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A V E R T I S S E M E N T.

LettrineANS les Notions préliminaires, qui sont la premiere partie de cet Ouvrage, on n'a songé qu'à donner un petit nombre de principes généraux sur l'économie publique & privée par rapport aux différens emplois de l'argent.

Dans la seconde, on a tenté d'appliquer les vûes générales à des espèces & à des circonstances particulières.

Afin d'en rendre la vérification plus facile, après avoir touché en passant quelques branches des monnoies, on expose dans la troisiéme les changemens du prix & de la valeur du marc d'argent, & l'on considére dans la quatriéme les variations du prix des denrées.

Je ne crois pas qu'il soit jamais possible de parvenir par une autre voie à débrouiller ce qui regarde le commerce & les monnoies des Anciens. Nous avons plusieurs de leurs epéces, nous en savons le poids & le titre; mais il ne nous reste point de Loix, d'Ordonnances, ni de monumens historiques, où nous trouvions précisément tout ce qui seroit nécessaire pour établir le cours qu'elles avoient dans le public, & il ne s'ensuit pas qu'en de certains temps les espèces étant ou plus légeres, ou d'un titre in-[iv]férieur, la valeur n'en eut pas été proportionnellement diminuée. Nous ne saurions la déterminer, que par conjecture, & qu'en examinant ce qu'ils payoient autrefois les choses par comparaison avec ce que nous les avons longtemps payées. Voilà ce que je me suis proposé de mettre sous les yeux du Lecteur.

Tous les articles des Notions préliminaires, à la fin desquels il se trouve une simple croix, ou cette marque † , sont tirés du Livre de M. Lock, intitulé en Anglois : Some considerations of the consequences of the lowering of interest and raising the value of money ; c'est-à-dire, (considérations sur les conséquences de la réduction des rentes & de l'augmentation de la valeur des espèces). Ce Traité imprimé à Londres en 1696, est suivi de deux autres, dont le dernier porte pour titre ; Further considerations concerning raising the value of money, qui signifie, (autres considérations sur l'augmentation de la valeur des espèces). C'est là qu'ont été prises les maximes suivies de la marque ‡. Le chiffre placé après la double ou la simple croix & la lettre p., indique la page du livre Anglois. Je me suis contenté d'en prendre la substance & l'esprit sans en suivre l'ordre & sans m'attacher à une traduction fidelle, & je ne me suis point fait un scrupule de mêler mes réfléxions avec celles de M. Lock, dont j'ai quelquefois étendu ou resserré les pensées. J'en avertis seulement, afin qu'on ne le juge pas sur une simple étiquette, & qu'on ne le rende pas responsable des proposition [v] qui ne sont suivies d'aucune des deux marques.

On remarquera dans la seconde & dans la troisiéme partie, que nos premieres Loix, probablement modelées sur celles des Romains, ou des douze Tables, dérivoient par là des Grecs, qui s'étoient peut-être approprié une partie de la police du premier peuple du monde, c'est-à-dire, des Juifs, comme la peine du Talion, le nombre de coups infligés aux criminels, & les condamnations pécuniaires. Si un homme trouve une fille vierge qui n'a point été fiancée, & que lui faisant violence il la deshonore, les Juges ayant prix connoissance de cette affaire, condamneront celui qui l'a deshonorée, à donner au pere de la fille cinquante sicles d'argent, & il la prendra pour femme. Deuteronome, chap. 22, v. 28 & 29.

Solon, Législateur d'Athenes, & contemporain du vieux Tarquin, établit une amende de cent drachmes d'argent contre celui qui prendroit à force une femme de condition libre, & une de vingt drachmes contre celui qui en auroit été le courtier. Il défendit encore d'injurier personne de paroles, sur peine de trois drachmes d'argent appliquables à celui qui seroit injurié, & de deux autres à la chose publique. Ce réglement sur les injures donna sans doute naissance à ceux de la Loi des douze Tables & de la Loi Salique rapportés ci-après, page 192.

