fascicule précédent

Ephémérides, sept. 1769.


SUITE ET FIN

DE L'AVERTISSEMENT,

ET de la NOTICE ABRÉGÉE qui commencent les Volumes précédents.

Nous terminerons dans ce Volume la tâche extraordinaire que nous nous sommes imposée. Nous n'avons plus que six mois à parcourir pour avoir embrassé, dans les Notices qui ont précédé nos Volumes de cette année, tous les Ouvrages françois qui ont paru dans les années précédentes, & qui nous semblent nécessaires dans une Bibliotheque choisie d'Economie politique.

Nous n'osons pas nous flatter cependant d'y avoir fait entrer tous ceux qui auroient été dignes d'y {Aiij}[6] avoir place. Nous avons exposé à la tête de notre 3me. Volume les raisons qui nous ont empêché d'y comprendre les Ouvrages que eussions [sic] été obligé de réfuter à mesure ; qui auroient prolongé notre travail à l'infini, (car qui ne sait qu'en toute matiere les mauvais livres sont beaucoup plus communs que les bons) ; qui auroient donné à notre Notice l'air ennuyeux & dur d'un long procès-verbal

d'erreurs, tandis que nous voulions en faire un acte fraternel. Il est fort possible que, parmi ces Livres que nous avons passé sous silence, il s'en trouve quelques-uns que nous ayons jugés trop sévérement. Nous sommes ennemis trop déclarés des privileges exclusifs pour prétendre à aucun ; & celui de ne se point tromper, seroit sur-tout d'une espece trop distinguée pour que nous voulussions nous l'attribuer. Il est encore moins fait pour nous que tout autre.

[7] Outre les torts que nous pouvons avoir eus par erreur, malgré les soins que nous avons pris pour nous en préserver, en tâchant d'appuyer notre façon de penser sur des Principes évidents, il en est surement d'autres que nous n'avons eu [sic] que par ignorance. Il y a peut-être plusieurs Livres excellents auxquels nous aurions, avec le plus grand plaisir, donné les éloges les mieux mérités, si nous avions su que ces Livres existassent. En tout genre, la liste des choses que chaque homme connoit, indique seulement la limite de celles qu'il ne connoit pas. Il ne seroit même pas impossible que nous eussions obmis [sic] très involontairement quelques Ouvrages que nous connoissions bien, mais qui ne se sont point rappellés à notre souvenir.

Nous réparerons toutes ces omissions aussitôt qu'elle [sic] nous seront connues. Nous espérons être assez {A iv}[8] heureux pour continuer long-tems ce Recueil patriotique, que son objet fait regarder avec indulgence par les Citoyens, à l'utilité desquels il est consacré. Nous nous attacherons sans cesse à le perfectionner, à corriger les fautes qui nous y seront échappées, & à le rendre, autant qu'il nous sera possible, de jour en jour plus digne de leur être offert.

Pour commencer à suppléer ce dont nous aurions du parler plutôt, nous rappellerons ici un Livre qu'il est bien étonnant que nous ayons oublié, puisqu'il est un des premiers que nous ayons lus & que nous en possédons deuxexemplaires. Ce Livre est le DÉTAIL DE LA FRANCE, par M. Pierre LE PESANT, Seigneur de BOIS-GUILBERT, Avocat-général de la Cour des Aides de Normandie. Cet Ouvrage, dont le titre, il est vrai, n'est pas bien clair, & dont la lecture est un peu fati-[9]guante, parceque le style en est incorrect & diffus, est cependant singulierement précieux par la sagacité avec laquelle l'Auteur avoit reconnu ce que tout le monde ignoroit de son tems, la nécessité de respecter les avances des travaux utiles,& les avantages de la liberté

du Commerce. S'il eut vu que la terre & les eaux étoient les seules sources d'où le travail de l'homme peut retirer des richesses, & que les travaux de conservation, de fabrication, d'échange, &c. qu'on a confondus assez improprement sous le nom générique de travaux d'industrie, ne faisoient que s'exercer sur les richesses déja produites sans y rien ajouter; s'il eut su connoître l'existence du produit net, & le distinguer d'avec les frais de reproduction, & s'il eut combiné ces vérités avec les autres qu'il avoit senties, on lui devroit l'honneur de l'invention des Principes {A v}[10] de la Science économique. Nous avons de son Ouvrage estimable deux Editions, une de 1699, & l'autre de 1707. On dit qu'il en existe deux autres, une de 1698 & une de 1704. Quelques exagérations qui se trouvent dans la rapidité qu'il attribue aux effets du plan qu'il propose, le défaut de méthode, & ceux du style, lui ont fait tort depuis dans l'opinion de nos beaux esprits, qui jugent un peu trop les choses sur la forme. Le courage civique qu'il déploie & la connoissance qu'il montre de l'état de la Nation, firent encore bien plus de tort à l'AUTEUR. Dans ce siecle du pouvoir

pouvoir arbitraire & fiscal, la vérité respectueusement prononcée par le patriotisme étoit un ridicule & un crime. Des Ministres à qui M. de BOIS-GUILBERT avoit présenté ses Mémoires, en leur disant : Monsieur, je vous demande trois quarts d'heure ; je vous ennuie-[11]rai au premier, je fixerai votre attention au second, je vous convaincrai au troisieme, & il en résultera un grand bien pour l'Etat : lui répondirent légerement qu'ils s'en tenoient au premier, & ne voulurent pas jetter les yeux sur un Ouvrage où ils eussent cependant trouvé des principes importants & des conseils utiles. Il osa donner au public ces Mémoires, que l'Administration d'alors avoit dédaignés. Ce fut le signal d'une persécution qui ne finit qu'avec sa vie. On le força de se défaire de sa charge d'Avocat-général ; on l'exila à l'autre bout du Royaume. Cet exil dérangea sa fortune qui étoit médiocre. Il mourut malheureux pour avoir été trop bon Citoyen. Le Gouvernement, aujourd'hui plus éclairé & mieux- faisant, a reconnu combien il s'en falloit que la Doctrine de M. de BOIS-GUILBERT méritât punition. Il en a adopté les Principes relativement {A vj}

[12] à la liberté du Commerce des Bleds, & même à celle du travail en général. Il voudroit pouvoir simplifier la machine trop compliquée des impôts. Loin de persécuter, il protege les hommes vertueux qui consacrent leurs veilles à l'étude du bien public. Si les cendres des morts étoient susceptibles de quelque sentiment, ce seroit une consolation pour celles de M. de BOIS-GUILBERT. Cette tardive récompense est du moins la seule à laquelle doivent aspirer les hommesqui s'occupent avec lumiere du bonheur de leurs semblables, parceque c'est la seule qui ne puisse leur manquer.

Plusieurs personnes ont attribué, à M. de BOIS-GUILBERT, la Dixme Royale de M. le Maréchal DE VAUBAN. Ces personnes se sont trompées, comme cela arrive tous les jours à tant de gens & même aux plus habiles. Il nous semble visible que la Dixme Royale, quoique fort [13] inférieure pour les principes au Détail de la France, est un Livre beaucoup mieux fait, & de la main d'un homme plus exercé à écrire, & plus méthodique que M. de BOIS-GUILBERT ne fut jamais. Mais voici quelque chose de plus

positif ; nous avons vu & lu un Manuscrit original, lequel est entre les mains de l'illustre AMI DES HOMMES, qui daigne honorer notre Ouvrage périodique & nous de tant de bontés. Et ce manuscrit qui est de M. de BOIS-GUILBERT, est une critique très solide de la Dixme Royale, & fait voir que ce projet d'un homme de bien & d'un grand homme, n'est cependant pas exécutable, & qu'il entraineroit trop d'inconvénients pour ne devoir pas être abandonné. En voici assez pour réparer notre omission.

