La valeur des terres est plus certaine car la quantité ne peut
estre augmentée quoique la demande augmente et la demande ne peut
pas bien diminuer, les autres effets ne pouvant suppléer aux usages
auxquels les terres sont employés. Donc de tous les effets, les
métaux sont les plus exposés aux changements en valeur et
la valeur des terres est la plus assurée.
Les terres peuvent estre rendues propres aux usages de la monnoye. Les
terres sont moins sujettes aux changements en valeur que l'or ou l'argent
et elles sont durables. Elles n'ont pas les autres qualités nécessaires,
mais le Roy peut suppléer à ces qualités en établissant
un bureau pour évaluer les terres qui seroient présentées,
en recevoir les titres et la possession, et, pour en donner la valeur
en billets, ordonnant que ce bureau transportera le droit et la possession
des terres ainsi converties à la volonté et au choix de
ceux qui rapportent au bureau la somme en billets à laquelle ces
terres auroient été évaluées.
Pour satisfaire le public que ce bureau ne convertiroit les terres que
pour la valeur qu'elles ont présentement en espèces et dont
les titres sont assurés, il seroit nécessaire que le Roy
ordonne un titre par lequel les terres présentées pour être
converties en billets doivent estre évaluées et que Sa Majesté
garantiroit la possession de ces terres à ceux qui raporteroient
au bureau la valeur en billets.
L'or et l'argent ont été employés à faire
la monnoye parce qu'ils avoient des qualités qui les y rendoient
propres. Ces billets transportant la propriété des terres
estant portatifs, divisibles, transférables par livrance et ayant
l'empreint du Prince pour marquer leur valeur auroient les qualités
nécessaires et seroient monnoye. Ils ne seroient pas monnoye d'or
ou d'argent mais ils seroient monnoye d'une autre espèce.
Les effets de différente espèce peuvent servir aux mêmes
usages. L'or et l'argent sont de différente espèce, pourtant
l'un et l'autre servent aux usages de la monnoye.
Comme une partie de ceux qui jugent, condamnent ou approuvent sans bien
examiner, je m'attends que plusieurs seront prévenus contre la
nouvelle espèce proposée. Pour les désabuser, je
feray voir ce qui est présentement pratiqué en Angleterre;
après, je répondray aux objections que je me suis formées,
qui ont quelque apparence de raison pour les soutenir.
[TROISIÈME PARTIE. ]
Les espèces d'Angleterre ont été compulcées
à 12 ou 14 millions sterlinc (la livre sterlinc vaut environ 16
livres de France); 14 millions sterlinc n'estoient pas capables de servir
à tous les usages auxquels la monnoye d'Angleterre a esté
employée. Si elle n'avoit pas employé d'autres effets à
plusieurs usages de la monnoye, le transport des espèces pour soutenir
ses alliés auroit détruit ses manufactures et le commerce.
La guerre passée, le Parlement ayant besoin d'argent fit un empreunt
de 50.000 livres sterlinc pour 11 années. Comme l'argent estoit
rare, l'intérest estoit proposé à 50 %. Et pour engager
le public à prêter, il estoit proposé que ceux qui
prêteroient seroient érigés en Compagnie sous le nom
de la Banque d'Angleterre et privilégiés pour les 11 années
que l'empreunt estoit proposé, il étoit permis à
un chacun d'y porter son argent. Le plus haut intéressé
estoit limité à 5000 £ sterlinc et le plus petit à
100.
Les 50.000£ étant remplies, les directeurs furent choisis par
les intéressés. Ces directeurs estant des plus riches et
plus réputés négocians et la somme prêtée
au Parlement estant trouvée sûreté suffisante contre
les pertes que la Banque pourroit faire, en peu elle devint le caissier
de la plupart des négocians qui, pour éviter l'embaras des
payements en espèces, la dépense des caissiers, le risque
d'estre volés, etc., portèrent leurs caisses à la
Banque et se servirent des billets de banque dans les payements.
La banque ayant alors une grosse somme en caisse estoit en état
d'en prêter aux particuliers, en gardant une partie pour payer les
billets qui seroient présentés. Comme la banque a fait des
dividendes de 20 et 25 % par années au profit des intéressés,
après avoir défrayé la dépense de l'administration,
on peut computer les sommes confiées à la banque à
1.200.000 £, qu'elle prêtoit 5 ou 400.000 et qu'elle Gard oit le
reste en caisse. Et, par cette supputation, elle a fait le même
effet que si les espèces d'Angleterre a voient été
augmentées de 5 ou 400.000 £ en quantité, car les billets
avoient cours volontaire et on les préféroit aux espèces.
