[3] PREMIÈRE PARTIE. Notions élémentaires sur le Commerce,
CHAPITRE PREMIER Fondement de la valeur des choses.
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SUPPOSONS une petite peuplade, qui vient de sétablir, qui a fait sa première récolte, et, qui étant isolée, ne peut subsister que du produit des champs quelle cultive. |
Comment on juge de labondance, de la surabondance et de la disette. |
Supposons encore quaprès avoir prélevé le bled nécessaire pour ensemencer les terres, il lui en reste cent muids; et quavec cette quantité, elle peut attendre une seconde récolte sans craindre de manquer. |
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Pour que, suivant notre supposition, cette quantité lui ôte toute crainte de manquer, il faut quelle soit suffisante non-seulement à ses besoins, il faut quelle le soit encore à ses craintes. Or, cest ce qui ne peut se rencontrer que dans une certaine abondance. En effet, quand on juge daprès ses craintes, ce qui ne suffiroit quà la [4] rigueur ne suffit pas ; et on croit ne trouver ce qui suffit, que dans ce qui abonde jusquà un certain point. |
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La quantité qui reste à notre peuplade, semences prélevées, fait donc, pour cette année, ce quon nomme abondance. Par conséquent, si elle a quelques muids de plus, elle sera dans la surabondance ; et elle sera dans la disette si elle en a quelques-uns de moins. |
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Si un peuple pouvoit juger, avec précision, du rapport où est la quantité de bled quil a, avec la quantité quil faut à sa consommation, ce rapport connu lui feroit toujours connoître, avec la même précision, sil est dans labondance, dans la surabondance ou dans la disette. |
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Mais il ne peut pas juger, avec précision, de ce rapport : car il na aucun moyen pour sassurer exactement, ni de la quantité de bled quil a, ni de la quantité quil en consommera. Il le peut dautant moins, quil ne sauroit le garder sans déchet, et que la quantité précise de ce déchet est de nature à ne pouvoir être prévue. Sil en juge donc, ce nest quà-peu-près, et sur lexpérience de plusieurs années. |
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Cependant, de quelque manière quil en juge, il est toujours vrai de dire quil se croit dans labondance, lorsquil pense avoir une quantité de bled suffisante pour écarter toute crainte den manquer ; quil se croit dans la surabondance, lorsquil pense en avoir une quantité plus que [5] suffisante à toutes ses craintes ; et quil se croit dans la disette, lorsquil pense nen avoir quune quantité qui ne suffit pas pour les dissiper. |
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Cest donc dans lopinion quon a des quantités, plutôt que dans les quantités mêmes, que se trouvent labondance, la surabondance, ou la disette : mais elles ne se trouvent dans lopinion que parce quelles sont supposées dans les quantités. |
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Si au lieu de cent muids, notre peuplade, semences prélevées, en a deux cens, elle en aura cent qui lui seront inutiles pour sa consommation dune récolte à lautre; et, si elle ne prend aucune précaution pour conserver ce bled surabondant, il séchauffera, il se corrompra, et ce qui en restera, ne sera daucun usage pour les années suivantes. |
Surabondant inutile et surabondant utile. |
Plusieurs années consécutives dune grande récolte ne feroient donc quembarrasser la peuplade dune surabondance inutile, et il arriveroit bientôt quon ensemenceroit moins de terres. |
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Mais les récoltes, qui ne suffisent pas aux besoins de la peuplade, feront sentir la nécessité de conserver du bled lorsquil y en aura de surabondant. On en cherchera donc les moyens, et quand on les aura trouvés, le bled inutile dans les années de surabondance deviendra utile dans les années de disette. Les cent muids que la peuplade na pas consommés, et quelle [6] a su conserver, suppléeront à ce qui lui manquera pendant plusieurs années, où il ne restera, pour sa consommation, semences prélevées, que soixante ou quatre-vingts muids. |
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Il ny aura donc plus proprement de bled surabondant, lorsquon saura le conserver ; puisque celui qui ne se consommera pas dans une année, pourra se consommer dans une autre. |
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Si notre peuplade étoit environnée dautres peuplades, agricoles comme elle, elle nauroit pas le même besoin de conserver du bled dans des greniers, parce quen donnant le surabondant quelle auroit dans quelquautre denrée, elle pourroit se procurer le bled qui seroit surabondant chez une autre peuplade. Mais nous lavons supposée tout-à-fait isolée. |