Un Anonyme dont nous respectons les vues, & qui paroît prendre [14] à notre Ouvrage périodique un intérêt qui nous inspire beaucoup de reconnoissance, a pris la peine de nous écrire pour nous inviter à donner aussi l'extrait de Télémaque. Ce beau Poëme, traduit dans tant de langues, & si digne de sa réputation, n'est certainement pas un Ouvrage qu'il soit nécessaire de faire connoître à nos Lecteurs. Il n'est aucun homme dont l'éducation ait été un peu soignée, qui ne l'ait lu par le conseil de ses maîtres & relu plusieurs fois pour sa propre satisfaction. Rien de plus

touchant & de plus beau que sa morale. Elle fait une impression d'autant plus vive, qu'on voit qu'elle est toujours un épanchement du cœur excellent & sensible de son illustre Auteur. Pour sa politique, il auroit été bien difficile qu'elle ne se ressentit pas un peu de l'esprit plus réglementaire que Législateur de son siecle. Ses Loix sur les successions, [15] qui auroient privé les fils du fruit des travaux de leurs peres ; ses Ordonnances pour arracher les vignes ; ses petites Institutions somptuaires de Salente ; & sa Police minutieuse sur les affaires les plus secretes des Citoyens ; ne seroient gueres favorables à la liberté, ni à la propriété. Elles donneroient des occasions sans nombre d'abuser de l'autorité & de la rendre vexatoire, tandis elle ne doit avoir d'autre emploi que celui de protéger tous les membres de la Société. Après avoir réfléchi sur ces Loix, il n'y a presque personne qui ne fut tenté de dire, avec M. de Voltaire :

» Ah! mon ami, je consens de grand cœur,
» D'être fessé dans vos murs de Salente,
» Si je vais-là pour chercher mon bonheur

Or le pays bien gouverné seroit celui où tout le monde voudroit vivre. LeTélémaque dont nous admirons autant & plus que personne [16] les beautés d'imagination & de sentiment, l'éloquence agréable & fleurie, & sur-tout le ton si naturel de la véritable vertu, n'entroit donc pas dans notre plan. Ce n'est pas ce Poëme qu'il faudroit à nos Lecteurs. Ce seroit son Auteur, avec son ame tendre & fraternelle, & sa plume enchanteresse, qu'il faudroit à la Doctrine de paix, d'ordre, de de [sic] justice & de liberté, si bien développée dans ces derniers tems, pour en étendre & pour en precipiter les succès. Il y a trois hommes dont la mort nous arrachera toujours des larmes, avec bien plus de justice que celle de Pindare n'en faisoit verser à Madame DACIER. Ce sont l'aimable & presque divin FÉNÉLON, l'illustre & grand VAUBAN, le bon & vertueux Abbé de SAINT-PIERRE : ajoutons y le sage & courageux M. de GOURNAI, qui l'emporta de beaucoup sur eux par les lumieres. O ! si ces humains [17] privilégiés de la nature vivoient encore ; s'ils voyoient combien la Science des droits

& de l'intérêt de l'homme a pris de consistance ; s'ils la voyoient devenue une Science exacte, qui ne laisse plus de place aux conjectures & aux imaginations arbitraires, par lesquelles leur zèle si pur fut égaré quelquefois, leur cœur civique éprouveroit la joie la plus vive. Ils s'embrasseroient les uns les autres avec transport. Ils embrasseroient l'homme simple & sublime qui a découvert les Loix invariables de cette Science si nécessaire, & ceux qui les ont développées d'après lui. Ils verroient avec indulgence les efforts des éleves de ces grands maîtres. Ils employeroient leurs talents supérieurs dans cette auguste carriere ; & ne nous laisseroient que la gloire de les suivre de loin, (comme Stace se proposoit de suivre Virgile), & le bonheur de les admirer.

[18] Ils ne sont plus : & les regrets que nous devons à leurs cendres ne rendent que plus impérieuse la Loi qui nous prescrit de faire, autant qu'il est en nous, ce qu'ils feroient à notre place s'ils vivoient encore. Ces aigles se seroient élevés dans les nues ; tout l'emploi de nos forces ne pourra nous conduire qu'a labourer péniblement notre sillon. La nature inégale & variée dans tous

les Ouvrages qui sortent de ses mains, ne permit aux gens de bien même, de se ressembler exactement que par l'amour pour leurs freres & le zèle pour le bonheur général.

C'est ce zèle qui nous a fait regarder comme un travail utile celui de présenter, aux Amateurs de la Philosophie économique, la Liste & la Notice des Ecrits qui nous paroissent en renfermer les Principes les plus certains. Nous allons reprendre ce travail à l'époque où nous l'avons laissé dans notre der-[19]nier volume, c'est-à-dire à la moitié de l'année 1768.

Mois de juillet.

LETTRE d'un Gentilhomme des Etats de Languedoc, à un Magistrat du Parlement de Rouen, sur le Commerce des Bleds, des Farines & du Pain. Brochure in-12. d'environ 47 pag. qu [sic] se vend à Paris chez Desaint, rue du Foin Saint Jacques, & chez Lacombe, rue Christine. Cette Lettre expose avec beaucoup devigueur & de clarté, la singularité & les motifs de la différence des demandes que faisoient en même-tems au Roi la Province de

Languedoc & celle de Normandie. La premiere, dans laquelle les bleds étoient chers, qui en avoit toujours vendu, qui n'en avoit point reçu de l'Etranger, qui est à portée des Nations qui en achettent habituellement & très éloignée de celles qui en vendent, prioit le Souverain [20] d'abolir toutes les restrictions imposées à la liberté de l'exportation. La seconde, dans laquelle les Bleds étoient d'un tiers meilleur marché, qui n'en avoit point vendu depuis vingt-un mois, qui en avoir reçu de Bretagne & du Nord, qui est très éloignée des Nations acheteuses, & très voisine de celles qui ont toujours des grains à vendre, supplioit que l'on imposât de nouvelles & séveres restrictions à la liberté d'exporter. L'Auteur fait voir que cette demande venoit précisément de ce que la Normandie n'avoit pas joui de la liberté ; & que celle du Languedoc vient de ce qu'il en a joui davantage, & que l'expérience lui en a fait connoître le prix. Nous avons rendu un compte très détaillé de cette Brochure dans le Volume des Ephémérides du mois suivant.

Celui de ce mois est sur-tout in-[21]téressant par son article des Evénements publics. On y lit,

1°. Le récit du fait que nous avons rapellé dans notre dernier volume, qui a été le

sujet de l'estampe que nous y avons annoncée, & qui montre la sagesse des gouts de Monseigneur LE DAUPHIN ; & un autre trait de ce Prince, & de Monseigneur LE COMTE D'ARTOIS, qui dans le mouvement le plus ardent d'un plaisir vif & très propre à distraire, marquerent pour l'agriculture & pour la propriété, un respect qui honore infiniment ces deux Princes, & qui offre le présage le plus flatteur à la Nation.

2°. L'annonce de l'Etablissement de la liberté de la Presse en ESPAGNE, l'exposition des motifs de cette institution si sage, & des avantages qui doivent en résulter ; ce qui donne occasion de rappeller toutes les principales opérations paternelles auxquelles le Gouverne[22]ment d'Espagne s'est livré depuis l'avènement du Roi CHARLES III à la Couronne.

3°. Un petit Mémoire sur les troubles qui divisent l'Angleterre & ses Colonies, avec les Réponses que le célebre Docteur BENJAMIN FRANKLIN, Agent de Pensylvanie en Angleterre, fît en public & sur le champ, à toutes les question [sic] qui lui furent faites à ce sujet par la Chambre des Communes du Parlement de la Grande Bretagne, lorsque la révocation de l'Acte du Timbre y fut mise en délibération. Ces Réponses, au nombre

de plus de cent cinquante, & dont plusieurs sont très étendues, donnent une idée fort nette de l'objet des contestations que l'Angleterre a eu grand tort d'élever, & qui apprendront peut-être à ses Colonies à s'assurer par elles mêmes la liberté &la propriété qu'elles avoient droit d'attendre de la protection de leur |23] Métropole. Et l'on y voit d'ailleurs un courage patriotique si ferme & si tranquille, une philosophie si éclairée, uneprésence d'esprit si surprenante que cet interrogatoire doit certainement beaucoup ajouter & a effectivement ajouté à la réputation, déjà si bien méritée de M. FRANKLIN. Il y a, de la Traduction des Questions de la Chambre des Communes & des Réponses de M. Francklin, une Edition détachée qui se trouve chez Desaint, Libraire, rue du Foin, & au Bureau de distribution des Ephemérides.