L 'affaire s'étant trouvée bonne les actions estoient négociées
à 60 et 50 % de profit et, le transport de ces actions estant facile,
on les recevoit en payements sur le pied qu'elles estoient négociées,
en sorte que les actions de 50.000 £ faisoient le même effet que
130 ou 140.000 en espèces auroient fait.
Donc le Parlement, en empreuntant 50.000 £ a fait le même bien
au commerce, etc., que si la quantité de monnoye avoit été
augmentée d'environ un million sterlinc, car les actions et les
billets de banque sont compulcés à 13 ou 1.400.000 £ et
les sommes qu'elle garde en caisse ne sont compulcées qu'à
3 ou 400.000. Le Parlement par là a donné une très
grande commodité aux négocians, les billets estant plus
commodes dans les payements que les espèces et une occasion aux
intéressés dans la banque de faire valoir leur fonds 20
et 25 % quoiqu'ils prêtent aux particuliers à 4 et 5.
Les fonds donnés par le Parlement pour soutenir la guerre sont
anticipés. Le gouvernement frappe des tailles pour la somme donnée
et donne ces tailles à négocier ou en payement. Les négocians,
ou ceux à qui le gouvernement doit, les reçoivent en discontant
selon qu'ils computent le tems qu'ils seront remboursés.
De même, les billets d'exchiquier et billets des banquiers particuliers
ont cours dans le commerce comme les espèces en sorte que on peut
dire que le plus gros du commerce d'Angleterre est soutenu par les moyens
qu'ils ont trouvés pour suppléer aux espèces.
Ces moyens ne sont que des crédits ou promesses de(s) payements
en espèces. Ce qui approche le plus à une nouvelle espèce
de monnoye est la Compagnie des Indes. Le fond de cette Compagnie est
partagé en actions comme celuy de la banque, on en négocie
tous les jours à la bourse et le prix courant est marqué
dans les gazettes, etc. pour le faire connoistre au public. Comme le transport
de ces actions est facile on les donne et reçoit en payement sur
le pied qu'elles sont négociées, en sorte qu'un marchand
ou négociant qui a des payements à faire, ne garde pas des
sommes en caisse. Comme il fait valoir une partie de son capital dans
la Compagnie des Indes, il donne de ces actions en payement et si on fait
difficulté de les recevoir sur le pied qu'elles sont négociées
ce jour, il n'a qu'à envoyer à la bourse les convertir en
espèces, mais, comme on peut les convertir, on ne les refuse pas.
Ces actions ne sont pas des promesses de payement en espèces,
elles sont comme une nouvelle espèce de monnoye. Car le fond de
la Compagnie n'est point en argent, [il] consiste en magazine de marchandises
des Indes, en vaisseaux, en places fortes, canons, etc., qui appartiennent
à la Compagnie et qui servent les usages de la monnoye, comme la
même valeur qu'en or ou en argent fabriqué pourroit faire.
Il y en a qui ne veulent pas courir le risque de perte que la Compagnie
peut faire: ceux-là les peuvent convertir en or ou argent dans
le tems et sur ce pied [qu']ils les reçoivent. Les autres les préfèrent
aux espèces parce que ces actions sont une valeur déjà
employée qui produit, et les espèces d'or et d'argent ne
produisent que quand l'occasion se présente pour les employer.
La différence qu'il y a entre un crédit et une nouvelle
espèce [c'est que] la valeur du crédit dépend de
la valeur des espèces d'argent dans laquelle elle doit estre payée
et baisse ou hausse comme la valeur d'argent en matière ou en espèces
baisse ou hausse. Une nouvelle espèce a sa valeur indépendant[e]
de l'argent; si l'argent devient plus commun par la quantité qui
est apporté des Indes et que la valeur baisse en même temps,
un billet de banque ou de l'exchiquier baisse en valeur parce qu'il est
payable en monnoye faite de ce méteil, mais la valeur d'une action
de la Compagnie des Indes ne baisse pas par là; si l'argent devient
plus commun, on donneroit plus de ce méteil pour les actions et
alors les actions ne sont plus chères, c'est l'argent qui est à
meilleur marché. Depuis l'établissement de la Compagnie
des Indes en Hollande, on compute que les actions sont beaucoup enchéries
parce qu'elles valent 12 ou 14 fois la quantité de monnoye qu'elles
valoient alors.
