NOVEMBRE 1767. 467
 
vaudront mieux que nous. Il verra que l’Europe s’achemine sensiblement vers un état d’amélioration dont il serait impossible de pressentir ni les effets ni le terme, à moins que quelque catastrophe physique et subite ne nous remette dans notre état primitif et sauvage; et en voyant ce que son siècle attend de lui, il mettra sa gloire à hâter les progrès de cette heureuse révolution par son exemple et par son influence.

— Pour nous débarrasser pendant quelque temps de cette foule importune de laboureurs en chambre, ajoutons à la pacotille de leurs productions un Nouveau Mémoire1 qui paraît sur les distinctions qu’on peut accorder aux riches laboureurs, avec des moyens d’augmenter l’aisance et la population dans les campagnes. Item des Éléments de la philosophie rurale. Volume in-12, de plus de quatre cents pages, avec un beau tableau économique gravé dont les calculs promettent de la part des économistes beaucoup de profit aux propriétaires. Item le Bon Fermier, ou l’Ami des laboureurs, par l’auteur de la Bonne Fermière2. Volume in-12 qui renferme des dialogues entre l’amateur et le fermier. Que le diable emporte tous ces bavards ! Je fais plus de cas d’un vigoureux valet de fermier qui sait enfoncer le soc dans la charrue, et la conduire jusqu’au bout du champ, que de tous ces ennuyeux et ridicules laboureurs sur un tapis vert. Du moins, le valet du fermier sait tirer droit ses sillons, et il n’y a pas un seul sillon droit dans la tête d’aucun de ces tristes prédicateurs d’abondance, depuis le sublime Quesnay dit le Maître, ou l’Homme qui a paru, jusqu’au petit Baudeau dit le Prémontré. J’honore infiniment cet entrepreneur de vivres, ou meunier, ou boulanger de Corbeil, qui vient de trouver le secret de tirer d’une charge de blé quelconque un sixième de fine fleur de farine de plus qu’on n’avait coutume d’en tirer. Voilà l’homme utile, voilà le citoyen à récompenser. Il n’a cependant jamais assisté à aucun mardi de M. de Mirabeau, et il n’entend pas un seul mot au Tableau économique de François Quesnay. Cet homme s’appelle, je crois, Malicet. Je ne suis pas peu honteux de ne pas mieux savoir son nom et sa profession.

— Un des principaux soins des économistes ruraux, c’est d’asseoir l’impôt immédiatement sur le produit net, et de faire partager le souverain dans ce produit net en sa qualité de




468 CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.
 
copropriétaire. On leur demande si l’impôt ne pourrait pas être assis sur les consommations, et même sur les personnes par capitation? Non, disent-ils, nous avons appelé cet impôt indirect, et nous avons décidé que tout impôt indirect est meurtrier et destructeur de la richesse et de la reproduction. Et pourquoi cela? C’est qu’il tombe en dernière analyse et d’une manière toujours onéreuse sur les propriétaires des terres, et qu’il vaut mieux qu’ils le paient directement tout de suite, que d’une manière indirecte et plus chère. J’entends bien que ces messieurs affirment comme un principe incontestable que tout impôt n’est supporté que par les propriétaires, et que toutes les autres classes de citoyens ne payent jamais rien, quelque chargées qu’elles soient en apparence; mais jamais l’évidence de ce principe n’a pu entrer dans ma tête de façon à ne me laisser aucun doute; et je vois que je ne suis pas le seul esprit rétif qu’il y ait en France. La Société d’agriculture de Limoges, adoptant les principes des économistes ruraux, a proposé un prix à celui qui les développerait le mieux; et il s’est trouvé un homme qui, en les développant, les a combattus. La Société n’a pas couronné son ouvrage; mais elle l’a jugé utile, quoique l’auteur ait travaillé contre son vœu et ses principes. Cet ouvrage est intitulé Essai analytique sur la richesse et sur l’impôt, où l’on réfute la nouvelle doctrine économique qui a fourni à la Société royale d’agriculture de Limoges les principes d’un programme qu’elle a publié sur l’effet des impôts indirects. Volume grand in-8° de plus de quatre cents pages3. On relève dans cet ouvrage plusieurs paralogismes de la Théorie de l’impôt, par M. le marquis de Mirabeau.

— Nous avions trois écrivains remarquables à force d’être ridicules; mais ce nombre mystérieux n’existe plus. L’archidiacre Trublet se repose à l’ombre de ses lauriers dans le sein de sa patrie, à Saint-Malo. Il mérite d’être nommé comme la première personne de cette trinité, parce qu’il est très-supérieur aux deux autres dont je vais parler; mais son affectation d’être fin et important dans les minuties l’a rendu très-ridicule. Cet écrivain subtil et bêtement spirituel n’a jamais placé une virgule sans y attacher quelque finesse. Le portrait que le Pauvre Diable a fait de lui est une chose immortelle qui ne périra qu’avec toute la littérature française ensemble. Tout ce que