4°. Un Trait de Bienfaisance équitable de M. LE PELLETIER DE MORFONTAINE, Intendant de Soissons.

Dans les Pieces détachées on trouve après une exposition des diverses façons de penser qui partagent la Nation relativement à la liberté du Commerce des Grains, Trois Lettres qui traitent de cette [24] liberté, & qui sont dues à trois Magistrats également distingués par leur rang, par leur place, par leur lumieres, & par leur mérite. Les deux premieres de ces Lettres sont adressées à M. le Contrôleur-Général, l'une par M. DE BERRULLE, premier Président du PARLEMENT DE DAUPHINÉ, & l'autre par M. DE LA TOUR, premier Président du PARLEMENT DE PROVENCE. Elles ont le même objet, qui est d'engager le Ministre à présenter au Roi les actions de graces des Habitants de la Provence & du Dauphiné, pour le bienfait de la liberté du Commerce des grains ; & de mettre sous ses yeux le tableau des avantages que ces deux Provinces avoient déja retiré de cette liberté. M. DE LA TOUR, offre au nom de la Compagnie respectable dont il est le Chef, de répondre à toutes les objections que quelques Citoyens encore prévenus pourroient opposer [25] à la nécessité de cette liberté, qui commence à rappeller l'ai-

sance dans toutes les Provinces qui en ont joui.

La troisieme Lettre qui est adressée à tous les Officiers de Police d'une Province, est due au Magistrat respectable qui veut bien porter dans notre Ouvrage périodique le nom de Mr. C. & dont M. l'Abbé BAUDEAU a publié des Réflexions sur la grande & la petite Culture, dans le sixieme Volume de l'année 1767, & l'excellent Traité des Mines & des Carrieres, dans le septieme volume de la même année. Cette Lettre expose avec beaucoup de simplicité, de netteté, de force & de brieveté, les principes qui doivent tranquilliser le Peuple, relativement à la liberté du Commerce des Grains, & régler la conduite des Magistrats, sur qui roule le soin de maintenir le bon ordre.

Les Critiques raisonnées com{b}[26] mencent par celle de la premiere Partie d'un Ouvrage, intitulé, Le Gouverneur ou Essai sur l'Education, par Mr. D. L. F. ci-devant Gouverneur de leurs Altesses Sérénissimes Mgrs les Princes Ducs de SLESWIG - HOLSTEIN - GOTTORP. Nous nous proposions de suivre la Critique du reste de cet Ouvrage, qui est écrit d'une maniere très séduisante, & qui traite d'un

objet très important. Des travaux plus pressants encore, & plusieurs autres raisons nous ont empêché de remplir ce dessein, que nous reprendrons le plutôt qu'il nous sera possible ; soit directement, soit indirectement, en traitant la matiere même à laquelle l'Auteur a consacré ses efforts. Matiere bien intéressante sansdoute, puisque la bonté ou les défauts du systême de l'éducation décident, des lumieres qui peuvent élever les Nations au comble de la félicité ; ou de l'igno-[27]rance, qui peut les plonger dans un abîme de malheurs, toujours variés mais perpétuels, & dont chacun en particulier a droit de sembler plus terrible que les autres.

On trouve ensuite l'analyse d'une Brochure intitulée, Faits qui ont influé sur la cherté des Grains en France & en Angleterre. grand in-8°. de 58 pages, qui se trouve chez Desaint, Libraire, rue du Foin. On voit dans cette analyse, que le monopole a toujours été le fruit inévitable des précautions réglementaires, que le Gouvernement a pris pour le prévenir, & qu'il n'a jamais cédé qu'à la concurrence, laquelle ne peut exister constamment qu'à la faveur de la liberté.

Le Volume est terminé par la cinquieme Lettre de Mr. D. à Mr. l'Abbé de MABLY. Cette Lettre, qui est la plus longue & presque entierement en citations de M. l'Abbé DE MABLY, est sur tout employée bij [28] à relever, les principales contradictions qui lui sont échappées, dans sa Critique du Livre de M. DE LA RIVIERE. Il en résulte que cette Critique n'est d'accord avec elle-même, ni dans les principes dont elle part, ni dans les faits qu'elle expose, ni dans la marche qu'elle suit, ni dans les censures auxquelles elle se livre, ni dans les reproches un peu durs, qu'elle fait aux Philosophes économistes.

Mois d'Août.

Recueil de plusieurs morceaux Economiques, principalement sur la concurrence des Etrangers dans le transport des Grains, par M. LE TROSNE, Avocat du Roi au Bailliage d'Orléans. Volume in-12. de 236 pages, qui se trouve à Paris, chez Desaint, Libraire, rue du Foin Saint Jacques. Ce Volume ne contient de neuf, qu'une très bonne Dissertation sur la concurrence des Etrangers dans la Navigation, de laquelle nous avons

donné une analyse assez complette, dans notre onzieme volume de 1768, ce qui fait que nous nous bornerons à y renvoyer nos Lecteurs. Les autres morceaux qui se trouvent dans ce Receuil [sic] d'Ecrits de M. LE TROSNE, font, la troisieme édition de l'excellent Traité de l'utilité des Discussions économiques, qu'il adressa en 1766 à l'ACADÉMIE Royale des Sciences de Cæn ; la seconde édition d'une LETTRE sur cette question : Une Nation agricole a-t-elle d'autres intérets dans le Commerce de ses denrées que celui de sa culture ? Cette Lettre avoit été imprimée pour la premiere fois, dans le dernier Volume de l'ancien Journal de l'Agriculture, du Commerce & des Finances, qui est celui du mois de Novembre 1766 ; & la seconde édition d'une Dissertation sur l'Argent & le Commerce, qui avoit déja {b iij}[30] paru dans le dernier Volume des Ephémérides de l'année 1766.

Le huitieme Volume de 1768, commence par la cinquieme Lettre de l'AMI DES HOMMES, sous le nom de Mr. B. sur la Restauration de l'Ordre légal. Elle traite de l'étendue que doit avoir l'Autorité souveraine, relativement à la Législation, à

la Paix & à la Guerre, à l'Impôt, à la Monnoie, au Choix des Hommes pour les Emplois, à la Distribution de récompenses, & au droit d'attrouppement. Le résumé de cette Lettre se trouve dans notre cinquieme Volume de cette année, depuis la pag.98, jusques & compris la page 104.

Cette Lettre est suivie par une autre, que Mr. G. adresse à un Magistrat, sur les Discussions relatives à la liberté du Commerce des Grains. L'Auteur fait sentir les avantages de la liberté ; & il appuie fortement [31] sur l'obligation stricte où sont ceux qui voudroient s'opposer à une liberté si nécessaire au bien Public, de rendre publiques aussi les raisons qui les déterminent.

Les Critiques raisonnées, comprennent la sixieme & derniere Lettre de Mr. D. à M. l'Abbé DE MABLY. Cette Lettre termine l'Ouvrage de Mr. D. en discutant le point le plus important sur lequel se soient élevés les Doutes de M. l'Abbé de MABLY. Il traite d'une maniere fort approfondie de l'Autorité souveraine, de sa nature, de ses fonctions, de ses droits, de la forme la plus avantageuse qu'elle puisse avoir, qui est celle qui lie le plus fortement l'intérêt

de ses dépositaires à celui de la Société, & qui oppose le plus de lumieres aux égarements dans lesquels on pourroit les induire contre leurs propres intérêts. Ces égaremens qui seroient très rares, chez un Peuple instruit, {b iv}[32] n'y pourroient jamais être regardés comme la véritable volonté des dépositaires de l'autorité, puisqu'ils leur seroient nuisibles ; & que nul homme sensé ne peut avoir la volonté de se nuire à lui-même ; un pere de famille qui manifesteroit une telle volonté, obligeroit l'amour le plus tendre & le plus respectueux de ses enfants, à ne se jamais rebuter de lui faire des représentations, jusqu'à ce qu'ils eussent éclairé ses intentions.

L'Analyse détaillée de la Lettre d'un Gentilhomme de Languedoc, dont nous avons parlé dans l'article précédent, suit immédiatement la Lettre de Mr. D.

L'article des Evénements publics est rempli:

Par la Traduction du second Interrogatoire de M. FRANCKLIN, devant la Chambre des Communes du PARLEMENT d'Angleterre.

