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style n’a pas de fond, et il manque souvent d’exactitude. On a cru le rendre fleuri en entassant beaucoup d’épithètes et de synonymes: c’est le défaut général des jeunes écrivains. L’auteur de ces considérations est un petit abbé bossu nommé de Méhégan, qui, lorsque le célèbre Boindin fut obligé d’abandonner le café Procope, où il professait assez ouvertement l’athéisme, voulut lui succéder dans ce bel emploi; et, non content de dogmatiser de vive voix, écrivit un livre assez mal fait, intitulé Zoroastre, où il écrasait toute révélation pour établir le naturalisme. Ce petit ouvrage l’a fait enfermer à la Bastille pendant plus d’un an.

Je ne crois pas qu’on puisse punir trop sévèrement des étourdis qui osent déclamer publiquement contre le culte extérieur, ou, ce qui est encore pis, qui voudraient arracher du cœur des hommes l’idée salutaire et consolante d’un Être suprême. Il faut être bien mauvais citoyen pour chercher à détruire la religion de son pays, et bien peu philosophe pour croire qu’un peuple puisse s’en passer. L’on conçoit bien qu’un chrétien fasse des efforts pour amener un juif ou un Turc à sa croyance ; c’est leur bonheur qu’il désire ; mais quel intérêt peut avoir un homme sans religion à faire penser les autres comme lui? Il n’y a que la vanité du prosélytisme. Peut-être aussi que le parti des autres étant visiblement plus sûr et le sien plus dangereux, il voudrait leur faire partager le péril, parce qu’on en a moins peur lorsqu’on est en compagnie.

On raconte que Boindin fut mandé un jour par le lieutenant de police qui lui dit : « On m’a raconté que vous dogmatisiez en plein café, et que vous souteniez qu’il n’y a point de Dieu. — Je fais plus, monsieur, lui répondit Boindin, je le prouve. — Vous êtes un sot, lui répliqua le magistrat ; s’il n’y avait point de Dieu, il faudrait en faire un. » Ce Boindin mourut très-courageusement et très-ferme dans ses principes ; on prétend même que, voyant sa mort inévitable et prochaine, il prit un verre d’opium. Un prêtre, étant venu pour le ramener à la foi, voulut commencer par établir la preuve du christianisme. « Allez, allez, lui dit Boindin, votre religion est comme moi; elle pèche par le fondement. » Pour sentir toute la valeur du mot, il faut savoir que Boindin avait la fistule.

— Il est répandu dans Paris quelques exemplaires d’un ou-




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vrage nouveau, intitulé le Code de la nature, ouvrage qui fait du bruit et qui n’est que hardi. Son objet est d’élever un nouveau système de morale. L’auteur prétend démontrer l’absurdité de tous les moralistes et des législateurs, et détruire les principes de morale les plus généralement reçus; mais tout cet étalage se borne à des déclamations vagues, des suppositions de principes, des sophismes grossiers et mal soutenus, beaucoup de bavardage sans objet. Il veut que tous les maux des sociétés viennent de l’avarice, seul vice qu’il reconnaisse dans l’univers; mais ce terme d’avarice, il en abuse ridiculement par l’acception générale dans laquelle il le prend ; car il le confond avec l’esprit de propriété. C’est cet esprit qu’il voudrait détruire dans les hommes, pour les rendre aussi parfaits qu’ils peuvent l’être; et, pour cela, il propose un plan de république où tout se rapporte à ce principe. Depuis Platon jusqu’à M. de La Beaumelle, nous avons eu je ne sais combien de faiseurs de républiques de spéculation ; mais ces législateurs ont presque tous supposé les hommes comme ils ne sont pas; ils ont fait comme ces géomètres qui combinent les proportions d’une machine sur le papier; quand ils en viennent à l’exécution, ils ne se reconnaissent plus, leurs calculs se trouvent en défaut; ils avaient compté sur des lignes, des surfaces, etc., et ils trouvent du bois, du fer, etc., sur lesquels il faut faire de nouveaux calculs.

Le nouvel ouvrage ne vaut pas la peine d’être réfuté sérieusement. On n’y trouve ni suite, ni méthode, ni vues ; ce n’est que de l’humeur et de la singularité. Le style en est sec et embarrassé, plein d’expressions fausses et de termes scolastiques. On accuse M. Toussaint ou M. de La Beaumelle de l’avoir fait. L’idée de cet ouvrage a pu faire soupçonner ce dernier d’en être l’auteur; mais je n’y trouve point son style, qui est reconnaissable ; je le croirais plutôt de M. Toussaint, quoiqu’il fût peu digne de lui. Cela est beaucoup au-dessous




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du livre des Mœurs, dans lequel on trouve cependant quelques principes et des défauts de style qui se rapprochent beaucoup de ceux qu’on a remarqués dans le Code de la nature.

Un moine me disait un jour, en parlant des Mœurs, qu’il ne connaissait pas un livre contre la religion plus dangereux que celui-là : « Ce n’est pas, disait-il, qu’il soit le mieux fait; mais c’est que l’irréligion y est présentée sous le masque d’une vertu plus austère que le christianisme. »

— On vient de faire une saisie sur le temporel de M. Fréron, c’est-à-dire qu’on vient de supprimer ses feuilles. On conjecture, que c’est pour avoir un peu maltraité M. d’Alembert dans sa dernière feuille qui, d’ailleurs, n’est pas plus insolente que beaucoup d’autres. Il y a longtemps qu’on aurait dû arracher la langue à ce serpent, qui vit du mal qu’il fait, et qui, sans autre talent que de l’impudence, est parvenu à en imposer à certaines gens. Il est vrai qu’un homme assez fat pour vouloir donner le ton trouve toujours assez de sots pour le prendre.
 
CXXV
 

18 février 1755.

 

M. de Saint-Foix vient de donner le second volume d’un livre intitulé Essais historiques sur Paris dont il a fait paraître le premier il y a un an. Il parcourt dans cet ouvrage les rues de Paris par ordre alphabétique, et il rapporte à chacune d’elles une anecdote quelconque qu’il tire presque toujours par les cheveux. Ces anecdotes sont, ou du moins voudraient être satiriques, mais elles ne disent la plupart que des choses très-communes et des détails peu intéressants. Il en faut excepter cependant cinq ou six traits dont voici les plus piquants : « Sous le règne de François Ier, le total des loyers de toutes les maisons de Paris ne montait qu’à la somme de trois cent douze mille livres. Aujourd’hui les carmes déchaussés, indépendamment du