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Nous avons deux sortes de besoins. Les uns sont une suite de notre conformation : nous sommes conformés pour avoir besoin de nourriture, ou pour ne pouvoir pas vivre sans alimens. |
Besoins naturels et besoins factices. |
Les autres sont une suite de nos habitudes. Telle chose dont nous pourrions nous passer, parce que notre conformation ne nous en fait pas un besoin, nous devient nécessaire par lusage, et quelquefois aussi nécessaire que si nous étions conformés pour en avoir besoin. |
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Jappelle naturels les besoins qui sont une suite de notre conformation, et factices les besoins que nous devons à lhabitude contractée par lusage des choses. [7] |
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Une horde errante vit des fruits que la terre produit naturellement, du poisson quelle pêche, des bêtes quelle tue à la chasse ; et, lorsque le lieu quelle parcourt ne fournit plus à sa subsistance, elle passe ailleurs. Nous ne voyons, dans ce genre de vie, que des besoins purement naturels. |
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Notre peuplade ne peut plus errer. Elle sest fait un besoin de vivre dans le lieu quelle a choisi ; elle sen fait un de labondance quelle trouve dans les champs quelle cultive, et de la bonté des fruits quelle doit à son travail. Elle ne se contente pas daller à la chasse des animaux qui peuvent servir à sa nourriture et à son vêtement, elle enlève [sic, pour "en élève"], et elle tâche de les multiplier assez pour sa consommation. |
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Voilà un genre de vie où nous remarquons des besoins factices, cest-à-dire des besoins qui naissent de lhabitude que nous nous sommes faite de satisfaire aux besoins naturels par des moyens choisis. |
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On voit que ces premiers besoins factices sécartent des naturels, le moins quil est possible. Mais on prévoit aussi quil sen formera dautres, qui sen écarteront toujours de plus en plus. Cest ce qui arrivera, lorsque notre peuplade, ayant fait des progrès dans les arts, voudra satisfaire à ses besoins naturels par des moyens plus multipliés et plus recherchés. Il viendra même un tems où les besoins factices, à [8] force de sécarter de la nature, finiront par la changer totalement, et par la corrompre. |
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Les premiers besoins que se fait notre peuplade, sont de lessence de lordre social, qui cesseroit, si ces besoins cessoient eux-mêmes. On est donc fondé à les regarder comme naturels. Car sils ne le sont pas au sauvage errant, ils le deviennent à lhomme en société, auquel ils sont absolument nécessaires. Cest pourquoi je nommerai désormais naturels, non-seulement les besoins qui sont une suite de conformation, mais encore ceux qui sont une suite de la constitution des sociétés civiles ; et jentendrai par factices ceux qui ne sont pas essentiels à lordre social, et sans lesquels, par conséquent, les sociétés civiles pourroient subsister. |
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On dit quune chose est utile, lorsquelle sert à quelques-uns de nos besoins ; et quelle est inutile, lorsquelle ne sert à aucun, ou que nous nen pouvons rien faire. Son utilité est donc fondée sur le besoin que nous en avons. |
La valeur des choses est fondée sur leur utilité, sur le besoin que nous en avons, ou sur lusage que nous pouvons en tirer. |
Daprès cette utilité, nous lestimons plus ou moins ; cest-à-dire, que nous jugeons quelle est plus ou moins propre aux usages auxquels nous voulons lemployer. Or cette estime est ce que nous appelons valeur. Dire quune chose vaut, cest dire quelle est ou que nous lestimons bonne à quelque usage. |
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La valeur des choses est donc fondée sur leur [9] utilité, ou, ce qui revient au même, sur le besoin que nous en avons, ou, ce qui revient encore au même, sur lusage que nous en pouvons faire. |
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A mesure que notre peuplade se fera de nouveaux besoins, elle apprendra à employer à ses usages des choses dont auparavant elle ne faisoit rien. Elle donnera donc, dans un tems, de la valeur à des choses auxquelles, dans un autre, elle nen donnoit pas. |
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Dans labondance, on sent moins le besoin, parce quon ne craint pas de manquer. Par une raison contraire, on le sent davantage dans la rareté et dans la disette. |
Elles ont plus de valeur dans la rateté, et moins dans labondance. |