Par une Lettre de l'Ecrivain qui [33] voile son nom sous celui de Mr. H, laquelle rappelle des Remontrances très fortes & un Arrêt très sage du Parlement de Paris, en faveur de la liberté du Commerce des bleds, qu'un Edit du Roi Louis XI avoit génée dans l'année 1583.

Par un beau Trait de probité d'un Fermier nommé PAUL VERON, qui ne voulut pas profiter en 1740, d'un Arrêt de réglement qui le favorisoit, ainsi que beaucoup d'autres, au préjudice de son Propriétaire. Le Parlement, disoit cet honnête homme, n'a pas le droit de me dispenser de remplir mes engagements.

Vers la fin de ce même mois, parut un Ouvrage méthodique intitulé, PRINCIPES sur la liberté du Commerce des Grains. Brochure in 8°. de 162 pages, qui se trouve à Paris, chez Desaint, Libraire, rue du Foin Saint Jacques. Nous avions annoncé d'avance cet Ou-{b v}[34]vrage dans notre sixieme Volume de l'année 1768. Nous en avons donnè [sic] la Notice dans le onzieme, & l'analyse complette dans le douzieme de la même

année, ce qui nous dispense de nous étendre ici à son sujet.

Mois de Septembre.

Ce mois a vu paroitre plusieurs Ouvrages intéressants.

1°. Le MÉMOIRE sur les effets de l'Impôt indirect sur le revenu des Propriétaires des biens fonds : qui a remporté le prix proposé par la SOCIÉTÉ ROYALE d'Agriculture de Limoges en 1767 : sous l'épigraphe, tirée de l'Aminte du Tasse,

Brama assai, poco spera, e nulla chiede.

Cet excellent Ouvrage de M DE SAINT PERAVY, Membre de la Société Royale d'Agriculture d'Orléans, forme un Volume in 12. de 264 pag. belle édition, qui se trouve [35] à Paris, chez Desaint, rue du Foin Saint Jacques. Nous l'avons annoncé, & nous en avons exposé l'objet d'après le Programme même de la Société Royale d'Agriculture de Limoges, dans notre onzieme Volume de l'année 1768, & nous avons donné l'analyse très détaillée

des trois parties qui le composent, dans nos volumes douzieme de 1768, & premier & second de l'année courante que nos Lecteurs ont sous les yeux.

2°. LETTRES sur le Commerce des Grains, par l'AMI DES HOMMES. Volume in-12. de 336 pages, qui se trouve à Paris, chez Desaint, rue du Foin Saint Jacques. Ces Lettres ne sont pas toutes de l'illustre AUTEUR, qui les a publiées Quelques unes ne contiennent que des Objections qui lui ont été faites par les divers Citoyens, qui cherchent dans sa correspondance les instructions qu'on a droit d'atten-bvj[36]dre de son génie bienfaisant, & que son cœur patriote aime à répandre. Il réfute ces Objections, avec la profonde connoissance des principes qui lui doivent la plus forte partie de leur promulgation & avec cette éloquence chaude originale & vive qui lui est propre. Ces Lettres n'ont été que très légerement annoncées dans le Volume des Ephémérides du mois où elles parurent. Nous en avons rendu un compte un peu plus étendu dans notre troisieme volume de cette année.

3°. CHINKI, Histoire Cochinchinoise, qui peut servir à d'autres Pays, par M. l'Abbé COYER, sous l'Epigraphe,

Æquè pauperibus prodest, locupletibus æquè.

Brochure de 96 pages in-8°. dont la lecture est très agréable, & dont l'objet principal, est de faire voir l'absurdité des Réglements de Com-[37]merce, & les inconvénients des Communautés d'arts & métiers. Nous l'avons annoncée dans notre onzieme Volume de 1768, & nous en avons offert à nos Lecteurs un Extrait fort ample dans nos Volumes douzieme de 1768, & premier de 1769.

4°. LETTRES A UN AMI, sur les avantages de la liberté du Commerce des Grains, & le danger des prohibitions : par M. LE TROSNE, Avocat du Roi au Bailliage d'Orléans. Volume in-12. de 168 pag. belle édition, à Paris, chez Desaint, rue du Foin Saint Jacques. Nous n'avons pu rendre compte de ces Lettres, que dans notre cinquieme Volume de cette année ; mais nous l'avons rendu d'une maniere très complette. Nous l'avions cependant annoncé fort succintement dans le tems.

5°. RÉPONSE d'un Magistrat de Normandie au Gentilhomme de Lan- [38]guedoc sur la liberté du Commerce des Bleds, de la Farine & du Pain. Brochure de 58 pag. in-12 à Paris, chez Lacombe, Libraire, rue Christine.

Ce Magistrat convient avec le Gentilhomme dont nous avons parlé plus haut (pag. 19), des avantages & de la nécessité de la liberté du Commerce intérieur des Grains ; il expose quelques doutes au sujet du Commerce extérieur auquel il craint qu'on ne puisse pas appliquer les mêmes Principes ; il glisse sur les faits particuliers à la Normandie, dont le Gentilhomme de Languedoc lui avoit demandé les raisons & l'explication. Nous avons rendu compte de cette Brochure dans notre onzieme volume de 1768.

Après la derniere LETTRE de Mr. B. à Mr. *** sur la Restauration de l'Ordre légal, qui traite de l'Evidence & de son pouvoir, & dont le résumé occupe dans notre [39] cinquieme Volume de cette année, depuis la pag. 104, jusques & compris la pag. 106 ; le neuvieme Volume des Ephémérides de 1768, présente un excellent Ouvrage de M. l'Abbé BAUDEAU, qui est intitulé, RESULTATS de la liberté parfaite & de l'immunité absolue du Commerce des Grains, de la Farine & du Pain, & conséquences pratiques de ces Résultats. Il y a de ces Résultats une seconde édition séparée, qui se vend chez Desaint, rue du Foin Saint Jacques, & chez Lacombe, rue Christine.

Ils sont suivis dans les Ephémérides de l'annonce du Recueil intitulé, PRECIS DE L'ORDRE LÉGAL, par l'AMI DES HOMMES, & de l'Extrait de ce même Recueil, par Mr. M. Censeur Royal, qui en a rendu compte au Magistrat.

On trouve ensuite une continuation des Lettres Angloises sur la PHYSIOCRATIE. L'une de ce Let-[40]tres est la seconde de Mr. F. qui continue ses Objections contre cet Ouvrage & l'autre de Mr. E. qui réfute ces Objections.

On rapporte ensuite la copie d'une Délibération que la Chambre du Commerce de Picardie, a formée dans son Assemblée du 8 Août 1768, en faveur de la liberté du Commerce des Grains. Ce qui donne au journaliste l'occasion d'indiquer & d'annoncer les Lettres de l'AMI DES HOMMES, & celles de M. LE TROSNE surle même sujet.

Et le Volume est terminé par le récit de plusieurs Exemples de bienfaisance éclairée, qu'ont donné dans leurs terres, M. LE MAITRE, Seigneur du Marais près Dourdans, & M. le Marquis de BROGLIE.

Mois d'Octobre.

LETTRES SUR LES EMEUTES POPULAIRES que cause la cherté des Grains, & sur les précautions du [41] moment. Brochure in-12. de 58 pag. qui se trouve à Paris, chez Desaint, rue du Foin Saint Jacques, chez Delalain, rue & à côté de la Comédie Françoise, & chez Lacombe, rue Christine. Un Avocat de Rouen, essaye dans la premiere de ces Lettres de justifier les prétendues précautions employées dans cette Ville, pour tranquiliser le Peuple dans la cherté des grains. M. l'Abbé BAUDEAU qui lui répond dans la seconde, prouve très évidemment que les opérations auxquelles on se porta alors, alloient directement contre le but que se proposoient les bonnes intentions de ceux qui vouloient ramener l'ordre & la paix. Il fait voir que les précautions à prendre dans le moment contre l'émotion qui se manifestoit dans le Peuple, devoient se borner à trois : faire cesser la cherté, en étendant provisoirement la liberté du Commerce qui peut seul

apporter les secours, & qui les apporte en effet, [42] quand on le laisse faire, par-tout où le bon prix l'appelle ; & en suppliant le Souverain d'étendre à perpétuité cette liberté dont il connoit le prix & dont les circonstances du moment prouvoient si bien la nécessité : éclairer les esprits en motivant fortement les raisons puissantes, qui devoient déterminer une telle conduite, dans un Arrêt imprimé & distribué avec profusion : soulager la misere réellement impuissante, par une aumone passagere en argent. Nous avons donné l'analyse de cette Brochure, dans notre douzieme Volume de 1768.

