* in La Théorie de l'économie
politique. Trad. fr. Paris, Giard & Brière, 1909.
406 p.
1. Statistical Society
2. Formel
3. Littéralement présents en nous, present with us.
4. Critical points.
5. Littéralement le point final.
6. Lectures on Political Economy.
Extrait du Journal de la Société de Statistique (1)
de Londres. (juin 1866).
Bref résumé d'une Théorie Générale
Mathématique de l'Économie Politique.
1° L'exposé suivant décrit brièvement
la nature d'une théorie d'Économie (Politique) qui ramène
le problème principal de cette science à une forme mathématique.
Evidemment l'Économie (Politique), qui traite de quantités,
a nécessairement toujours été mathématique
en son objet, mais on n'a pu en faire l'exposé exact et général,
ni comprendre facilement ses lois quantitatives, parce que l'on a négligé
les puissantes méthodes d'expression qui ont été
appliquées à la plupart des autres sciences avec tant de
succès. Quoiqu'il [sic] en soit, il ne faut pas supposer
que parce que l'Economie (Politique) deviendra mathématique en
la forme, elle donnera par suite matière à des calculs rigoureux.
Les principes mathématiques pourront devenir incontestables et
certains tandis que les données particulières demeureront
aussi exactes (2)
qu'elles le furent toujours.
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2° On ne pourra arriver à une théorie exacte de l'Economie
(Politique) qu'en remontant aux mobiles fondamentaux de l'action humaine
les sensations de plaisir et d'effort. Une grande partie
de ces sensations naît périodiquement des besoins et désirs
de l'esprit et du corps et des efforts pénibles que nous sommes
continuellement poussés à accomplir en vue de satisfaire
nos besoins.
L'Economie (Politique) recherche les relations entre les plaisirs et les
efforts ordinaires et a un champ de recherches assez large. Mais l'Economie
(Politique) ne traite pas de tous les mobiles humains. Il y a presque
toujours à nos actes
(3) des mobiles nés de la conscience, de la compassion ou de
quelque source morale ou religieuse, dont l'Economie (Politique) ne peut
et ne saurait prétendre traiter. Ils continueront à être
pour nous des forces extérieures troublantes; et devront être
étudiés, s'ils le sont jamais, par d'autres branches appropriées
du savoir.
3° Nous traitons toujours les sensations comme étant susceptibles
de plus ou de moins et je prétends maintenant que ce sont
des quantités susceptibles d'un traitement scientifique.
Notre évaluation des montants comparatifs de sensations s'accomplit
par l'acte du choix ou de la volonté. De deux décisions
possibles, le choix que nous faisons de l'une prouve que d'après
notre évaluation la décision choisie promet la plus grande
balance de plaisir. Quand il y a une force prépondérante
considérable d'un côté, l'évaluation du montant
de cette balance est sans doute très grossière, mais le
point délicat (4)
de cette théorie sera la juste évaluation de mobiles opposés,
que nous ferons, lorsqu'ils sont presque égaux et que nous hésitons
entre eux.
4° Ainsi que plusieurs auteurs l'ont déjà indiqué,
les sensations ont deux dimensions : l'intensité et la durée.
Pendant un instant indivisible, un effort ou un plaisir peuvent être
soit faibles, soit
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intenses, ils peuvent aussi durer longtemps ou peu. Si l'intensité
demeure constante, la quantité de sensation engendrée est
obtenue en multipliant les unités d'intensité par celles
de durée. Mais comme cela est ordinairement le cas, l'intensité
varie suivant quelque fonction du temps, la quantité de sensation
est obtenue par une somme d'infiniment petits ou intégration.
Ainsi, la durée d'une sensation étant représentée
par l'abscisse d'une courbe, l'intensité sera l'ordonnée
et la quantité de sensations l'aire de cette courbe.
5° Le plaisir et l'effort sont opposés, bien entendu, comme
le sont des quantités positives et négatives.
6° Un principe de l'esprit que toute théorie exacte doit faire
entrer en compte est celui de prévision. Tout plaisir ou
effort futur attendu nous affecte avec des sensations similaires dans
le temps présent, mais avec une intensité réduite
dans une proportion donnée, suivant son incertitude et son éloignement
dans le temps. Mais les effets de la prévision sont simplement
de compliquer, sans les modifier, les autres parties de la théorie.
7° Tels sont les principes principaux [sic] de sensations sur
lesquels l'Economie (Politique) est basée. Une seconde partie de
la théorie procède des sensations aux objets utiles
ou utilités grâce auxquels une sensation de plaisir
est accrue ou un effort supprimé.
