AVRIL 1775. | 59 |
fugitives, comme l’Êpitre à mademoiselle Chéré, Danchet aux Champs-Elysées, etc. |
|
AVRIL.
|
|
Annoncer un ouvrage où l’on déploie hardiment toute la force de la raison et toute l’autorité du génie, dire que cet ouvrage paraît avec le sceau de l’approbation la plus authentique, quoiqu’il renferme des principes contraires à ceux de l’administration actuelle, c’est faire, ce me semble, en même temps l’éloge de l’ouvrage et celui du ministre qui pouvait le supprimer, si son âme eût été moins attachée aux intérêts de la vérité qu’à la vaine gloire de ses opinions particulières. |
|
Il est vrai que si le livre de M. Necker Sur la Législation et le Commerce des grains est de tous les écrits publiés contre les économistes celui qui combat le plus vigoureusement leur système, c’est aussi le plus sage et le plus modéré. La raison en est simple. M. Necker, fort peu occupé de ces messieurs, quoiqu’il paraisse connaître à fond leur logique, leurs calculs et même leur pieuse charlatanerie, s’est concentre tout entier dans son objet. Il l’a vu sous toutes les faces, il a pesé avec la plus grande impartialité les avantages et les inconvénients de tous les projets adoptés successivement par le ministère. En discutant les questions qui intéressent particulièrement la France dans ce moment, il a su les ramener toutes à ces grandes vérités qui sont de tous les siècles et de tous les pays. Et c’est ainsi qu’un homme supérieur élève toujours son sujet au niveau de son âme et de ses lumières. |
|
Ne doit-on pas être surpris que de tant d’illustres écrivains, qui ont paru vouloir embrasser dans leurs ouvrages toutes les branches de la législation, il n’y en ait aucun qui ait approfondi le problème le plus important de l’économie politique, le commerce des grains? Montesquieu lui-même n’en parle qu’en passant, tandis qu’il ne dédaigne pas d’entrer dans le plus grand détail sur le commerce de luxe, sur les monnaies et sur les |
60 | CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE. |
changes. II semble qu’on n’ait songé qu’à établir les droits de l’autorité, de la richesse et de la puissance. On n’a vu le bonheur des peuples que sous un seul rapport, sous celui qu’il peut avoir avec la grandeur des souverains et la sûreté des hommes qui la partagent plus ou moins par leur crédit et par leur opulence. La classe la plus nombreuse des citoyens, celle qui n’a qu’une subsistance précaire, puisqu’elle est forcée de l’arracher chaque jour aux caprices ou aux besoins des riches, cette classe si considérable à la fois et si digne de compassion, a presque toujours été oubliée. On ne l’a point appelée à la composition des lois auxquelles elle est soumise. Elle n’a ni gloire ni récompense à offrir à ceux qui ont le courage de la défendre ou de la protéger. Que j’aime à voir un homme comblé des faveurs de la fortune employer les loisirs qu’elle lui laisse à remplir cette tâche auguste! Et qu’il est doux de joindre à l’admiration qu’inspire un ouvrage de génie le sentiment pur et délicieux qu’inspire une bonne action ! Les lois sur le commerce des grains, comme le remarque M. Necker, sont presque les seules qui peuvent assurer ou troubler le repos de la multitude. Vivre aujourd’hui, travailler pour vivre demain, voilà l’unique intérêt qui l’agite et, par conséquent, l’unique objet de ses pensées. Ce n’est donc que par la sagesse des lois relatives à cet objet qu’on peut adoucir le sort du peuple, l’empêcher d’être malheureux, ou du moins lui faire supporter sa misère. Ce sont ces considérations qui ont dicté l’ouvrage que nous avons l’honneur de vous annoncer. Cet esprit de bienfaisance et d’humanité lui a donné un caractère de chaleur et d’élévation dont le charme, répandu sur les discussions les plus abstraites, leur communique un intérêt qui ne tient pas seulement à l’énergie et à la profondeur du raisonnement, mais encore à la noblesse de l’expression et au ton sublime et vrai de la pensée. Peut-être n’est-il point de question plus étendue et plus compliquée que celle du commerce des grains. Jamais cette question n’a été plus approfondie que dans l’ouvrage de M. Necker. Cependant nous croyons pouvoir dire avec la même confiance que jamais on n’a rien écrit de plus clair sur cette matière : tant il est vrai que la logique la plus profonde est aussi la plus évidente, parce que dans sa marche ferme et soutenue elle nous conduit, de résultats en résultats, à des principes que tout esprit droit ne peut méconnaître. |
AVRIL 1775. | 61 |
Le livre de M. Necker est divisé en quatre parties. Dans la première se discute l’exportation des grains; dans la seconde, la liberté intérieure; dans la troisième, il examine les modifications les plus connues, applicables au commerce des grains en général; dans la quatrième, il propose enfin son opinion sur la loi qui obvierait au plus grand nombre d’inconvénients. |
|
— Pour l’amusement du public pendant la clôture des spectacles, il vient de s’élever une guerre assez nouvelle entre la troupe des Comédiens français et MM. les auteurs. Il y aurait, je l’avoue, plus de dignité à dire « et la république des lettres » ; mais est-il probable que la politique éclairée de ce corps illustre eût voulu remettre ses pleins pouvoirs ès mains de MM. Cailhava, Palissot et Mercier ? Quoique ces messieurs ne parlent que de l’intérêt général, de la perfection, des progrès [de l’art, il n’est pas difficile de s’apercevoir que leur propre gloire les occupe encore un peu plus que le bien public, et que ce n’est qu’en leur seul et privé nom qu’ils demandent justice des prévarications atroces de l’aréopage comique. |
|
L’attaque de M. Cailhava n’est qu’une querelle renouvelée. Justement irrité de voir le peu d’empressement que les comédiens ordinaires du roi ont à jouer ses chefs-d’œuvre, il propose d’établir deux théâtres dont la rivalité servirait sans doute à ranimer l’émulation des talents qui existent, et à en faire naître de nouveaux. C’est un projet qu’il avait déjà annoncé, il y a quelques années, dans son gros livre sur l’Art de la comédie. Il vient de le développer avec plus d’étendue dans une brochure particulière en forme de lettre. Peut-être a-t-on cru ce moment où l’on fait la guerre à tous les privilèges exclusifs plus favorable qu’un autre au succès de ses vœux patriotiques. Ce qu’il y a d’honnête dans son procédé, pour ne pas dire de sublime, c’est que, bien persuadé de la haine à laquelle il allait s’exposer en publiant cet ouvrage, il a commencé par déclarer qu’il renonçait à faire jouer son Égoïste, reçu déjà depuis plusieurs années. Ce dévouement généreux vaut bien toute la morale que pouvait contenir sa pièce. Nous espérons d’ailleurs que M. Barthe, l’auteur des Fausses Infidélités, nous dédommagera un jour de tout ce que ce grand sacrifice nous fait perdre. Il a fait sur le même |