[16] CHAPITRE II. Fondement du prix des choses.
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JAI une surabondance de bled, et je manque de vin : vous avez au contraire une surabondance de vin, et vous manquez de bled. Le bled surabondant, qui mest inutile, vous est donc nécessaire ; et jaurois besoin moi-même du vin qui est surabondant et inutile pour vous. Dans cette position, nous songeons à faire un échange : je vous offre du bled pour du vin, et vous moffrez du vin pour du bled. |
Comment on estime quune certaine quantité dune chose vaut une certaine quantité dune autre. |
Si mon surabondant est ce quil faut pour votre consommation, et que le vôtre soit ce quil faut pour la mienne, en échangeant lun contre lautre, nous ferons tous deux un échange avantageux, puisque nous cédons tous deux une chose qui nous est inutile pour une chose dont nous avons besoin. Dans ce cas, jestime que mon bled vaut pour vous ce que votre vin vaut pour moi, et vous estimez que votre vin vaut pour moi ce que mon bled vaut pour vous. |
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Mais si mon surabondant suffit à votre consommation, et que le vôtre ne suffise pas à la mienne, je ne donnerai pas le mien tout entier pour le vôtre : car ce que je vous céderois, vau-[17]droit plus pour vous que ce que vous me céderiez ne vaudroit pour moi. |
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Je ne vous abandonnerai donc pas tout le surabondant de mon bled ; jen voudrai réserver une partie, afin de me pourvoir ailleurs de la quantité de vin que vous ne pouvez pas me céder, et dont jai besoin. |
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Vous, de votre côté, il faut quavec le surabondant de votre vin, vous puissiez vous procurer tout le bled nécessaire à votre consommation. Vous refuserez donc de mabandonner tout ce surabondant, si le bled que je puis vous céder ne vous suffit pas. |
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Dans cette altercation, vous moffrirez le moins de vin que vous pourrez pour beaucoup de bled ; et moi, je vous offrirai le moins de bled que je pourrai pour beaucoup de vin |
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Cependant le besoin nous fera une nécessité de conclure ; car il vous faut du bled, et à moi il me faut du vin. |
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Alors, comme vous ne voulez ni ne pouvez me donner tout le vin dont jai besoin, je me résoudrai à en faire une moindre consommation; et vous, de votre côté, vous prendrez aussi le parti de retrancher sur la consommation que vous comptiez faire en bled. Par-là, nous nous rapprocherons. Je vous offrirai un peu plus de bled, vous moffrirez un peu plus de vin ; et, après plusieurs offres réciproques, nous nous accorderons. Nous conviendrons, par exemple, de [18] nous donner en échange un tonneau de vin pour un septier de bled |
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Lorsque nous nous faisons réciproquement des offres, nous marchandons : lorsque nous tombons daccord, le marché est fait. Alors nous estimons quun septier de bled vaut pour vous ce quun tonneau de vin vaut pour moi. |
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Cette estime que nous faisons du bled par rapport au vin, et du vin par rapport au bled, est ce quon nomme prix. Ainsi votre tonneau de vin est pour moi le prix de mon septier de bled, et mon septier de bled est pour vous le prix de votre tonneau de vin. |
Cette estime est ce qu'on nomme prix. |
Nous savons donc quelle est, par rapport à vous et à moi, la valeur du bled et du vin. parce que nous les avons estimés daprès le besoin que nous en avons ; besoin qui nous est connu. Nous savons encore quils ont tous deux une valeur pour dautres, parce que nous savons que dautres en ont besoin. Mais, comme ce besoin peut être plus ou moins grand que nous ne pensons, nous ne pourrons juger exactement de la valeur quils y attachent, que lorsquils nous lauront appris eux-mêmes. Or, cest ce quils nous apprendront par les échanges quils feront avec nous ou entre eux. Lorsque tous en général seront convenus de donner tant de vin pour tant de bled, alors le bled par rapport au vin, et le vin par rapport au bled, auront chacun une valeur, qui sera reconnue généralement de [19] tous. Or, cette valeur relative, généralement reconnue dans les échanges, est ce qui fonde le prix des choses. Le prix nest donc que la valeur estimée dune chose par rapport à la valeur estimée dune autre ; estimée, dis-je, en général par tous ceux qui en font des échanges. |
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Dans les échanges, les choses nont donc pas un prix absolu ; elles nont donc quun prix relatif à lestime que nous en faisons, au moment que nous concluons un marché, et elles sont réciproquement le prix les unes des autres. |
Dans les échanges, les choses nont pas un prix absolu |
En premier lieu, le prix des choses est relatif à lestime que nous en faisons ; ou plutôt il nest que lestime que nous faisons de lune par rapport à lautre. Et cela nest pas étonnant, puisque, dans lorigine, prix et estime sont des mots parfaitement synonimes, et que lidée que le premier a dabord signifiée, est identique avec lidée que le second exprime aujourdhui. |
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En second lieu, Elles sont réciproquement le prix les unes des autres. Mon bled est le prix de votre vin, et votre vin est le prix de mon bled ; parce que le marché, conclu entre nous, est un accord par lequel nous estimons que mon bled a pour vous la même valeur que votre vin a pour moi. |
Elles sont réciproquement le prix les unes des autres. |
Il ne faut pas confondre ces mots prix et valeur, et les employer toujours indifféremment lun pour lautre. |
Il ne faut pas confondre les mots prix et valeur. |
[20] Dès que nous avons besoin dune chose, elle a de la valeur; elle en a par cela seul, et avant quil soit question de faire un échange. |
Nos besoins donnent la valeur. |
Au contraire, ce nest que dans nos échanges quelle a un prix, parce que nous ne lestimons par comparaison à une autre, quautant que nous avons besoin de léchanger ; et son prix, comme je lai dit, est lestime que nous faisons de sa valeur, lorsque, dans léchange, nous la comparons avec la valeur dune autre. |
Nos échanges donnent le prix. |
Le prix suppose donc la valeur : cest pourquoi on est si fort porté à confondre ces deux mots. Il est vrai quil y a des occasions où lon peut les employer indifféremment lun pour lautre. Cependant ils expriment deux idées quil est nécessaire de ne pas confondre, Si nous ne voulons pas jeter de la confusion sur les développemens qui nous restent à faire. |