Dans l'appréciation des offrandes, Solon mit en balance une drachme d'argent avec un mouton ou un médimne de blé. (V. Plutarque, vie de Solon.) La même pièce qui valoit une drachme ou un de-[vj]nier du temps de Solon, valut six deniers dans la premier guerre de Carthage, puis douze deniers sous Fabius, & vingt-quatre deniers ou deux sols du temps de Papirius. En supposant que la proportion de l'argent avec les denrées n'eût point changé jusques-là, un mouton commun qui s'achetoit un denier du temps de Solon, se seroit payé après Papirius deux sols ou la trentiéme partie du marc d'argent ; & pour lors un bon boeuf dont la valeur répond à peu près à celle de trente moutons communs, pouvoit valoir soixante sols. Mais comme le setier de blé est monté depuis ce temps jusqu'à nous de cinq sols à dix-huit livres, c'est-à-dire, d'un à soixante-douze, en augmentant dans la même proportion le prix des choses, un mouton vaudroit aujourd'hui sept livres quatre sols, & un boeuf deux cents seize livres : ajoûtons que les choses coûtant à présent quatre fois plus en poids d'argent, un mouton comme se payeroit quatre trentièmes du marc d'argent, ou six cents quatre grains quatre cinquiémes pesant d'argent fin, qui valent en effet sept livres quatre sols; aussi un boeuf qui coûtoit un marc d'argent fin, en coûte-t'il aujourd'hui environ quatre.

La Loi Salique prononce contre le rapts : Si quis uxorem alienam vivo marito tulerit, VIII (le mot de mille est sous-entendu) denarios qui faciunt solidos CC culpabilis judicetur (Tit. 14, art. 12.) Si quis cum ingenua puella per vim moechatus fuerit, 2500 denarios qui faciunt solidos 62 & ½ culpabilis judicetur. Art. 13. [vij] Si quis cum ingenua puella desponsata ea consentiente in occulto moechatus fuerit, 1800 denarios qui faciunt solidos 45 culpabilis judicetur, art. 14.

Nous esperons faire voir que ces sols étoient des sols Tournois d'or, aussi-bien que ceux de la Loi des Ripuaires. Si quis alienam uxorem tulerit vivo marito, 200 solidis mulctetur ; si quis cum ingenua puella per vim moechatus fuerit, 50 culpabilis judicetur. Titre 37, art. 1 &2.

wergeld

Au contraire, les amendes de la Loi des Bavarois étoient exprimées en sols romains ou Parisis. Si quis cum uxore alterius concubuerit libera, componat hoc marito ejus cum suo Weregeldo, id est 160 solidos. Titre 37, art. 1. Si quis sponsam alicujus rapuerit vel per suasionem sibi eam duxerit uxorem, ipsam reddat & componat bis 80 solidos, hoc est 160 solidos. Si quis virginem rapuerit contra ipsius voluntatem & parentum ejus, 40 solidos componat & alios 40 cogatur in fisco. Ces cent soixante sols et ces quarante sols augmentés du quart en sus, reviennent à deux cents sols & à cinquante sols Tournois, comme dans la Loi des Ripuaires. Le mot de Weregeldum pourroit venir de l'Allemand Vier quatre, & de Geld ou ou argent ; l'Anglois dit four & gold : auquel cas le Weregeldum exprimeroit assez naturellement notre quadruple. Novigeldum ou nonigeldum signifie neuf fois le prix, novempliciter componat ; Tit. 5 de la Loi des Allemands. On peut encore dériver Weregeldum du Celtique ffer ou Wer, d'où viennent peut-être fortis & fort, & de golud qui exprime en Celtique la même [viij] chose que gold en Anglois, ou geld en Allemand. L'argent de Banque qui vaut communément de trois à six pour cent, plus que l'argent courant, s'appelle encore en Hollande argent fort. Les Romains avoient aussi deux sortes de talents, talentum magnum & talentum minus. Du Cange fait venir Weregeldum du Saxon Wera, passé dans la basse latinité, qu'il interpéte capitis aestimatio.

Quant aux sommes spécifiées dans la Loi des allemands, on doit les envisager différemment. Elles paroissent quelquefois semblables à celles de la Loi Salique. Si quis sponsam alterius contra legem acceperit, reddat eam & cum 200 solidis componat, Tit. 52. Quelque fois elles forment un autre compte. L'article 6 du Titre 3, nous en donne la valeur : Saiga autem est quart pars tremissis, hoc est denarius unus ; duo saigi, duo denarii dicuntur ; tremissis est tertia pars solidi & sunt denarii quatuor. Il y avoit par conséquent trois tiers ou tremisses, & douze deniers dans un sol, au lieu que notre sol Salique étoit composé de quarante deniers. Dès-lors il faudroit fixer le rapport des sols Allemands avec les sols Saliques de douze à quarante, ou d'un à trois & un tiers ; c'est-à-dire qu'un sol Allemand valoit trois sols & un tiers Saliques. Ainsi la livre d'or de douz onces qui valoit quatre-vingt-dix sols Saliques d'or ou cinquante-quatre livres Tournois d'argent, n'auroit produit que vingt-sept sols d'or Allemands ou seize livres quatre sols d'argent, & le marc d'or que dix-huit sols d'or (a) [ix] ou dix livres seize sols d'argent. A ce compte, les deniers Allemands n'auroient-ils point été nos anciens esterlins, qui par l'affoiblissement de nos monnoies, valurent sous S. Louis quatre deniers Tournois, comme nous l'apprenons des premiers Registres de la Chambre des Comptes, & de deux Ordonnances de 1205 imprimées au premier Tome des Ordonnances, pag. 94 & 95.