Or, puisque la valeur des choses est fondée sur le besoin, il est naturel quun besoin plus senti donne aux choses une plus grande valeur, et quun besoin moins senti leur en donne une moindre. La valeur des choses croît donc dans la rareté, et diminue dans labondance. |
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Elle peut même, dans labondance, diminuer au point de devenir nulle. Un surabondant, par exemple, sera sans valeur, toutes les fois quon nen pourra faire aucun usage, puisqualors il sera tout-à-fait inutile. |
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Tel seroit un surabondant en bled, si on le considéroit par rapport à lannée dans laquelle il ne fait pas partie de la quantité nécessaire à la consommation. Mais si on le considère par rapport aux années suivantes, où la récolte pour-[10]roit ne pas suffire, il aura une valeur, parce quon juge quil pourra faire partie de la quantité nécessaire au besoin quon en aura. |
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Ce besoin est éloigné. Par cette raison, il ne donne pas à une chose la même valeur quun besoin présent. Celui-ci fait sentir quactuellement la chose est absolument nécessaire, et lautre fait seulement juger quelle pourra le devenir. On se flatte quelle ne le deviendra pas ; et, dans cette prévention, comme on est porté à ne pas prévoir le besoin, on lest aussi à donner moins de valeur à la chose. |
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Le plus ou moins de valeur, lutilité étant la même, seroit uniquement fondé sur le degré de rareté ou dabondance, si ce degré pouvoit toujours être connu avec précision ; et alors on auroit la vraie valeur de chaque chose. |
Ce plus ou moins de valeur dépend principalement de lopinion que nous avons de leur rareté ou de leur abondance. |
Mais ce degré ne sauroit jamais être connu. Cest donc principalement dans lopinion que nous en avons quest fondé le plus ou moins de valeur. |
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En supposant quil manque un dixième du bled nécessaire à la consommation de notre peuplade, les neuf dixièmes nauroient que la valeur de dix, si on apprécioit bien la disette, et si on voyoit avec certitude quelle nest réellement que dun dixième. |
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Cest ce quon ne fait pas. Comme on se flatte dans labondance, on craint dans la disette. Au lieu dun dixième qui manque, on juge quil en [11] manque deux, trois, ou davantage. On se croit au moment où le bled manquera tout-à-fait ; et la disette dun dixième produira la même terreur, que si elle étoit dun tiers ou de la moitié. |
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Dès quune fois lopinion a exagéré la disette, il est naturel que ceux qui ont du bled, songent à le conserver pour eux ; dans la crainte den manquer, ils en mettront en réserve plus quil ne leur en faut. Il arrivera donc que la disette sera réellement du tout, ou à-peu-près, pour une partie de la peuplade. Dans cet état des choses, il est évident que la valeur du bled croîtra, à proportion que lopinion exagérera la disette. |
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Si la valeur des choses est fondée sur leur utilité, leur plus ou moins de valeur est donc fondé, lutilité restant la même, sur leur rareté ou sur leur abondance, ou plutôt sur lopinion que nous avons de leur rareté ou de leur abondance. |
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Je dis lutilité restant la même, parce quon sent assez, quen les supposant également rares ou également abondantes, on leur juge plus ou moins de valeur, suivant quon les juge plus ou moins utiles. |
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Il y a des choses qui sont si communes, que, quoique très-nécessaires, elles paroissent navoir point de valeur. Telle est leau ; elle se trouve par-tout, dit-on, il nen coûte rien pour se la procurer ; et la valeur quelle peut obtenir par [12] le transport nest pas une valeur à elle ; ce nest quune valeur de frais de voiture. |
Quelque abondante que soit une chose, elle a de la valeur, si elle est utile. |
Il seroit bien étonnant quon payât des frais de voiture pour se procurer une chose qui ne vaudroit rien. |
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Une chose na pas une valeur, parce quelle coûte, comme on le suppose ; mais elle coûte, parce quelle a une valeur. |
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Je dis donc que, même sur les bords dun fleuve, leau a une valeur, mais la plus petite possible, parce quelle y est infiniment surabondante à nos besoins. Dans un lieu aride, au contraire, elle a une grande valeur ; et on lestime en raison de léloignement et de la difficulté de sen procurer. En pareil cas un voyageur altéré donneroit cent louis dun verre deau, et ce verre deau vaudroit cent louis. Car la valeur est moins dans la chose que dans lestime que nous en faisons, et cette estime est relative à notre besoin : elle croît et diminue comme notre besoin croît et diminue lui-même. |