Le dixieme est entierement dû aux soins de M. l'Abbé BAUDEAU, qui voulut bien s'en charger pendant un voyage de l'Auteur actuel. Il y plaça le commencement de son excellent AVIS AUX HONNETES GENS qui veulent bien faire, dans lequel il leur indique les moyens de procurer au pauvre Peuple DU PAIN [43] MEILLEUR & à MEILLEUR MARCHÉ sans y rien PERDRE,& même sans se donner

beaucoup de peine. Il y a de cet Ouvrage d'un Citoyen, digne, comme le disoit le Parlement de Grenoble à son sujet, par son cœur & par ses talents de parler aux honnêtes gens & de leur donner des Avis, deux éditions séparées, dont l'une se trouve à Paris, chez Desaint, rue du Foin ; chez Delalain, rue & à côté de la Comédie Françoise ; & chez Lacombe, rue Christine ; & l'autre a été contrefaite à Toulouse, chez Dupleix & Compagnie, rue Saint Rome à la Bible d'or. Cette derniere passe pour être la plus complette.

Dans les Ephémérides, la premiere partie de l'Avis aux honnêtes gens est précédéede la premiere Lettre de Mr. B. à Mr.***. sur la Stabilité de l'Ordre légal. Elle roule fur la nécessité, les avantages & le pouvoir de l'Instruction pour perpétuer l'évidence des vérités utiles.

[44] L'article des Critiques raisonnées est rempli par le premier Chapitre de l'Examen d'un Ouvrage intitulé, Essai analytique sur la Richesse & sur l'Impôt. Cet Examen forme un Volume considérable, & très intéressant par la pro-

fondeur des vérités qu'il analyse avec beaucoup de justesse & d'exactitude. Son étendue nous a privés du plaisir d'en inférer les Chapitres suivants dans notre Recueil. Il auroit trop perdu à être morcelé ; & la logique sévere & fine qui le caractérise, exige que l'on suive toute la chaine des raisonnements qu'il présente. Nous espérons que l'Auteur qui est le célebre M. de DE [sic] SAINT-PÉRAVY voudra bien le faire imprimer séparément, & nous aurons un plaisir bien réel à remplir le devoir qui nous obligera d'en rendre compte à nos lecteurs (1).

[45] L'article des Evénements publics rapporte l'Exemple instructif d'une juste


(1) Nous devons remarquer ici une petite erreur qui nous a échappée. M. DE Saint-PÉRAVY | avoit pris parmi nos Correspondants la Lettre N. Nous avons, par un mal-entendu, donné cette lettre à un autre Ecrivain auquel nous devons le Supplément du onzieme Volume de 1768 ; & qu'il ne faut pas confondre avec M. de Saint Péravy, auquel nous avons depuis redonné une autre lettre pour éviter la méprise : qui ne seroit qu'honorable sans doute pour l'un & pour l'autre Auteur, mais qui cependant pourroit leur être désagréable à tous deux ; car chacun aime à être soi.

reconnoissance dans la réception faite par la ville de Dunkerque, à SA MAJESTE' le Roi de Dannemarck. Ce jeune Monarque a suspendu en faveur de quelques Dunkerquois, qu'un coup de vent avoit jetté sur la cote d'Islande, la rigueur des Loix, beaucoup trop séveres, établies au soutien du privilege exclusif d'une Compagnie Danoise. Il a fait rendre à ces malheureux la liberté & leurs effets. Et il en a été payé à son passage à Dunkerque, par l'empressement le plus respec- [46]tueux, les acclamations les plus vives, les témoignages de tendresse les plus unanimes, les moins équivoques & les plus frappants. Il a eu occasion d'éprouver combien sont douces les bénédictions des Peuples. C'est la plus précieuse récompense des bons Rois, & celle qui les honore le plus.

Mois de Novembre.

LE POLITIQUE INDIEN, ou Considérations sur les Colonies des Indes orientales, par M. l'Abbé ROUBAUD : un Volume petit in-8°. de 126 pag. chez Lacombe, Libraire rue Christine. L'Auteur parcourt avec bea

beaucoup de rapidité, de nerf &de feu, l'Histoire des Colonies Portugaises, Espagnoles, Hollandoises, Angloises, Françoises & Danoises aux Indes. Ses récits sont semés de réflexions très judicieuses, & précédées d'un Discours de 26 pages, sur les Colonies engénéral, dans le-[47]quel il fait très bien sentir l'erreur des Peuples qui ont attaché de l'importance à la possession de ces occasions de querelles odieuses & ruineuses, qui n'en peuvent jamais payer les frais.

Le onzieme volume des Ephémérides commence par une LETTRE du jeune Seigneur que nous appellons Mr. D. à un Magistrat du Parlement de Bourgogne sur la liberté du Commerce des Grains. Cette Lettre précise & pressante, comme tout ce qui fort de la plume de son illustre Auteur, présente de la maniere la plus frappante, les raisons essentielles qui doivent assurer la liberté du Commerce des Grains ; leve & résout les difficultés qu'on y oppose ; examine & développe les circonstances particuliers qui rendent cette liberté encore plus utile & plus intéressan-

te pour la Province de Bourgogne, que pour toute autre.

[58] Elle occupe pour tour cela 14 Pag. d'impression : tant il est difficile de faire un gros Livre sur une seule question, lorsqu'on en possède bien le sujet.

La fin de l'AVIS AUX HONNETES GENS qui veulent bien faire, par M. l'Abbé BAUDEAU, suit immédiatement la Lettre de Mr. D. Et elle est elle même suivie par la seconde LETTRE de Mr. B. à Mr. ***, sur la Stabilite de l'Ordre légal. Lettre qui après un Discours préliminaire sur l'Instruction nécessaire à toutes les classes de la Société, présente un Précis d'Instruction pour la Classe productive ; divisé en six Chapitres, dont le premier traite de l'Ordre naturel social, le second des avantages de l'Instruction, le troisieme des dépenses de l'Agriculture, le quatrieme de la distinction des avances employées à l'Agriculture, le cinquieme de l'évaluation des des [sic] avances de l'Agriculture, & le [49] sixieme des conditions relatives aux succès de l'Agriculture.

L'article des Critiques raisonnées ne laisse pas d'être rempli. Il comprend,

1°. L'extrait de la Réponse du Magistrat de Normandie au Gentilhomme de Languedoc sur le Commerce des Bleds, des Farines & du Pain, dont nous avons parlé plus haut, (pages 37 & 38.).

2°. L'annonce du MEMOIRE de M. de SAINT-PERAVY, sur les effets de l'Impôt indirect, qui a été couronné par la Société Royale d'Agriculture de Limoges.

2°. [sic] L'analyse du RECUEIL de plusieurs morceaux Economiques de M. LE TROSNE, principalement sur la concurrence des Etrangers dans le transport des Grains.

4°. L'annonce de CHINKI, Histoire Cochinchinoise, qui peut servir à d'autres Pays.

5°. Celle des PRINCIPES sur {c}[50] la liberté du Commerce des Grains ; & celle d'une Brochure équivoque donnée par un certain M. Ne quid nimis, & intitulée, Examen des Principes sur la liberté du Commerce des Grains.

La troisieme Partie offre pour Evénement public, un Arrêté très sage & très bien motivé du PARLEMENT de Dauphiné, sur le Commerce de Grains.

Nous avons joint à ce volume un SUPPÉMENT [sic] séparé, qui nous a été fourni par Mr. N. un de nos Correspondants de Versailles, & celui qui a inspiré le gout & donné la conoissance [sic] de la Philosophie économique, à l'Anglois Mr. E. Auteur des trois Lettres pour la Défense de la Physiocratie, que nous avons publiées dans nos Volumes troisieme, cinquieme & neuvieme de 1763. Ce supplément renferme l'Examen de l'Examen du Livre intitulé, Principes sur la liberté du Commerce des Grains.