La Loi des Allemands estimoit le plus fort boeuf cinq tiers de sol, ou un sol & deux tiers d'or, qui représentoient, comme on vient de le toucher, cinq sols cinq neuviémes Saliques d'or, ou suivant la proportion douziéme soixante-six sols huit deniers Tournois d'argent, c'est-à-dire, (a) en poids un peu plus de notre marc d'argent. Un boeuf moyen prisé quatre tiers de sol d'or, autrement quatre sols quatre neuviémes Saliques d'or, ou cinquante-trois sols quatre deniers Tournois d'argent, formoit un peu moins du marc d'argent. La meilleure vache étoit au même taux, & une vache moyenne à un sol d'or exprimoit trois sols & un tiers Saliques d'or, ou quarante sols Tournois d'argent, ou les deux tiers du marc d'argent. Optimos bos 5 tremisses valet, medianus 4 tremisses valet, minor sicut adpreciatus fuerit. [x] Titre 78. Optimam vaccam 4 tremisses licet adpreciare, illa aliam sequenterianam solidum 1 ; Titre 75. Un cheval estimé six sols, seroit revenu à vingt sols Saliques d'or, ou à douze livres Tournois, ou à quatre marcs d'argent ; une jument ou un cheval de bast à trois sols, en faisoit la moitié : mais certains chevaux alloient jusqu'à douze sols, répondant à quarante sols Saliques d'or, ou à vingt-quatre livres Tournois, ou à huit marcs d'argent. Si quis alicui caballum involaverit, adpreciet eum Dominus ejus cum sacramento usque ad 6 solidos, si tantum valet aut plus aut minus quantum ille cum sacramento adpreciaverit, in caput tantum restituat fur.... jumentum 3 solidos adpreciet si tantum valet aut minus. Tit. 70. Si quis alicujus admissarium involaverit, ille cujus est debet probare quantum valet ; si enim dicit quod 12 solidos valeat, postea solvat illi suo talem qualem juraverit in caput, & illos alios nonigeldos solvat medietatem in auro (a) valentem pecuniam, medietatem autem qualem invenire poterit pecuniam : & si ille talem equum involaverit quem Alamanni Marach dicunt, sic eum solvat sicut & illum admissarium. Tit. 69.

Nous retrouvons à peu près les mêmes proportions dans la Loi des Bourguignons, Tit. 4, art. 1. Quicunque mancipium alienum sollicitaverit, caballum quoque, equam, bovem, aut vaccam tam Burgundio quam Romanus ingenuus furto auferre praesumpserit, [xj] occidatur; & de occisi facultatibus is qui perdidit superius comprehens mancipia atque animalia, apud sollicitatorem aut furem si non poterit invenire in simplum recipiat, hoc est pro mancipio solidos 25, si tamen mancipium ipsum sicut dictum est non potuerit invenire : pro caballo optimo 10 solidos, pro mediocri 5 solidos, pro equa solidos 3, pro bove solidos 2, pro vacca solidum 1. Ces mots, in simplum recipiat hoc est, &c. nous marquent les véritables prix. Ils s'entendront, si l'on multiplie ces sommes comme les précédentes par trois & un tiers, & ensuite par douze, en admettant qu'un sol esterlin valoit trois sols & un tiers Tournois, & que le sol d'or exprimoit en numéraire douze sols d'argent. Vingt-cinq sols d'or pour un esclave produisoient quatre livres trois sols un tiers Saliques d'or, ou cinquante livres Tournois d'argent, ou seize marcs deux tiers d'argent. Dix sols d'or pour le meilleur cheval, valoient trente-trois sols & un tiers Saliques d'or, ou vingt livres Tournois d'argent, ou six marcs deux tiers d'argent. Cinq sols d'or pour un cheval d'une valeur moyenne, faisoient la moitié de la somme & du poids ci-dessus. Trois sols d'or pour une jument, donnoient dix sols Saliques d'or, ou six livres Tournois, ou deux marcs d'argent. Deux sols d'or pour un boeuf représentoient six sols deux tiers Saliques, ou quatre livres Tournois, ou un marc & un tiers d'argent ; & un sol d'or pour une vache exprimoit la moitié de la quantité précédente d'argent, d'un titre à peu près pareil à celui des monnoies Allemandes, & sans doute assez bas. [xij] Comme les chevaux & les bestiaux ne sont pas toujours aussi bons dans un pays que dans un autre, il n'étoit pas nécessaire que les prix fussent absolument semblables en Bourgogne et en Allemagne.