Un objet est utile quand il affecte les sens dans la direction du plaisir
au moment présent ou quand on s'attend à ce qu'il agisse
ainsi à quelque moment futur. Nous devons donc distinguer avec
soin l'utilité actuelle dans l'usage actuel de l'utilité
future évaluée qui, tout en faisant la part de la force
imparfaite d'anticipation, donne cependant une certaine utilité
actuelle.
8° Montant d'utilité correspond à montant de
plaisir produit. Mais fournir de manière continue et uniforme un
objet utile aux sens où aux désirs ne produira pas ordinairement
des montants uniformes de plaisir. Tout appétit ou sens arrive
plus ou moins rapidement à la satiété. Lorsque l'on
a reçu une certaine quantité d'un article, une quantité
ultérieure nous est indifférente, ou
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peut même exciter notre dégoût. Chaque application
successive excitera normalement les sensations avec une moindre intensité
que 1a précédente. L'utilité de la dernière
portion d'un objet décroît, donc, habituellement, dans une
proportion déterminée ou suivant une fonction de la quantité
totale reçue. Cette variation existant théoriquement même
pour les quantités les plus petites, nous devons avoir recours
aux infiniment petits et ce que nous appellerons coefficient d'utilité
est le rapport entre le dernier incrément ou fourniture infiniment
petite de l'objet, et l'incrément de plaisir dont il est la cause,
tous deux, bien entendu, évalués dans leurs unités
appropriées.
9° Le coefficient d'utilité est donc quelque fonction généralement
décroissante de la quantité totale de l'objet consommé.
C'est ici la loi la plus importante de toute la théorie.
Celte fonction d'utilité est particulière à chaque
sorte d'objet et plus ou moins à chaque individu. Ainsi, l'appétit
de pain sec est satisfait beaucoup plus rapidement que celui de vin, de
vêtements, de beau mobilier, d'objets d'art ou finalement d'argent.
Et chacun a ses goûts particuliers pour lesquels il est presque
insatiable.
10° Une troisième partie de la théorie traite du travail
qui quel que soit le moyen par lequel nous recherchons le plaisir
est toujours accompagné par une certaine fatigue pénible,
qui augmente rapidement comme une fonction de l'intensité ou de
la durée du travail. Et l'on fournira du travail à la fois
en intensité et en durée jusqu'à ce que la pénibilité
de l'incrément ultérieur soit plus grande que le plaisir
de l'incrément de produit qu'il a permis d'obtenir. Le travail
s'arrêtera alors, mais jusqu'à ce point il aura toujours
été accompagné d'un excès de plaisir.
Il est évident que la limite
(5) du travail dépendra du taux final d'utilité de l'objet
produit.
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11° Je suppose, comme une vérité évidente, que
les capacités des hommes sont infiniment variées, soit par
la nature, soit par l'éducation, de telle sorte que, à la
fois, la même personne aura un pouvoir variable de production pour
les différents objets, et que ceux de deux personnes varieront
pour le même objet.
Ceci est évidemment en opposition avec la simplification erronée
de la science faite par Ricardo, en supposant que tous les travailleurs
ont un certain pouvoir uniforme; les classes supérieures de mécaniciens
au autres producteurs qualifiés et instruits étant considérées
comme de simples exceptions à la règle.
12° La théorie de la rente qui intervient ici n'est pas matériellement
différente de celle développée par le Dr Anderson
et les auteurs postérieurs.
13° Nous arrivons alors à la théorie de l'échange
qui est une conséquence déduite des lois de l'utilité.
Si une personne a un objet quelconque, mais qu'un objet appartenant à
une autre personne ait une plus grande utilité pour la première,
elle sera heureuse de donner le sien en échange de l'autre. Mais
il est une condition nécessaire : c'est que l'autre personne gagne
également ou tout au moins ne perde pas par l'échange.
On ne peut savoir si l'échange se produira ou non qu'en évaluant
l'utilité des objets de part et d'autre, ce que l'on fait par l'intégration
des fonctions convenables d'utilité de zéro à la
quantité totale de chaque objet. Une balance d'utilité de
part et d'autre conduira à l'échange.
14° Supposons cependant que les objets utiles de chacun soient des
produits dont il puisse être donné plus ou moins et cela
même par quantités infinitésimales. Tel est, en substance,
le cas pour les ventes commerciales ordinaires. Il n'y a plus alors de
montants définis d'utilité à balancer, mais l'une
des personnes donnera à l'autre une quantité telle de son
produit et dans un tel rapport d'échange, que s'il en donnait une
quantité infiniment
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petite, soit en plus, soit en moins, mais dans le même rapport,
il ne gagnerait pas d'utilité. Les incréments d'utilité
perdus ou gagnés à la limite des quantités échangées
doivent être égaux, car s'il n'en était pas ainsi,
des échanges ultérieurs se produiraient.