Mais la différence du prix ne vient pas de ce que les actions
valent plus, elle vient de ce que la monnoye vaut moins par les affoiblissements
et l'augmentation de la quantité des matières. Les intéressés
n'ont pas gagné comme ils croyent, ils ont évité
une partie des pertes qu'ils auroient souffertes si leur capital avoit
été employé payable en monnoye et gagné le
revenu qu'ils ont tiré plus que ce capital auroit produit étant
employé à rentes.
QUATRIÈME PARTIE.
Objection. La valeur des terres présentées
pour estre converties en billets ne scauroit estre si connues à
ce bureau qu'elles ne soient souvent converties pour plus ou moins qu'elles
ne valent selon le titre.
Réponse. Le remède de loy et le remède
du poids ont été établis parce que les espèces
d'or et d'argent ne pouvoient estre fabriquées précisément
du titre et poids ordonné. On peut établir un remède
de valuation et en cas qu'il se trouve des terres converties pour plus
qu'elles ne valoient selon le titre et hors le remède, le bureau
seroit obligé de payer ce que les terres seroient jugées
foibles et à l'amande, comme dans la fabrique des espèces.
L'or et l'argent ont cet avantage sur les terres: ils sont plus capables
d'un titre, mais cela ne balance pas les avantages que les terres ont
sur ces métaux dans les autres qualités. Le titre sert principalement
dans les contracts. Le blé n'est pas si capable d'un titre que
l'argent, mais il est moins sujet aux changements en sa valeur. Je suppose
deux personnes qui avoient des rentes, il y a 200 ans pour la même
quantité de blé. L'un a converti sa rente en monnoye et
ses successeurs ne reçoivent pas la 20e partie de valeur que les
successeurs de l'autre reçoivent qui ont continué la rente
payable en blé. L'incertain dans la quantité d'argent fait
plus que balancer l'incertain dans la qualité et quantité
de blé. Donc, quoique les terres ne soient pas si capables d'un
titre que l'or et l'argent, étant plus certain[e]s en valeur, fait
plus que balancer cette avantage, et le[s] rend plus propre[s] que ces
métaux à servir de valeur dans laquelle les contracts sont
faits payables qui est l'usage de la monnoye où le titre est le
plus nécessaire.
Les terres ne valent pas tant que quand les espèces estoient plus
abondantes, les espèces pourroient devenir plus rares, ce qui diminueroit
la valeur des terres et, comme les billets proposés auroient leur
valeur des terres consignées, la valeur des billets seroit incertaine.
Je ne propose pas que cette nouvelle espèce continuera toujours
dans la même proportion de valeur avec les espèces d'or et
d'argent; cela seroit avoir une qualité qu'aucun effet ne sauroit
avoir, mais je prétends que la valeur de cette nouvelle espèce
sera moins incertaine que la valeur des espèces d'or et d'argent.
Les terres ne valent pas tant d'espèces qu'avant la guerre; les
terres ne valent pas moins, ce sont les espèces qui valent plus,
estant devenues plus rares. Les espèces ne sont pas généralement
plus chères dans l'Europe. Elles sont plus chères en France,
le Roy ayant eu des armées à entretenir en pays étrangers
qui en ont causé le transport.
Il y a peu d'apparence que la cherté des espèce[s] doive
continuer, car, nonobstant la guerre, à présent il n'en
sort point ou peu et il vient des matières. Mais je supposeray
que les espèces avoient toujours augmenté en valeur et que
la valeur des terres avoit toujours diminué, qu'une terre estimée
à présent et convertie pour 100.000 livres ne vaudroit en
six mois que 90.000 livres. Comme ces billets auroient leur valeur des
terres consignées, un billet de 1000 livres ne vaudroit alors que
900 livres en espèces.
Si la monnoye de France étoit d'or, que l'argent n'eut jamais
esté fabriqué, qu'il n'y eut pas assez de monnoye d'or ni
de matières pour en faire, mais qu'il y eut assez d'argent en matière,
ferait-on difficulté de fabriquer l'argent parce que une once d'argent
ne vaut pas tant d'or qu'elle a valu. Ce qui est proposé est d'employer
les terres aux usages de la monnoye et il y a bien plus de raison d'employer
les terres à ces usages qu'il n'y aurait dans le cas que je viens
de supposer pour fabriquer l'argent.