[51] Mois de Décembre.

RE'PLIQUE à la Reponse du Magistrat du Parlement de Rouen, sur le Commerce des Bleds, des Farines & du Pain, avec des notes de l'Editeur, petit in-8°. de 70 pages, dans lequel les notes qui se trouvent à la fin en petit caractere en occupent quarante. L'AUTEUR de la Réplique est le même Mr. N. auquel nous devons le Supplément au onzieme Volume des Ephémérides dont nous venons de parler.

L'EDITEUR, qui est en même-tems l'AUTEUR des notes, est M. de VAUVILLIERS, Lecteur & Professeur Royal en Langue Greque au College Royal. Le Magistrat de Rouen pense que l'exportation des Grains ne peut être bonne & avantageuse au Royaume, qu'autant qu'elle est resserrée dans des bornes raisonnables. L'Ecrivain qui lui réplique convient de la justesse de {c ij}[52] cette opinion ; mais il fait voir que les seules bornes raisonnables, sont celles qu'impose naturellement la liberté illimitée du Commerce des Grains, qui balance d'elle-même l'exportation par l'importation, dès que la première pourroit devenir nuisible, & que la seconde commence à sembler nécessaire. Il montre que ces bornes-là sont inviolables, qu'elles sont marquées du doigt du Créateur, par la nature des choses & du cœur humain, par l'équilibre des valeurs, par la Loi de l'intérêt qui oblige les Négociants libres à acheter des Grains par - tout où il y en a trop & où ils sont à vil prix, & de les porter par-tout où il en manque & où ils deviennent chers. Il fait sentir que dès qu'on veut s'en rapporter uniquement à la Police, à laquelle il est si facile d'en imposer, on ne doit plus s'attendre à voir établir par elle que des bornes » variables, arbitraires, dé-

[53]pendantes des faux rapports, des menées sourdes, des pratiques insidieuses, des vues courtes, des intérêts bien calculés pour quelqu'un, & mal entendus pour le Peuple " Il indique l'erreur générale, qui fait qu'on n'entend pas ce qu'on veut dire par prix commun. Il rappelle ce qu'a si bien démontré l'AUTEUR du Tableau économique, qu'il y a deux prix communs ; un pour l'Acheteur, qui dans les diverses années achete des quantités égales à des prix inégaux ; & l'autre pour le Vendeur, qui dans ces mêmes années débite des quantités inégales à des prix pareillement inégaux. Il renvoie à la démonstration de cette vérité, qui prouve que la liberté indéfinie qui exclut les grandes variations de prix & rapproche par là le prix commun du Vendeur de celui de l'Acheteur, est également avantageuse à l'un & à l'autre. Le reste de sa Lettre est plus di-ciij [54]rectement appliqué, à la situation & aux circonstances particulieres où se trouvoient alors le Languedoc & la Normandie,& dont on peut se former une idée par l'Extrait que nous avons donné de la Lettre du Gentilhomme des Etats de Languedoc, dans notre huitieme Volume

de l'année derniere, ou même par la notice que nous venons d'en présenter à nos Lecteurs (plus haut pag. 19.).

Les Notes de M. DE VAUVILLIERS sont remplies d'Observations fines & de recherches savantes. Ces Notes sont au nombre de quatre. Dans la premiere, il releve d'abord avec beaucoup de sel, l'absurdité des Ecrivains, qui veulent établir une grande différence entre le Commerce intérieur & le Commerce extérieur, tandis que la nature n'y en a mis aucune ; qui pensent que tant que » la Normandie & la Bretagne sont gouvernées [55] par un même Roi, l'exportation & l'importation réciproques sont pour elles d'une nécessité premiere & indispensable ; mais que si par un mariage, par un échange, ou par tel autre arrangement elles étoient gouvernées par des Princes différents, ce ne seroit plus la même chose, & la liberté mutuelle leur deviendroit nuisible". Il prouve ensuite que les Nations qui, par une politique barbare & mal-entendue, voudroient géner les ventes ou les achats de leurs voisins, se feroient encore beaucoup plus

de tort qu'à ces voisins. Il détermine par un calcul étendu, mais décisif & très convainquant, l'avantage que trouveroit un Royaume à vendre, dans les années d'abondance, tout ce qu'il peut vendre, & à acheter, dans les mauvaises années, tout ce dont il peut avoir besoin ; plutôt que de se priver, dans les premieres, du {c iv}[56] débit qui enrichit son Peuple, pour conserver des productions, que dans les années de disette ce Peuple n'auroit plus le moyen de payer, à ceux qui les auroient gardées à grands frais.

Dans la seconde il démontre que l'exportation considérée, même toute seule, & indépendamment de l'importation, ne peut produire ni la disette, ni même la cherté ; qu'au contraire elle produit nécessairement l'abondance & la richesse en en encourageant la production ? que les profits qu'elle doit assurer aux Cultivateurs, sont indispensablement nécessaires pour ramener l'aisance dans les campagnes & rétablir la prospérité de l'état ; & que par les dépenses qu'elle donne le moyen de faire, à tous ceux qui tiennent les richesses des mains de la nature, elle procure l'avantage de toutes les classes salariées de la société. Il appuie encore ces vérités [57] par des calculs très solides & très ingénieu

ingénieux, mais qu'il est impossible de suivre dans une analyse. Il nous suffit de dire qu'ils établissent, ce que l'AUTEUR du Tableau économique a pareillement prouvé dans son problême sur les prix, qui commence la seconde partie de la PHYSIOCRATIE ; que le niveau des prix. avec l'étranger qui résulte de la liberté de l'exportation dans un pays, qui en a été privé, accroit les richesse [sic] de la Nation. 1°. En diminution de perte, dans les échanges nécessaires avec l'étranger. 2°. En augmentation de revenu, supérieure à l'accroissement des dépenses.

Il traite dans la troisieme de l'inexactitude des idées, & des abus du langage, des Adversaires de la liberté, qui confondent bon prix avec cherté, cherté avec disette, & bas prix avec bon marché.

La derniere est employée à prouver, que la liberté intérieure ne suffit {c v}[58] pas pour entretenir le prix des Bleds à un taux moyen & peu variable, & pour prévenir le monopole, sans la liberté extérieure ; c'est-à-dire sans la liberté pleine, entiere & indéfinie de l'exportation & de l'importation. Cette note est la plus saillante ; indépendamment des calculs savants sur lesquels elle s'appuie, elle offre

des suppositions qui ressemblent si bien à des exemples, qu'il est impossible de n'en être pas frappé.

Nous nous sommes étendus sur cette brochure, qui se trouve chez Lacombe rue Christine, parceque la multitude de nos occupations, par rapport auxquelles nous avions été un peu arrierés, nous a empêché d'en rendre compte dans le tems, comme nous aurions du le faire. Nous aurons soin à l'avenir de n'en laisser passer ainsi aucune ; d'embrasser, à mesure qu'ils paroitront, dans nos Critiques raisonnées, tous les Ecrits dont nos Lecteurs ont le droit de [59] nous demander l'analyse. Cette Partie de notre Ouvrage périodique est par sa nature la plus étendue & la plus variée; & mérite sans doute de notre part toute l'attention que nous tâchons d'y apporter, & dont nous ne nous relâcherons jamais. L'application que nous croyons devoir y mettre, a pu déja se faire remarquer dans nos derniers Volumes de l'année derniere.

Nous avons donné dans le douzieme, qui l'a terminée, la Critique raisonnée & détaillée des LETTRES sur les Emeutes

populaires que cause la cherté des Grains, & sur les précaution [sic] du moment ; celle de la premiere partie de CHINKI, Histoire Cochinchinoise, qui peut servir à d'autres pays; celle du Livre intitulé, PRINCIPES sur la liberté du Commerce des Grains ; celle de l'Ouvrage entortillé, sous le titre d'EXAMEN, que M. Ne quid nimis a op-{c vj}[60]posé à ce Livre ; & celle de la premiere partie du ME'MOIRE sur les effets de l'Impôt indirect, relativement au revenu des Propriétaires des biens fonds, qui a été couronné par la Société Royale d'Agriculture de Limoges.