Cependant le rapport des incréments des produits serait indéterminé
sans l'existence de la loi d'après laquelle toutes les quantités
du même produit étant uniformes en qualité doivent
être échangées dans le même rapport. Par suite,
le dernier incrément doit être échangé dans
le même rapport que la totalité des quantités échangées.
Expliquer dans le langage ordinaire comment l'équilibre s'établit
dans ces conditions est presqu'impossible. Mais tout le problème
se trouve éclairé en disant que dans tout échange
semblable nous avons deux quantités inconnues et deux équations
pour les déterminer. Les quantités inconnues sont
les quantités de produits données et reçues. Les
quantités connues sont celles des produits que l'on possédait
auparavant. Nous avons aussi les fonctions d'utilité de ces produits,
eu égard aux personnes. On peut ainsi établir, de part et
d'autre, une équation cotre l'utilité gagnée et l'utilité
perdue pour les derniers incréments échangés dans
le rapport des quantités totales échangées.
15° Quand un seul des objets est indéfiniment divisible nous
aurons seulement une quantité inconnue, savoir celle du produit
divisible donné pour l'objet indivisible et aussi une équation
pour la déterminer, à savoir celle relative à la
personne possédant le produit divisible et susceptible d'en donner
plus ou moins. Mais ceci ne s'applique pas à des objets uniques
tels que statues, livres rares ou gemmes, auxquels la conception de plus
ou moins ne saurait s'appliquer.
Quand les deux produits sont indivisibles, comme nous l'avions d'abord
supposé (section 13), nous n'avons ni quantités inconnues
ni équations.
16° Les équations d'échange peuvent être incompatibles
ou sans solution. Cela indiquera soit qu'aucun échange ne peut
s'effectuer,
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soit que l'une des parties à l'échange ne sera pas satisfaite
même par la totalité du produit appartenant primitivement
à l'autre.
17° Le principe de l'échange ainsi établi pour deux
personnes et deux produits s'applique à un nombre quelconque de
personnes et de produits. Par conséquent, il ne s'applique pas
seulement au commerce général intérieur d'un pays,
mais au commerce entre les collectivités d'hommes ou nations, c'est-à-dire
au commerce international.
Le nombre des équations s'accroît très rapidement
en vertu de la loi simple des combinaisons.
18° Bien entendu, ces équations dont il est question ici sont
purement théoriques. Des lois aussi compliquées que celles
de l'Economie (Politique) ne peuvent pas être exactement établies
dans les cas individuels. On ne peut déceler que leur action que
pour les collectivités et par la méthode des moyennes, nous
devons nous déterminer d'après la forme de ces lois, dans
leur perfection théorique et leur complication ; en pratique, nous
devons nous contenter de lois empiriques et approximatives.
19° Remarquons que, bien que les échanges soient réglés
par des équations, il ne peut y avoir égalité entre
les totaux des utilités gagnées et perdues que l'on obtient
par l'intégration des fonctions d'utilité des produits respectifs
avant et après l'échange La balance est le gain d'utilité
et d'après la nature de l'échange il doit y avoir gain au
moins d'un côté.
20° Si l'on combine la théorie des échanges avec celle
du travail et de la production, la quantité produite par chaque
personne dépendra du résultat des échanges, ce qui
peut considérablement modifier les conditions d'utilité.
On introduit ainsi une nouvelle série de quantités inconnues,
mais l'on verra que l'on peut établir autant d'équations
nouvelles (que de quantités) pour leur détermination. Chacune
de ces équations est établie entre l'utilité du dernier
incrément de production et la quantité de travail nécessaire
à sa production.
21° La dernière partie de la théorie que je tenterai
d'expliquer
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ici est celle relative au capital. Je donnerai da capital une définition
différente de celle qui est (généralement) adoptée,
et beaucoup plus simple. M. J. S. Mill dit (Principes, 3e édition,
vol. I, p. 67) :
«Ce que le capital fait pour la production, c'est de lui offrir
abri, protection, outils et matières premières que le travail
exige, et d'alimenter et soutenir par tous autres moyens les travailleurs
pendant le processus de production.»
Pour comprendre exactement ce qu'est le capital nous devons omettre de
cette définition tout, sauf la dernière énumération.
Je définis donc le capital : tous objets utiles qui, satisfaisant
les besoins et désirs ordinaires du travailleur, lui permettent
d'entreprendre des travaux dont les résultats ne seront obtenus
qu'après un temps plus ou moins long. En résumé,
le capital n'est pas autre chose que l'entretien des travailleurs.