L'argent à présent ne vaut pas tant d'or qu'il a valu et
la différence entre la valeur d'or et d'argent pourroit devenir
plus grande, mais cette différence au lieu d'empescher la fabrique
d'argent est une raison très forte pour le fabriquer. L'or estant
supposé rare et l'argent en assez grande quantité, on devroit
employer l'argent à servir les usages de la monnoye et par là
diminuer la demande et la valeur d'or et augmenter la demande et la valeur
d'argent.
De même la différence entre le prix des terres quand les
espèces estoient plus abondantes et à présent, c'est
une raison très forte pour employer les terres aux usages de la
monnoye et par là diminuer la demande et la valeur des espèces
d'or et d'argent et augmenter la demande et la valeur des terres.
J'ay déjà remarqué que de donner des qualités
à un effet. qui le rend capable des usages desquels il n'estoit
pas capable avant de les recevoir, rend la demande plus grande et augmente
la valeur. Les terres, à présent, ne sont pas propres aux
usages de la monnoye; estant converties en billets, elles auroient les
qualités nécessaires, seroient plus utiles à l 'Etat
et augmenteroient plus ou moins employées à les servir.
La valeur acquise aux terres par les usages de la monnoye sera plus que
la valeur acquise à l'or et à l'argent par ces usages. Ces
métaux, tant qu'ils sont monnoye, sont incapables de tout autre
usage. Les terres peuvent servir les usages de la monnoye et produire
en même tems. Les droits de seigneuriage et brassage sont pris sur
les espèces d'or et d'argent; ces droits ne seroient pas pris sur
cette nouvelle espèce: la fabrique, etc., seroit défrayée
par le bureau.
Objection. Celui qui a des sommes à recevoir, qui
a dessein d'achepter quelque terre consignée, recevra ces billets
en payement, mais ceux qui ne veulent pas employer en terres les sommes
qu'ils doivent recevoir ne prendront pas ces billets en payement.
Réponse. On auroit pu faire la même objection
contre l'établissement de la monnoye d'or et d'argent. On auroit
pu dire que ceux qui n'avoient pas besoin de ces métaux ne recevroient
pas la monnoye d'or et d'argent en échange de leurs effets.
Si à l'établissement de la monnoye les espèces ont
été receues parce qu'elles estoient fabriquées et
authorisées par le Prince, par la même raison, les billets
proposés estant fabriqués et autorisés par le Roy
seroient receus comme les espèces d'or et d'argent. Mais les espèces
n'ont pas été receues parce qu'elles estoient fabriquées
ou autorisées, elles ont été receues parce qu'elles
étoient faites des métaux qui avoient une valeur étant
capables d'autres usages, comme j'ay déjà expliqué
page [L'indication n'est pas donnée]. Tous ceux qui recevoient
la monnoye d'or et d'argent n'avoient pas besoin de ces métaux,
ils avoient des effets à troquer, ils les donnoient pour de l'argent,
ils n'avoient pas besoin de ce méteil, ils le prenoient en échange
de ces effets parce qu'ils les pouvoient échanger contre d'autres
effets avec ceux qui en avoient besoin. Mais ceux qui avoient besoin d'or
et d'argent ne faisoient pas la centième partie du peuple, pourtant
ils ont tous reçu ces métaux volontairement en échange
de leurs effets, une partie en ayant besoin a donné cours entre
les autres.
Celui qui achepte les terres acheptera ce que les terres produisent,
les hommes ont plus besoin des terres et de ce qu'elles produisent que
d'or et d'argent. Donc les terres converties en billets et employé[e]s
à servir les usages de la monnoye doivent être reçeu[e]s
préférablement à ces métaux.
Objection. Les contracts estant faits payables en monnoye
d'or et d'argent, ceux qui ont des payements à faire ne recevront
pas cette nouvelle espèce.
Réponse. En Angleterre, les espèces d'or
ne sont pas monnoye, on n'est pas obligé à les recevoir
en payement. Pourtant ceux qui ont des contracts payables en monnoye ne
les refusent pas parce que 1000 £ en or vaut 1000 livres comme la même
somme en argent; au contraire, on préfère les espèces
d'or estant plus portatif.