La premiere Partie avoit été remplie par la troisieme Lettre de Mr. B. à Mr.***. sur la stabilité de l'Ordre légal, qui présente le Précis de l'Instruction pour la classe des Propriétaires, en six Chapitres, dont le premier traite de l'égalité des conditions selon la nature, le second, des principes des devoirs des Propriétaires envers les Cultivateurs ; le troisieme, de la nature des devoirs des Proprietaires envers leurs Fermiers & Cultivateurs, le quatrieme, de la nature des devoirs des Propriétaires envers l'Etat & la Société; le cinquieme, des moyens directs pour les Propriétaires de

remplir leurs devoirs envers l'Etat & la Société ; & [61] le sixieme montre que le devoir d'un Propriétaire envers l'Etat, ne lui demande que ce qu'exige de lui son intérêt particulier.

Cette Instruction est suivie par une LETTRE de Mr. H. sur la Loi qui ordonne que lorsqu'il ne se présentera point de Fermiers solvables pour l'exploitation des terres, les Communautés des lieux où les biens seront situés, demeureront chargées de l'exploitation desdits biens, & de payer les prix des Fermages auxPropriétaires, sur le pied des anciens baux, ou selon l'estimation qui en sera faite. C'est cette Lettre qui a ouvert la querelle, qui s'est continuée entre les Propriétaires & les Fermiers de Picardie, par Mr. O. Mr. R. & Mr. S. dans nos Volumes troisieme, quatrieme & cinquieme de cette année, & qui se continuera encore, car nous avons entre les mains une Lettre de Mr. J. pour les Propriétaires, qui pourra s'attirer [62] quelque réplique, & nous n'avons pas nous-mêmes exposé notre opinion que les contendants ont daigné nous demander.

C'est ce même Mr. J. auquel nous devons la connoissance du beau trait du Fermier Paul VERON, celle de la sage bienfaisance de M. LE MAITRE, & de M. le Marquis DE BROGLIE, & la Lettre qui finit notre douzieme Volume de 1768, & qui rapporte l'exemple de deux Curés très vertueux, dont la charité extrême, & si l'on peut ainsi dire excessive, est & a néanmoins été infructueuse, faute d'être assez éclairée; & parcequ'il [sic] se sont livrés à donner sans mesure l'aumone aux Pauvres, au lieu de s'appliquer à dégouter les hommes de la pauvreté, en leur facilitant, par des salaires & d'autres encouragements répandus avec intelligence, les moyens d'assurer leur subsistance par leur travail.

Nous avons rendu, ou nous rendrons compte dans nos Volumes de cette année, de tous les Ouvrages qui ont paru depuis qu'elle est commencée, & qui ont spécialement droit d'intéresser nos Lecteurs. Dans les Notices qui ont précédé ces Volumes, & que nous venons de terminer nous leur avons rappellé ceux que les Philosophes François ont publiés

dans les années précédentes. Nous nous sommes par-là mis en quelque façon au courant. Ici se borne donc la carriere que nous avons cru devoir parcourir, afin de rendre nos Ephémérides aussi dignes que nous le pouvions, pour le moment, du titre honorable qu'elles portent de Bibliothéque raisonnée des Sciences morales & politiques. Si nous avons involontairement oublié de faire mention de quelqu'Ecrit public qui mérite d'avoir place dans une Bibliotheque, où l'on ne voudroit que des Ouvra-[64]ges, dans lesquels les vrais principes du droit naturel de la morale & de la Politique se trouvassent exposés, presque sans mélange d'erreurs préjudiciables au genre humain, du moins pouvons nous répondre qu'aucun de ceux dont nous avons parlé ne doit en être exclu. Et ce sera toujours une satisfaction pour nous que d'avoir donné à la tête de nos Volumes de cette année, & sans empiéter sur leur contenu, ni rien changer à leur composition, la Notice d'environ deux cent cinquante Ouvrages utiles. Notre principal objet, en rédigeant cette Notice, a été de mettre nos Lecteurs; a portée de choisir promptement dans chaque circonstance, ceux d'entre ces Ouvrages qu'ils pourroient avec besoin de consulter plus particulierement. Il nous a semblé qu'

qu'on étoit en droit d'exiger, au moins ce léger service d'une Bibliotheque raisonnée, sur-tout lors-[65]qu'elle est consacrée à un genre déterminé de Science. Cette réflexion nous a indiqué la Loi de notre devoir : Loi sacrée, que jamais, dans aucun cas, nous ne violerons volontairement; ni même quand on voudroit nous y contraindre, lorsqu'elle nous sera connue.

Nous ne pensons pas être entierement acquittés. Ce ne sera qu'après avoir fait pour les Livres étrangers, ce que nous venons d'achever pour ceux qui ont été publiés dans notre Patrie, que nous croirons avoir rempli nos obligations, autant du moins que nos forces nous l'auront permis. Nous ne reculerons ce travail, que nous devons encore à nos Lecteurs, que pendant le tems qui nous sera nécessaire pour en rassembler & mettre en ordre tous les matériaux.

Cette tâche est sans doute étendue & pénible ; lors même qu'elle aiguillone notre courage, elle nous [66] fait sentir notre foiblesse; mais nous croyons nécessaire à la perfection de ce Recueil, que nous mettions tous les soins possibles à la remplir. Nous invitons nos Correspondants & tous les Amateurs de laPhilosophie économique qui possedent

des Langues étrangeres, a vouloir bien nous mettre à portée d'exécuter cette entreprise d'une maniere encore plus exacte & plus fidelle, en secondant nos efforts par le secours de leurs lumieres. Nous regarderons comme un service qui nous inspirera la plus sincere & la plus vive reconnoissance, le travail de tout homme de Lettres, de tout Citoyen, qui daignera nous envoyer la Notice d'un bon Livre de morale & de politique, dans quelque Langue que ce Livre ait été composé. Nous lui rendrons publiquement grace de ses bienfaits ; & nous ferons connoître le nom de nos Bienfaiteurs, quand ils auront la bonté de nous le per-[67]mettre, ou qu'ils ne nous le défendront pas formellement.

De tous les Auteurs Etrangers que nous connoissons, aucun, il est vrai, n'a jusqu'à présent saisi l'ensemble complet des vrais Principes de la morale & de la politique; aucun n'en a fait une Science exacte. Nous croyons que cet honneur étoit réservé aux François, à nos Maîtres, dont nous venons de parcourir & de rappeller les Ecrits. Mais il y a dans les Livres Etrangers une infinité de vérités éparses &de Principes sages, qui

auroient été infiment profitables au genre humain, si des préjugés, malheureusement dominants, n'avoient empêché les Peuples prévenus d'y faire toute l'attention qu'ils auroient du exciter. On en trouve beaucoup de ce genre dans CULPEPER, dans LOCKE, dans DEKER, dans CHILD & sur-tout dans Josias TUKER, Apôtre de la paix & de la liberté [68] universelle, chez une Nation jalouse & livrée au monopole de ses Marchands. On en trouve dans les Ecrits du grand Pensionnaire de WIT, dans WOLF, dans BURLAMAQUI, dans le Docteur HIRZEL, dans SCHMIDT d'Avenstein, dans ZANON, dans Don DIEGO DE SAAVEDRA, dans HUBNER. Et qui ne sait que les Anglois ont aujourd'hui leur Benjamin FRANKLIN, qui a adopté les Principes & la Doctrine de nos Economistes françois, Doctrine qu'il est si digne de promulguer & de défendre; & les Italiens le Marquis DE BECCARIA, partisan nécessaire de toute étude qui tend à établir parmi les hommes l'esprit de fraternité & de justice ?

