SEPTEMBRE 1775. 127
 
Non, Muse, non, gardez votre rameau fragile,
Je préfère le don que m’a fait l’Amitié,
Mme Necker lui répondit sur les mêmes rimes :

Ou trône ou tabouret, tout vous sert de trépied.
Caton vous décerna le rameau de Virgile ;
Sur d’autres ce rameau pourrait être fragile,
Mais il est immortel placé par l’Amitié.

— L’Académie royale de musique vient de donner deux actes nouveaux, Alexis et Daphné, pastorale, et Philémon et Baucis, ballet héroïque. Les paroles sont de M. Chabanon de Maugris, auteur de la traduction en vers du troisième livre des Odes d’Horace. La musique est du sieur Gossec, plus connu par sa belle messe des morts que par son triste Sabinus.

Le sujet de la pastorale est pris d’une des dernières idylles de M. Gessner, intitulée la Jalousie. Ce qui peut inspirer beaucoup d’intérêt dans une églogue paraît souvent bien froid au théâtre, et le poëme de M. Chabanon en est la preuve. Le ballet de Philémon a un peu plus de mouvement, du moins plus de spectacle; les deux actes cependant n’ont eu qu’un très faible succès, et si vous en exceptez quelques airs de danse qui ont fait plaisir, on n’a pas été plus content du musicien que du poëte.

La Colonie attire toujours beaucoup de monde à la Comédie-Italienne, et cette musique est bien faite pour dégoûter le public du chant lourd et monotone dont l’Académie royale semble avoir fait une loi inviolable à tous ceux qui ont l’honneur de travailler pour elle.

— On ne saurait présenter les vérités utiles sous trop de formes différentes. La doctrine économique a été mise en système par M. de La Rivière, en livres mystiques et ascétiques par le marquis de Mirabeau, en livres de controverse par l’abbé Morellet, M. de Condorcet et autres, en journaux par M. Dupont et ses successeurs, en gazettes et en chansons légères par l’abbé Roubaud, en pièces dramatiques par MM. Dupont, Le Blanc, etc. Il ne restait plus qu’à la faire graver comme le Décalogue ou les Réflexions essentielles qu’on trouve chez tous les marchands



128 CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.
 
d’estampes aux boulevards. Cette idée lumineuse et bienfaisante vient d’être exécutée par M. Quesnay le fils. Il a fait faire une très-belle planche ornée de festons, de guirlandes et de vignettes, toutes relatives au sujet, qui renferme les Maximes générales du gouvernement agricole le plus avantageux au genre humain, par M. Quesnay, de l’Académie des sciences, avec ces deux épigraphes :

Ex natura jus, ordo et leges.
Ex homine arbitrium, regimen et coercitio.

Cette gravure se vend en cadre doré sous glace au Palais-Royal et aux Tuileries.

Les maximes de l’illustre M. Quesnay se distinguent les unes à force d’évidence et de clarté, les autres par une obscurité des plus imposantes, d’autres enfin par une subtilité tout à fait merveilleuse. Voici celles qui nous ont frappé le plus dans chaque genre.

« Qu’on évite la désertion des habitants qui emporteraient leurs richesses hors du royaume.
« Qu’on favorise la multiplication des bestiaux.
« Qu’on soit moins attentif à l’augmentation de la population qu’à l’accroissement du revenu.
« Que les propriétaires et ceux qui exercent des professions lucratives ne se livrent pas à des épargnes stériles.
« Que la nation ne souffre pas de perte dans son commerce réciproque avec l’étranger.
« Qu’on ne croie pas que le bon marché des denrées soit profitable au menu peuple. »

Nous ne nous permettrons qu’une seule remarque sur ce chef-d’oeuvre d’un genre tout à fait nouveau, c’est que l’auteur paraît s’être écarté lui-même de la maxime XXIIe : Qu’on ne provoque point le luxe de décoration, en chargeant de tant d’ornements des maximes qui n’en avaient sans doute aucun besoin pour produire tout l’effet qu’on en doit attendre.

Journal de lecture, ou Choix périodique de littérature et de morale, avec cette épigraphe : Simul et jucunda et idonea dicere vitœ. (HORAT.) Tome premier, en trois parties in-12, par