
ans un jardin couvert de mille épais rameaux,
Si rians par ses fleurs, si fameux par ses eaux ,
Qui du Dieu de la Seine embellit le rivage,
Et dans un pur crystal exprime son image:
Le cœur gros de soupirs, les yeux baignez de pleurs,
Daphné par ces regrets soulagea ses douleurs.
Nymphes qui presidez en ces lieux solitaires,
De grace donnez tréve à vos sacrez mysteres:
Legers chantres des bois, & vous petits Zephyrs,
Suspendez un moment vos amoureux soûpirs :
A ij
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Ne faites point de bruit, arrestez vos fonteines,
Soyez, tous attentifs au recit de mes peines.
Autrefois chaque jour je frequentois ces lieux,
Et vous me connoistriez sans la rigueur des Dieux ;
Mais par la cruauté du Destin qui m'outrage,
L'exces de ma douleur a changé mon visage.
Je suis cette Daphné qui cherchois vos berceaux,
Pour prester mon oreille aux concerts des oiseaux,
Et qui vous racontant mon heureux hymenée,
De me jours fortunez, loüois la destinée.
Mais helas ! (qui l'eust crù ?) je m'en loüois à tort,
Je ne connoissois point l'inconstance du Sort,
Qui reglant ses desseins au gré de ses caprices,
Preparoit mes malheurs dans le sein des delices.
D'un bonheur qu'il a fait, il s'est montré jaloux.
Nymphes, fontaines, bois, je n'ay plus mon Epoux.
Ce Sort ce rude Sort par une humeur bizare
Nous a tous deux uni, & puis il nous separe :
Sa cruelle pitié rend mes desirs contens,
Il me donne Tyrsis, me l'oste en mesme tems:
Il fait naistre mes feux, & soudain me consume
Par les chastes ardeurs de ces feux qu'il allume.
Dans le funeste état où mon cœur est reduit,
Rien ne peut me guerir, tout remede me nuit.
Je pense incessamment au seul objet que j'aime,
Mon esprit est absent, je vis loin de moy-mesme,
Le plus doux entretien flate mal mes ennuis,
Et je ne suis jamais où l'on croit que je suis.
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Souvent pour adoucir les tourmens que j'endure,
Des rigueurs de mon sort je luy fais la peinture;
Mais inutilement par des tristes discours
De mes pleurs eternels je veux borner le cours.
En vain a mon Tyrsis j'attache ma pensée,
Pour calmer la douleur dont mon ame est pressée :
Dés que l'objet aimé respire en d'autres lieux,
Le cœur ne peut guérir sans le secours des yeux:
Par tout autre remede on accroist son martyre ;
Ce n'est pas voir Tyrsis, d'y penser & d'écrire.
Helas! puisque j'endure un ennui si pressant,
Seroit-ce pas assez, ô Dieux} qu'il fust absant.
Pourtant de mon Destin telle est la violence,
Que mes moindres malheurs sont les maux de l'absence.
Tyrsis en me quitant va braver les hazars,
Qu'on rencontre en tous lieux dans l'Empire de Mars ;
Et sans souci des maux où la crainte m'engage,
Mille volantes morts éprouvent son courage.
Je crains à tous momens, qu'il soit privé du jour,
Dieux, qu'on tremble aisément quand on a de l'amour !
Rien ne peut m'asseurer, mesme la Renommée,
Qui seme tant de bruits dont la France est charmée,
Qui porte jusqu'au ciel la gloire de L O U I S,
Et raconte en tous lieux ses exploits inouïs.
Dés qu'elle vient parler du progrés de ses armes,
Ses fideles recits me donnent mille allarmes.
Je crains en l'écoutant d'apprendre mes malheurs,
Et que le bien public me doit couster des pleurs.
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Je suis troublée, helas ! dans l'ennui qui me ronge,
Le jour par le penser, & la nuit par le songe.
Je croy voir mon Tyrsis, non avec ses attraits,
Qui me firent sentir leurs redoutables traits ;
Non avec ses beaux yeux, de qui les puissans charmes
M'ont depuis son départ fait verser tant de larmes ;
Non avec ce grand air, dont l'extréme douceur,
Dés qu'elle s'offre aux yeux, est maistresse du cœur:
Mais le sabre à la main, tout couvert de poussiere,
Il paroist agité d'une fureur guerriere ,
Il cherche avec plaisir un trépas glorieux ,
Il suit aveuglément son cœur imperieux,
Et courageux Soldat, trop hardi Capiteine,
Va sans deliberer où son ardeur le meine.
Je fremis, & je croy pour m'acccabler d'ennui,
Que tous les ennemis ne combatent que lui ;
Que des globes de feu la mortelle tempeste
Parmi tant de Guerriers ne cherche que sa teste.
Je cours pour l'affranchir d'un si pressant danger,
Mais inutilement je veux le dégager.
Helas ! il rend alors ma peine sans égale,
Je trouve à ses costez la Gloire ma rivale,
De qui le cœur d'airain insensible aux malheurs,
Fait ses plus doux plaisirs de mes seules douleurs.
Elle rit de mes maux, me dit avec rudesse :
Vous estes son Epouse, & je suis sa Maistresse.
Vous me devez, ceder l'honnenr du premier rang,
Et je veux malgré vous disposer de son sang.
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L'insensble Tyrsis (Dieux, pourrez-vous le croire ?)
Prend contre mon amour le parti de la Gloire:
Elle a tous ses regards, ses soûris, ses ardeurs ;
Je n'ay que ses dédains, je n'ay que ses froideurs.
Helas ! pour le flater j'offre mille delices ;
Elle offre de sa part des rudes exercices,
Des veilles, des travaux, le sang,& le trépas :
Tous ses dons sont receus, les miens ne le sont pas.
Alors par mes soûpirs, mes sanglots, & mes plaintes
Je montre la douleur , dont je sens les attaintes.
Mais je la montre en vain, & la Gloire & Tyrsis
Contre mon desespoir ont des cœurs endurcis :
Elle de mes soûpirs craint toutefois les charmes,
Et l*ostant à mes yeux, le sauve de mes larmes.
Je redouble mes cris, je l'appelle cent fois,
Tyrsis vole toûjours, il est sourd à ma vois.
Voilà le beau Destin de Daphné fortunée,
Et voilà le bonheur de son doux hymenée.
Elle se teut alors, & les larmes aux yeux,
Pensant à ses malheurs, abandonna ces lieux.
Le bois en fut touché, les Nymphes la plaignirent,
Les arbres, les rochers de douleur se fendirent.
Ce jour nul n'entendit les accents des oiseaux,
Les sources dans leur sein arresterent leurs eaux,
Et la parleuse Echo se fit la violence
De n'écouter personne, & garder le silence.