De même quoique cette nouvelle espèce ne soit pas autorisée
monnoye, elle doit estre receue volontairement, car 1000 livres en terres
valent 1000 livres comme 1000 livres en or ou en argent. La valeur des
terres estant bien moins incertaine que la valeur de ces métaux
et les billets estant plus portatifs, cette nouvelle espèce sera
préférée et ceux qui regardent l'avenir pour eux
ou pour leurs familles ne prendront plus leurs contracts payables en espèces
d'or ou d'argent.
Objection. Quand je reçois la monnoye d'or ou d'argent
en échange de mes effets, je reçois la valeur, mais en recevant
ces billets, je ne reçois pas la valeur, elle est consignée
au bureau.
Réponse. Quand on reçoit un billet de banque,
on ne reçoit pas la valeur, elle est consignée en banque
et comme on peut recevoir la valeur de ces billets en or ou en argent
à la banque, de même on peut recevoir la valeur des billets
proposés en terres au bureau.
Les billets sont plus propres que les espèces à servir
les usages de la monnoye. La banque d'Amsterdam est le caissier des négocians,
les espèces sont consignées et les payements sont faits
par assignation sur la banque. La banque ne donne pas intérest
pour les sommes qu'on luy a consignées, d'engager les négocians
à porter leurs espèces en banque; au contraire il faut payer
la feuille qu'on occupe. En Angleterre, en Ecosse, en Suède, à
Gênes et à Venise, les espèces sont consignées
et les billets qui transportent sont employés aux usages de la
monnoye.
Les billets proposés serviroient les usages de la monnoye comme
les billets de banque avec cette différence: la valeur consignée
étant en terres seroit moins sujette aux changements que l'or et
l'argent consigné pour les billets de banque.
Les banques employent une partie des sommes consignées. La demande
est plus grande que les sommes en caisse: la banque vient à manquer.
Le bureau, pour convertir les billets proposés en terres ne scauroit
manquer, ayant en terres la valeur de tous les billets fabriqués.
[Objection]. Les billets proposés ne peuvent estre convertis
en or ou argent comme les billets des banques.
Réponse. La valeur consignée pour les billets
des banques est en or ou argent; la valeur consignée pour ces billets
est en terres: c'est une monnoye d'une différente espèce.
Les espèces d'or ne sont pas conversibles en espèces d'argent
que par convention. La monnoye d'or est à présent conversible
en monnoye d'argent parce que le Roy change le prix des espèces
comme leur valeur change. De même ces billets seroient conversibles
en espèces d'or et d'argent si le Roy hausse et baisse le prix
de ces espèces pour les rendre équivalents avec les billets.
Si l'or devient plus rare ou que l'argent devienne plus abondant et que
le Roy ne change pas le prix des espèces, on ne trouvera pas un
louis d'or pour le prix marqué par Sa Majesté parce que
le louis d'or alors vaudroit plus.
Si les espèces d'or et d'argent avoient été continuées
du même prix depuis 200 ans ou que les espèces d'or eussent
été haussées dans la même proportion avec les
espèces d'argent, 10 onces et un quart seroit exposé pour
la même somme avec une once d'or. Mais personne ne donneroit une
once en matières ou en espèces pour 10 onces et un quart
d'argent, quoique c'estoit la proportion de valeur marquée par
le Roy parce que l'argent ayant plus augmenté en quantité
que l'or a plus perdu de sa valeur et qu'en transportant l'or en pais
étranger il y auroit 50% à gagner, l'once d'or valant à
présent 15 onces et demi d'argent.
Les billets proposés seroient conversibles en terres comme les
billets des banques sont convertibles en or ou argent et un billet de
1000 ou 10.000 livres pourroit estre échangé au bureau contre
des petits. Mais d'estre conversible en d'autres espèces à
un prix réglé seroit avoir une qualité que la monnoye
d'or, d'argent ni aucune monnoye ou autre effet ne peut avoir.
Objection. Un billet de 100 £ de cette nouvelle espèce
n'est capable d'aucun usage parce que il n'y a pas des terres de ce prix
et il ne peut estre converti.
Réponse. Une pièce de 4 sols ne peut pas
faire une assiette, mais elle est receue parce que plusieur[s] pièces
de 4 sols sont capables de cet usage.
Cette nouvelle espèce proposée seroit conversible en terres,
les espèces d'or et d'argent ne sont pas conversibles en matières.
Car il est deffendu de les fondre, elles peuvent estre converties en matières,
comme elles peuvent estre converties en d'autres effets par convention,
mais si les matières devenoient rares une once en matière
vaudroit plus qu'une once en espèces quoique du même titre.