Il est, bien entendu, parfaitement exact que les bâtiments, les
outils, les matières premières, etc., sont des moyens nécessaires
pour la production. Ce sont les résultats de l'application de capital
à des stades imparfaits.
Sans capital l'homme doit obtenir des résultats immédiats
faute de quoi il périt. Grâce au capital il peut semer au
printemps ce qu'il récoltera à l'automne ; ou il peut entreprendre
des travaux économisant de la main-d'oeuvre dans l'avenir, tels
que routes et chemins de fer qui ne donneront pas leur plein rendement
avant de nombreuses années. Les méthodes les plus perfectionnées
d'application du capital nécessitent que l'on diffère le
bénéfice de résultat.
22° Tandis que le montant du capital est évalué par
le montant d'utilité dont on diffère la jouissance, le montant
d'emploi de capital est le montant d'utilité multiplié
par le nombre d'unités de temps pendant lequel la jouissance en
est différée.
23° Sur un marché il n'y a qu'un taux unique d'intérêt
pour tout le capital et c'est par conséquent le taux le plus bas,
parce que le capital consiste seulement dans l'entretien (des travailleurs)
et peut, par suite, être appliqué indifféremment à
n'importe
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quelle branche d'industrie. Les bâtiments, outils, etc., qui ont
été classés avec le capital sont au contraire habituellement
utilisables pour la seule fin en vue de laquelle ils ont été
créés. Le profit dont ils sont l'origine n'obéit
par suite en aucune manière aux lois de l'intérêt
du capital, mais plutôt à celle de la rente ou du produit
des agents naturels. Cela a déjà été indiqué
par le professeur Newman, dans ses Leçons d'Economie politique
et par d'autres auteurs
(6).
24° Comme l'on doit toujours supposer le travail aidé par du
capital, le taux de l'intérêt est toujours déterminé
par le rapport dans lequel un nouvel incrément de produit est à
l'incrément de capital grâce auquel il a été
obtenu. Comme l'intérêt de tout le capital doit être
uniforme, le bénéfice que 1a masse de capital, déjà
disponible confère au travailleur n'intervient en rien dans la
détermination du taux de l'intérêt qui dépend
seulement de la dernière portion ajoutée ou qui peut être
ajoutée.
25° Nous pouvons maintenant expliquer aisément le fait connu
que l'intérêt du capital tend à baisser très
rapidement quand le montant de celui-ci augmente, en proportion du travail
qu'il sert à entretenir. C'est parce que pour des incréments
égaux de temps, les incréments nécessaires de capital
s'accroissent avec le temps. Ainsi si j'entreprends un travail que je
peux achever en une année, j'ai à en attendre le résultat
en moyenne seulement pendant une demi-année. Si cependant je travaille
pendant une deuxième année avant d'eu avoir le résultat,
j'atteindrai pendant toute une année le résultat de la première
année de travail et pendant une demi-année celui de la deuxième.
Et ainsi j'emploie au moins trois fois autant de capital pendant la deuxième
année que pendant la première. La troisième année,
j'emploierai au moins cinq fois autant de capital, la quatrième
année au moins sept fois autant et ainsi de suite. Par conséquent,
à moins qu'en différant successivement l'emploi des résultats
les
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avantages s'accroissent, suivant la série arithmétique 3,
5, 7, 9, etc., le profit proportionnel dû aux additions nouvelles
doit baisser et, ainsi que cela a été dit précédemment,
le taux le plus bas auquel on peut obtenir du capital gouverne le taux
de tout le reste du capital.
26° L'opinion acceptée des auteurs actuels est que le taux
de l'intérêt tend à baisser parce que les rendements
du sol ne sont pas proportionnels au développement de la culture.
Mais je dois maintenir que cette décroissance dans la proportionnalité
des rendements retomberait principalement sur les salaires des travailleurs.
Il n'y a aucune relation entre l'intérêt du capital et le
rendement absolu du travail mais il y en a une seulement entre cet intérêt
et l'accroissement de rendement que permet le dernier incrément
de capital.
27° Ayant expliqué ainsi quelques-uns des traités principaux
de la théorie, je terminerai sans m'aventurer dans les complications
plus ardues du sujet dans lesquelles on fait entrer en compte les effets
de l'argent, du crédit de la coalition du travail, du risque ou
incertitude des entreprises ou des faillites.
Le résultat final de la théorie sera de fournir une détermination
du taux des salaires ou du produit du travail après déduction
de la rente, de l'intérêt, du profit, de l'assurance, des
taxations qui sont autant de payements faits par le travailleur pour les
avantages dont il bénéficie.