Nous enrichirons régulierement notre Recueil, par l'analyse raisonnée de tous les Ouvrages que publieront à l'avenir deux de

ces grands Hommes qui vivent encore, mais il nous tarde de rendre hommage à ceux [69] que nous leur devons déjaAprès le bonheur de faire des choses utiles à la Société, le plus doux que l'on puisse connoître est celui de payer à ceux qui les ont faites, le tribut d'éloges qui leur est du. Ce plaisir entraine & maîtrise impérieusement les cœurs sensibles. Nous n'avons jamais pu, ni su, ni voulu nous le refuser. Et c'est avec une surprise toujours nouvelle que nous avons remarqué, que le mouvement d'équité & de reconnoissance qui nous a souvent déterminé à nous y livrer, nous avoit attiré des Adversaires. Nous avons entendu des Gens, auxquels il étoit apparemment plus facile de trouver, contre la Doctrine que nous nous attachons à répandre, une expression injurieuse qu'une bonne raison, nous accuser, & les Philosophes qui ont découvert & développé cette Doctrine, de faire SECTE. Nous savons qu'on répand avec [70] amertume cette imputation dans le Public, & qu'elle sert de prétexte à des esprits frivoles, pour se dispenser d'étudier les vérités que cette prétendue secte avance,

& à des hommes intéressés ou vains, pour éviter de répondre aux faits qu'elle articule & aux principes qu'elle établit.

Animés du même patriotisme ; courants la même carriere ; ayants considéré les mêmes objets; frappés avec la même évidence du droit que les hommes ont à conserver la liberté de leur personne & la propriété des biens acquis par leur travail, ou par celui de leurs ancêtres; reconnoissants également les Loix de la réproduction & de la distribution des richesses; il s'est en effet trouvé de plus, que la communauté d'études & d'idées avoit uni par les liens d'une estime réfléchie,& d'une tendre amitié, plusieurs d'entre nous. On leur a fait un crime d'en être convenus. On nous a sur-tout blâ-[71]més nous-mêmes, & d'autres qui, comme nous, ont acquis dans ce commerce des lumieres qu'ils n'eussent peut-être jamais eues sans lui, de n'avoir pas dissimulé les obligations que nous avions à nos devanciers. Cet hommage offert à des Philosophes éclairés & à de bons Citoyens, par des ames honnêtes, qui ont trop pesé ce que vaut la justice pour ne la pas rendre, en

en toute occasion, à qui elle est due, a révolté l'amour propre de beaucoup de personnes, qui dans le même cas n'eussent pas apparemment tenu la même conduite, & qui en ont ameuté d'autres pour crier : aux Sectaires.

Mais pourquoi voudroit-on, que l'attachement qu'on a pour quelques hommes respectables, fût une raison de ne pas profiter des instructions qu'ils ont réellement données ? Il seroit, fort plaisant que nous n'y eussions fait nulle attention, quand l'Auteur excellent du [72] Livre intitulé, le Rétablissement de l'Impôt dans son ordre naturel, qui n'a aucune liaison avec eux; quand le savant FRANKLIN, qui n'a fait que les entrevoir; quand plusieurs ACADEMIES, quand des Représentants de la Nation, quand les ETATS & le PARLEMENT de Languedoc, quand les PARLEMENTS de Provence & de Dauphiné, ont accepté leur Doctrine,& en font eux-mêmes devenus les promulguateurs. Le Parlement de Toulouse a daigné les vanter aux pieds du Trône (2); celui de Grenoble a pris leur défense des


(2) Voyez la fin de sa Lettre au Roi, du 22 Décembre 1768, qui se trouve imprimée dans notre troisieme volume de cette année.

imputations hasardées (3); & nous nous cacherions d'avoir appris d'eux ce qu'on sait, & ce qu'on voit bien qu'ils nous [73] ont enseigné ! Ces Particuliers illustres que nous venons de citer, & ces Corps si dignes de la vénération publique, sont-ils donc aussi des sectaires? Non, sans doute ; ce sont des hommes sages, des sujets fideles, qui chérissent le bien public & l'humanité, qui voyent la vérité, qui connoissent la justice, & qui sont faits à tous égards pour faire entendre l'une & respecter l'autre.

Qu'avons nous fait de plus que ces citoyens remarquables? Nous avons, comme eux, exposé des vérités qui nous ont paru importantes : & c'étoient précisément celles dont ils ont la même opinion. Nous avons, comme eux, appuyé ces vérités par des calculs & par des raisonnements. Mais en quoi avons nous montré l'esprit sectaire ? Quelle est la maxime utile & louable que nous avons blâmée ? Quel est l'ami de la paix, de l'ordre, de la justice, & de {d} [74] la liberté, qui n'ait pas été le nôtre? Quand


(3) Voyez la note 22 de la premiere édition in-8°. de l'Avis du Parlement de Grenoble, sur la liberté du Commerce des Grains.

nous est- il arrivé de jurer sur la foi d'autrui ? Quand avons nous demandé d'être crus sur notre parole ? Quand avons nous refusé de dire nos raisons & d'écouter celles qu'on y pouvoit opposer? N'avons nous pas au contraire eu le soin le plus marqué, de ne poser jamais un principe sans le faire accompagner de preuves qui le démontrent ? N'avons nous pas cherché de toutes parts des Objections? N'avons nous pas invité tout le monde à nous en proposer ? Ne nous en sommes nous pas proposés nous mêmes, & de plus fortes que personne? Si cette maniere philosophique de chercher la vérité, s'appelle faire secte; qu'on nous dise donc comment on doit se conduire pour ne la point faire ?

Encore un mot à ces séveres ennemis des Sectes. S'il pouvoit en effet s'en élever une, qui regardât [75] tous les hommes comme des freres; qui s'occupât paisiblement & sans cesse à développer leurs intérêts, leurs devoirs & leurs droits ; qui montrât qu'il y a des Loix naturelles, saintes & suprêmes; dont la notion est évidente pour tout être réfléchissant; dont la sanction est visible,

pressante, impérieuse, inévitable ; qui sont antérieures aux conventions & aux Sociétés ; qui ont servi & qui servent de base universelle aux Sociétés & aux conventions. Si cette secte faisoit voir que le sort de toutes les Nations est lié par une chaine indissoluble, & en vertu de ces Loix primitives que nulle puissance créée ne peut anéantir; qu'aucun Peuple ne sauroit nuire à un autre sans qu'il lui en arrive à lui- même perte & dommage, ni lui faire du bien sans en retirer nécessairement du profit ; que les Souverains ne peuvent être grands, puissants, honorés, tran-{d ij}[76]quiles & heureux, que lorsque leurs sujets sont libres & heureux eux-mêmes ; que la justice est le seul chemin assuré de la gloire, de la richesse & de la prospérité ; que l'Instruction générale peut seule manifester l'évidence de la justice, & porter constamment la lumiere qui doit guider les humains; que là où elle fait respecter les Loix que la raison indique, que là où se trouvent [sic] laliberté que la nature donne, & que la Société doit étendre & conserver, & la propriété qui, pour être protégée, a élevé l'autorité souveraine, & qui peut seule en faire les fraix, là aussi nait l'aisance, là

s'étend la culture, là croît la population, là se rencontre la félicité pour tous les Ordres de l'Etat, & sur-tout pour ceux qui sont à la tête ; que là où s'introduisent, à la faveur de l'ignorance, les gênes, les prohibitions, l'esclavage plus ou moins déguisé, là sont aussi la mi-[77]sere, les friches, les déserts, l'infortune, les révolutions, l'état incertain & précaire pour tous les individus dispersés ou mal unis, & sur-tout pour ceux qui semblent devoir répondre du malheur de tous, parceque l'on s'imaginent qu'ils pourroient le réparer ou le prévenir. S'il s'élevoit une telle Secte, qui prouvât méthodiquement toutes ces choses, par compte & par mesure, & qui les fit toucher au doigt; nous avouons qu'elle mériteroit bien d'être haïe, décriée, persécutée, par les méchants, par les usurpateurs du droit d'autrui, par les violateurs de la Loi naturelle, par les Despotes arbitraires, par les Tyrans. Ne mériteroit-elle point aussi l'estime & l'accession des gens sages, des Magistrats vertueux, des Ministres éclairés, des grands hommes d'Etat, des bons Rois ? De tout tems il y eut guerre entre les loups

& les moutons, au désavan-{d iij}[78]tage de ces derniers ; si quelqu'un pouvoit enfin leur montrer à se défendre avec fermeté, avec régle, avec prudence, avec vigueur, avec succès, il n'y a point de doute qu'il en formerait une secte, très redoutable & très préjudiciable aux loups : mais elle seroit bien profitable aux Bergers !