Si cette deffense pouvoit estre exécutée et que la quantité
des matières diminuât considérablement, les espèces
perdroient leur valeur, une once en matière vaudroit plus qu'une
once en espèces et les espèces ne seroient receues que par
ceux qui auroient contractés à les recevoir.
La fonte des espèces estant deffendue, ceux qui prennent leurs
contracts payables en monnoye ou qui les reçoivent en échange
de leurs effets, ne les reçoivent pas parce qu'ils ont besoin des
métaux d'or ou d'argent, ils les reçoivent comme un gage
ou assurance avec laquelle il est supposé qu'on peut achepter les
mêmes effets qu'on a vendus ou d'autres de cette valeur. La monnoye
qui est moins exposée à diminuer en valeur est la plus propre
pour répondre à cet intention.
Le Roy peut augmenter la demande et la valeur des billets proposés.
Et ordonnant que tous contracts, promesses, etc., soient faits en cette
nouvelle espèce, je consens qu'il doit estre libre de prendre ses
contracts payables en tels effets qu'on veut mais on auroit bien moins
de raison de se plaindre d'un tel édit que de ceux qui deffendent
de contracter en écu ou autres espèces et qui ordonnent
de contracter en livres, sols et deniers, car les livres, etc. sont très
incertaines en valeur, il n'y a pas à présent la 10e partie
d'or ou d'argent dans une livre qu'il y avoit. Quand la même quantité
y seroit, l'or et l'argent ont diminué en valeur et diminueront
selon que la quantité augmente ou que la demande pour ces métaux
diminue, eu sorte que il y a plus à risquer à contracter
en espèces d'or et d'argent ou de recevoir ces espèces en
payement qu'en contractant par cette nouvelle espèce ou en la recevant
car elle est moins sujette à diminuer en valeur.
Il peu à craindre que les billets transportant la propriété
des terres diminuent en valeur; la quantité d'or et d'argent augmente,
la quantité des terres ne peut estre augmentée. A l'égard
de la demande, l'or et l'argent ne sont que produits, les effets produits
peuvent perdre leurs usages ce qui en diminueroit la demande. La demande
pour les terres ne peut pas bien diminuer, car il n'y a rien qui puisse
suppléer aux usages auxquels les terres sont employé[e]s.
Au contraire, les terres augmenteront en valeur par les usages de la monnoye
et la valeur d'or et d'argent diminueront. Les terres peuvent servir les
usages de la monnoye et produire en même tems; l'or et l'argent
tant qu'ils sont monnoye sont incapables de tout autre usage.
Une monnoye qui est sujette aux changements en sa valeur est comme une
aulne qui est incertaine. De contracter en livres c'est comme si on contractoit
pour tant d'étoffe quoique l'aulne qui devoit mesurer l'étoffe
étoit quelque fois plus longue, quelque fois plus courte. Et comme
l'aulne qui est certaine est plus propre que celle qui est incertaine,
ainsi la monnoye qui est moins exposée aux changements en valeur
est la plus propre.
Les métaux d'or et d'argent coûtent les effets transportés
pour donner en échange, les billets ne coûteroient que la
dépense de les faire, qui ne reviendroit pas à tant que
la fabrique des espèces. Se servir d'or et d'argent pour faire
la monnoye est comme si on se servoit de denrées d'un pays étranger,
lesquelles on paye chères et qu'on ne pût avoir en assez
grande quantité pour les besoins les plus pressants, n'ayant pas
des effets à donner en échange ou les autres pays n'ayant
pas besoin d'une plus grande quantité de nos effets, et en même
temps laisser incultes les terres qui sont capables de produire des denrées
d'une autre espèce plus propre aux usages auxquels on employe les
denrées étrangères et qu'on peut avoir chez soy à
peu de dépense et de travail, en assez grande quantité,
pour servir à tous les besoins du Royaume.
Les espèces d'or et d'argent ont esté monopolisées
par les Anglois et Hollandois qui par là et leur œconomie monopolisent
le commerce au préjudice des autres nations qui n'ont pas si grande
quantité des espèces et qui, faute d'espèces, ne
peuvent employer leur peuple. Quand il y auroit assez d'espèces
pour servir à tous les besoins du Royaume, il est de l'intérest
de l'Etat et du commerce que les terres soient employées aux usages
de la monnoye.
II y a plusieurs voyes par où une balance devient deu[e] aux étrangers;
pour payer cette balance, les espèces sont transportées.