L'artcile 3 du Titre 4 de la même Loi des Boruguignons, peut servir à justifier l'explication que nous donnerons en parlant des amendes de la Loi Salique, page 191. Quicunque ingenuus tam Burgundio quam romanus porcum, ovem, apem, capram furto abstulerit, in triplum solvat secundum formam precii constituti & mulctae nomine solidos xii, id est, pro porco solidum 1, pro ove solidum 1, pro ape solidum 1, pro capra tremissem ; precia vero haec in triplum solvantur. Le texte mulctae nomine solidos 12 désigne des sols Tournois d'argent ; les mots id est, pro porco solidum 1 (pour un cochon, un sol) pro ove solidum 1 (pour un mouton, un sol) pro ape solidum 1 (pour une ruche, un sol) indiquent des sols Tournois d'or, dont chacun répondoit aux douze sols Tournois d'argent ci-dessus. Expliquons cette Loi. Un mouton valoit alors deux sols Tournois, les intérêts & frais égaloient le capital, & montoient à deux sols pour la partie lezée ; l'amende du quadruple au profit du fisc, alloit à huit sols Tournois : ces trois parties additionnées ensemble, produisent douze sols Tournois d'argent, ou un sol Tournois d'or. Quant à ces mots pro capra tremissem, il semble que le tremissis exprimoit un tiers de sol estellin qui auroit représenté, suivant ce que nous avons dit, un sol & un neuviéme Tournois d'or, ou treize [xiij] sols & un neuviéme Tournois d'argent : une chévre auront donc valu presque le même prix d'un mouton, ou très-peu plus. Dans la Loi Salique, l'estimation & l'amende sont les mêmes pour avoir volé un mouton ou une chévre ; mais par ovis on entend quelquefois une brebis & quelquefois un mouton. On pourroit encore dire, que le sol estellin valant parmi les Bourguignons comme sous S. Louis quatre sols Tournois, le triple du sol estellin ou des quatre sols Tournois étoit trois sols estellins ou douze sols Tournois, suivant ces mots in triplum solvat. Peut-être les trois sols taxés dans la Loi Salique pour le vol d'une poule ou d'une oie, étoient-ils aussi des sols d'argent, tandis que les trente-cinq sols d'or qui formoient l'amende d'un boeuf volé, exprimoient quatre cents vingt sols d'argent ; & alors une poule ou une oie n'auroient été estimées que la cent-quarantiéme partie du prix d'un boeuf. Voyez ci-après, p. 192. Au surplus, on ne présente ces opinions que l'antiquité que comme des conjectures, où l'on a recherché la vraisemblance autant qu'on l'a pû, en tirant des inductions d'un temps à un autre, & en formant divers passages pour arriver au point de la vérité.

L'uniformité des termes de comparaison aide à mieux sentir les rapports: c'est pourquoi au commencement des différens articles de la quatriéme partie, on a réduit toutes les mesures des grains au setier, & l'on a eu soin de tirer ce que chaque chose auroit coûté séparément, toutes les fois que le texte [xiv] ne s'est expliqué qu'en gros. Par là on épargne au Lecteur la fatigue inséparable d'un calcul perpétuel ; & ces réductions se strouvent séparées par un crochet ou une espèce de demi parenthèse, des extraits qui servent à constater les prix des divers temps.

Il faut encore expliquer les Lettres qui sont à la marge des tables formées pour la plus grande partie sur les Titres suivans.

L. désigne les rouleaux de l'Abbaye de Longchamp, près Paris.

J. P. le Journal de Paris sous Charles VI & Charles VII, imprimé à Paris chez Gandouin en 1729.

R. PA. les Registres du Parlement.

PR. les Registres de l'Abbaye de Preuilly en Brie.

PR †. les Tablettes en cire de l'Abbaye de Preuilly.

MO. Monstrelet.

ND. les Registres du Chapitre de Notre-Dame de Paris.

QV. les Registres des Quinze-Vingts.

CM. les Comptes des Monnoies.

LM. le Traité de la Police du sieur Lamare.

Ce qui vient après une de ces marques jusqu'à ce qu'il s'en présente une autre, est toujours tiré de la même source, lorsqu'on ne nomme point dans le corps les auteurs où l'on a pris quelques extraits particuliers. Les chiffres à la marge annoncent les pages où l'on pourra vérifier les citations des Livres imprimés.


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