FÉVRIER 1775. | 39 |
demie française a substitué les Éloges des grands hommes de la nation aux sujets frivoles qu’elle donnait à traiter ci-devant pour le prix d’éloquence. Mais de ses mille et un projets ce n’est pas le seul dont l’expérience ait justifié les avantages : on lui doit plusieurs réformes faites dans la police de Paris et dans le règlement des ordres monastiques. |
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— Pour se donner toute la considération d’une secte ou d’une religion nouvelle, il ne manquait plus à MM. les économistes que d’avoir un chef, une espèce de saint digne de la dévotion religieuse de leurs conventicules moraves. C’est M. François Quesnay, mort le 16 décembre 1774, qui leur a paru propre à remplir ce rang sublime, et c’est le 20 du même mois que sa canonisation a été célébrée dans un discours prononcé devant l’assemblée de ses disciples par M. le marquis de Mirabeau. Il faut lire ce discours imprimé à la fin du premier volume des Éphémérides du citoyen, pour croire que dans ce siècle et dans la capitale de la France, qui se vante d’être la patrie des arts et du goût, on ait pu élever un monument si ridicule au fanatisme et à l’esprit de parti. Le capucin le plus exalté, ce fou de Boehme, qui remplit, il y a quelques années, l’Allemagne de ses visions gnostiques, n’eût pas écrit d’un autre ton l’Éloge de M. Quesnay, s’il avait entrepris d’en faire l’apothéose. | |
Ce grand homme qui a réformé l’Europe, sans que l’Europe s’en soit aperçue, ce précepteur du genre humain qui était à peine connu dans son quartier, ce M. Quesnay n’est mis en parallèle avec Socrate et Confucius que pour donner lieu à M. de Mirabeau de prouver combien il leur fut supérieur. « Socrate, dit-on, fit descendre du ciel la morale, notre maître la fit germer de la terre. La morale du ciel ne rassasie que les âmes privilégiées, celle du produit net procure la subsistance aux enfants des hommes, etc. Oui, l’antiquité eût placé notre maître au-dessus, bien au-dessus de Minos et de Rhadamante, et le 4 juin, jour de sa naissance, sera un jour de fête pour la postérité.» |
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Il faut que ces idées de morale, de physique et de produit net aient fermenté dans la tête de M. le marquis, comme celles des six aunes de drap dans la tête de M. Guillaume. Elles |
40 | CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE. |
reviennent sans cesse à propos de tout et hors de tout propos. Quel tableau pathétique que celui des derniers instants de M. Quesnay! « On le trouva dans cet état de tranquillité morale et de résignation physique dans lequel il attendait d’ordinaire patiemment l’événement du combat entre le mal et la nature. » | |
Quand le panégyriste de M. Quesnay se fâche, son imagination est bien plus lucide encore. « Qu’importe, dit-il, au grand Ordre qui nous ouvre son sein paternel, prêt à nous remettre dans la voie, dès l’instant où le suicide habituel, désormais dépouillé des haillons et des lambeaux de notre création, se laissera voir dans sa difformité; que lui importe, dis-je, dans le temps même que l’Europe entière se réveille à la voix de la vérité, écoute, croit, ou doute du moins, et cherche à connaître et à s’instruire, que quelques enfants perdus de la frivolité et de l’envie, et peut-être quelques émissaires du monopole et de la corruption, tentent de les ridiculiser, ou les calomnient! » |
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La plus grande partie de l’Éloge est écrite ainsi; et de tout cet amphigouri de louanges qui élèvent M. Quesnay jusqu’au troisième ciel, il ne résulte que ceci : c’est que M. le marquis de Mirabeau est tout bonnement le Platon de ce Socrate moderne, et qu’il doit à ses seules instructions tous les flots de lumière que ses ouvrages ont versés sur notre horizon, etc. |
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— Théâtre de campagne, par l’auteur des Proverbes dramatiques. Quatre grands volumes in-8°. Ces quatre gros volumes sont dédiés aux aimables sociétés de province, que l’auteur trouve très-supérieures à celles de Paris, parce qu’on y sent bien mieux encore que dans cette malheureuse capitale de quelle importance et de quelle utilité peuvent être les Proverbes pour le progrès des mœurs et pour le bonheur de la vie. On devine aisément que ce nouveau recueil de comédies prétendues ne peut être sorti que de la plume infatigable de l’auteur du Théâtre russe, des Amusements dramatiques, etc., en un mot, de M. de Carmontelle. Quelque inépuisable que soit la verve de ce célèbre écrivain, elle paraît un peu plus faible encore qu’à l’ordinaire dans ce dernier ouvrage. Il s’est persuadé qu’à force de faire des Proverbes, on devait finir nécessairement par faire des comédies, et pour ainsi dire sans le vouloir, du moins sans y mettre plus de façon. En conséquence, il s’est seulement attaché à étendre un peu plus ses plans, ou, pour parler avec plus de |