Les peuples, faute d'espèces, ne sont pas employés, le commerce
languit, le produit des terres ne peut estre converti en espèces,
les rentes, la taille, etc., ne peuvent estre payées. Les terres
estant employées aux usages de la monnoye, cette confusion n'arrivera
pas, cette nouvelle espèce ne seroit pas transportée en
si grande quantité ou seroit renvoyée, la valeur estant
en France. Et ceux à qui ces espèces transportées
appartiendroient deviendroient en quelque manière françois
ayant leurs effets en France.
Quoiqu'une très grande quantité fût transportée,
la quantité dans le pais continueroit dans la même proportion
avec la demande, si la demande augmentoit, plus de terres seroient présentées
pour estre converties et la demande diminueroit. On apporteroit les billets
au bureau pour les convertir en terres. En sorte que cette monnoye seroit
la valeur la plus certaine et la mesure la plus Juste pour celuy qui doit
payer et pour celuy qui doit recevoir.
Les terres estant employées aux usages de la monnoye, la quantité
estant plus grande, l'intérest baisseroit. Je suppose l'intérest
des espèces d'or et d'argent baissé à 2 ou 3%. La
nouvelle espèce continueroit à 5%, parce qu'elle seroit
conversible en terres qui rendroient environ(s) 5%. Mille livres en cette
nouvelle espèce seroit alors équivalent à 2000 livres
monnoye d'or ou d'argent.
L'intérest de la monnoye estant baissé, le prix des terres
hausseroit; si la monnoye estoit à 2 %, les terres vaudroient le
denier 50 en or ou argent.
Le Roy en employant les terres aux usages de la monnoye augmenteroit
ses revenus par celuy des terres consignées. On croira peut estre
que ce revenu ne seroit pas considérable. Comme la France est capable
d'employer dix fois plus de monnoye qu'elle n'a encore eu, ce revenu doit
produire considérablement et je suis persuadé que si Sa
Majesté employe ce revenu à acquitter les dettes de la Couronne,
elles seront acquittées en moins qu'elles n'ont été
contractées.
Ce moyen de trouver des sommes au Roy est bien différent des autres;
au lieu d'estre à charge au peuple, les soulageroit. Et d'autant
que ce revenu augmente d'autant plus le peuple seroit soulagé et
l'Etat sera plus puissant puisque cette nouvelle espèce n'augmenteroit
en quantité qu'à mesure que la demande augmente. C'est une
source de monnoye qui ne peut pas estre épuisée et qui sera
toujours preste quand l'industrie la demande.
Comme il est de l'intérest du Roy, des propriétaires des
terres et du peuple que les terres soient employées à servir
les usages de la monnoye, il dépend de Sa Majesté et des
propriétaires des terres d'introduire cette nouvelle espèce
dans le commerce et autres payements sans aucune force et d'en exclure
les espèces d'or et d'argent en prenant à l 'avenir leurs
baux et autres contracts payables en cette nouvelle espèce. Le
reste du peuple alors s'en serviroit car on ne pourroit avec les espèces
d'or et d'argent achepter le produit des terres. Le fermier estant obligé
d'échanger le produit contre l'espèce qu'il a contracté
à payer à son seigneur et avec laquelle il doit acquitter
la taille ou autres droits qu'il doit payer à Sa Majesté.
La valeur dans laquelle les propriétaires des terres contractent
à estre payé[s] deviendra la valeur dans laquelle les autres
contracts seront receus et par laquelle le commerce se fera.
Le manufacturier et l'artisan vendront leurs ouvrages pour cette monnoye,
en ayant besoin pour achepter les matériaux qu'ils employent et
pour payer les ouvriers qui préféreront cette monnoye pour
achepter de quoy se nourrir. Les rentes des maisons, etc., seront payées
avec cette monnoye, car ceux qui vivent de leurs rentes sont nourris et
vêtus du produit du pays et travail du peuple. De même le
produit de manufacture sera achepté avec cette nouvelle monnoye.
Les étrangers en ayant besoin pour achepter le produit des manufactures
de France, on trouvera des lettres de change, pour la valeur, en monnoye
étrangère. Supposant que Sa Majesté, ny les propriétaires
des terres, ne fassent rien pour introduire cette nouvelle espèce,
comme elle est plus propre et que sa valeur est plus assurée, le
tems l'introduira et excluera les espèces d'or et d'argent des
usages de la monnoye.
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