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Comme on juge que les choses nont point de valeur quand on a supposé quelles ne coûtent rien, on juge quelles ne coûtent rien quand elles ne coûtent point dargent. Nous avons bien de la peine à voir la lumière. Tâchons de mettre de la précision dans nos idées. |
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Quoiquon ne donne point dargent pour se procurer une chose, elle coûte, si elle coûte un travail. |
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[13] Or, quest-ce quun travail ? |
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Cest une action ou une suite dactions, dans le dessein den tirer un avantage. On peut agir sans travailler : cest le cas des gens désœuvrés qui agissent sans rien faire. Travailler, cest donc agir pour se procurer une chose dont on a besoin. Un homme de journée, que joccupe dans mon jardin, agit pour gagner le salaire que je lui ai promis ; et il faut remarquer que son travail commence au premier coup de bêche : car, sil ne commençoit pas au premier, on ne sauroit plus dire où il commence. |
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Daprès ces réflexions préliminaires, je dis que, lorsque je suis loin de la rivière, leau me coûte laction de laller chercher ; action qui est un travail, puisquelle est faite pour me procurer une chose dont jai besoin ; et, lorsque je suis sur le bord de la rivière, leau me coûte laction de me baisser pour en prendre ; action qui est un bien petit travail, jen conviens : cest moins que le premier coup de bêche. Mais aussi leau na-t-elle alors que la plus petite valeur possible. |
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Leau vaut donc le travail que je fais pour me la procurer. Si je ne vais pas la chercher moi-même, je payerai le travail de celui qui me lapportera ; elle vaut donc le salaire que je donnerai ; et par conséquent les frais de voiture sont une valeur à elle. Je lui donne moi-même cette valeur, puisque jestime quelle vaut ces frais de voiture. |
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[14] On seroit bien étonné, si je disois que lair a une valeur ; et cependant je dois lé dire, si je raisonne conséquemment. Mais que me coûte-t-il ? Il me coûte tout ce que je fais pour le respirer, pour en changer, pour le renouveller. Jouvre ma fenêtre, je sors. Or chacune de ces actions est un travail, un travail bien léger à la vérité, parce que lair, encore plus abondant que leau, ne peut avoir quune très-petite valeur. |
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Jen pourrois dire autant de la lumière, de ces rayons que le soleil répand avec tant de profusion sur la surface de la terre ; car certainement, pour les employer à tous nos usages, il nous en coûte un travail ou de largent. |
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Ceux que je combats, regardent comme une grosse méprise de fonder la valeur sur lutilité, et ils disent quune chose ne peut valoir quautant quelle a un certain degré de rareté. Un certain degré de rareté ! Voilà ce que je nentends pas. Je conçois quune chose est rare, quand nous jugeons que nous nen avons pas autant quil en faut pour notre usage ; quelle est abondante, quand vous [sic] jugeons que nous en avons autant quil nous en faut, et quelle est surabondante, quand nous jugeons que nous en avons au-delà. Enfin, je conçois quune chose dont on ne fait rien, et dont on ne peut rien faire, na point de valeur, et quau contraire une chose a une valeur, lorsquelle a une utilité : et [15] si elle nen avoit pas une par cela seul quelle est utile, elle nen auroit pas une plus grande dans la rareté, et une moindre dans labondance. |
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Mais on est porté à regarder la valeur comme une qualité absolue, qui est inhérente aux choses indépendamment des jugemens que nous portons, et cette notion confuse est une source de mauvais raisonnemens. Il faut donc se souvenir que, quoique les choses naient une valeur, que parce quelles ont des qualités qui les rendent propres à nos usages, elles nauroient point de valeur pour nous, si nous ne jugions pas quelles ont en effet ces qualités. Leur valeur est donc principalement dans le jugement que nous portons de leur utilité, et elles nen ont plus ou moins, que parce que nous les jugeons plus ou moins utiles, ou quavec la même utilité, nous les jugeons plus rares ou plus abondantes. Je ne me suis si fort arrêté sur cette notion, que parce quelle servira de base à tout cet ouvrage. |
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