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58 (1) L’Auteur fait ici allusion à deux Ouvrages fait [sic] sur ces matières; l’un par le Comte CASLI, Conseiller d’Etat, Président du Commerce ; & l’autre, désigné sous le chiffre (2), par le Président NÉRI, maintenant établi à Florence. Notes du Traducteur.

59 (3) M. le Comte de * * *. Ministre plénipotentiaire de SA MAJESTÉ Impériale & Royale.

60 (4) Célèbre Milanois. Voy. Moréri & Bayle.

62 (5) Nous pensons que pour avoir une Proposition exactement vraie, il faudroit ici retourner la phrase qu'employe M. le Marquis DE BECCARIA, & dire qu'il ne suffit pas de connoître plusieurs vérités particulières, si l'on n'a aussi une idée très nette de la vérité générale dont elles sont pour ainsi dire des corollaires. En effet, quand dans les Sciences Morales & Politiques on ne connoit pas assez les vérités générales & les principes fondamentaux, ce qu'on appelle des vérités particulières deviennent des opinions isolées qu'on ne peur ni combiner ni juger, & par rapport auxquelles on ne sauroit jamais décider avec sureté si elles sont réellement des vérités, ou si elles ne sont pas au contraire des erreurs spécieuses & funestes consacrées par des préjugés dominants.
Nous sera-t-il permis de dire que la manière d'étudier en ramassant des faits particuliers est mauvaise dans les Sciences Morales & Politiques, quoiqu'elle soit très bonne, & même la seule, dans d'autres Sciences, comme la Botanique, la Chymie, la Physique générale? Nous sera-t-il permis de dire que la tournure que la forme de nos Gouvernements desordonnés a fait prendre à nos études, & au développement de nos lumières, nous a éloigne de la route qui auroit affiné nos progrès dans les Sciences les plus utiles au genre | humain ; dans celles qui constatent quels sont les droits, les devoirs & les intérêts réciproques des hommes réunis en Société ?
Cette ignorance soupçonneuse & cupide, que M. le Marquis DE BECCARIA a si vivement apostrophée plus haut (page 61.) & qui a persuadé trop long tems que le Despotisme arbitraire étoit utile aux Souverains, & qu'il falloir empêcher les Peuples de connoître & de peser leurs intérêts & leurs droits, & de manifester ceux des Dépositaires de l'autorité suprême, nous a contraint de jetter les premiers efforts de notre intelligence vers des Sciences dont nous ne pourrons jamais saisir que quelques branches, parcequ'elles renferment une multitude de parties qui n'ont aucun rapport à nous, & que les organes nous manquent pour acquérir la connoissance de leurs Principes. Nous nous sommes vus obligés d'étudier ces Sciences par parcelles, & de rassembler une multitude immense de faits particuliers pour en tirer quelques conclusions qui nous paroissent des vérités générales. Telle seroit avec raison la méthode d'un Aveugle que l'on chargeroit de faire la Description d'un Palais. Il y mettroit un travail prodigieux, rencontreroit juste quelquefois, & se | tromperoit souvent : mais du moins il ne seroit point en son pouvoir de mieux faire, aussi ne seroit-il pas blamable, non plus que nos Physiciens.
Il n'en est pas ainsi des Sciences précisément faites pour l'homme, qui n'embrassent que des relations à notre portée, & qui ont été destinées par la Providence à nous servir de règles de conduite dans toutes nos actions ; telles que sont les Sciences Morales & Politiques. Nous pouvons posséder ces Sciences dans toute leur étendue, parceque leurs principes fondamentaux, qui sont le droit, le devoir, la Justice essentielle & l'intérêt réciproque, sont de nature à nous devenir très évidents pour peu que nous veuillions réfléchir, & quelquefois même malgré nous. En nous attachant à bien connoître ces principes, & les prenant toujours pour point de départ, nous arriverons facilement & avec la plus grande certitude à leurs conséquences les plus éloignées : une logique invinciblement claire nous y conduit rapidement, par une suite de déductions incontestables. Les diverses ramifications, (si l'on peut ainsi dire) de ces conséquences, ne présentent aucune difficulté pour ceux qui les considerent du côté du tronc | dont elles partent toutes. Mais il est arrivé malheureusement qu'on nous a permis d'être Physiciens, long-tems avant qu'on nous permit de songer seulement aux Sciences Morales & Politiques ; & il en est résulté que la méthode des Physiciens, obligés de prendre par les rameaux quelques portions de connoissances, dont les principes seront à jamais renfermés dans le sein de Dieu, a été pareillement embrassée pour les Sciences économiques, dont Dieu lui-même a placé les principes dans notre sensibilité physique, sous nos yeux & dans nos coeurs. Des hommes de beaucoup d'esprit, mais qui avoit [sic] remarqué que la marche ordinaire étoit d'étudier en tatonnant, se sont eux-mêmes bandé les yeux & se sont mis à tatonner courageusement. Cette méthode égareroit inévitablement les plus grands hommes : nous allons voir dans le moment qu'elle a égaré M. DE BECCARIA ; que pour avoir étudié la Politique par faits particuliers, & guidé par les assertions trompeuses de ceux qui ne l'avoient pas étudiée autrement, il a pris de très minces conséquences pour des principes, & des erreurs très dangereuses pour des vérités générales. Nous ne pouvons trop l'exhorter à quitter une méthode qui le conduiroit | des résultats si peu dignes de sa vigueur de son génie & de la beauté de son ame. Un homme tel que lui, & dans la place importante qu'il occupe, n'est point fait pour ramasser sans choix les opinions reçues. Il ne doit en rien se décider par l'autorité d'autrui. C'est la raison, c'est la nature, c'est la sainte justice, qui a si fortement parlé à son coeur, quand il a composé son Traité des Délits & des Peines, qui doivent seules guider les travaux. il est bon sans doute qu'il lise tous les Ouvrages composés avant lui, mais il doit les juger tous d'après une connoissance approfondie du Droit naturel & de l'Ordre essentiel des Sociétés. Nous osons croire qu'il prendra cette peine, qu'il est digne & capable de prendre, & qu'alors il changera considérablement d'opinion sur beaucoup de points. Ce ne seront pas les Economistes François qui auront à s'applaudir de ce changement salutaire & indispensable, quoique leurs Ecrits puissent y contribuer. Ce sera l'évidence de la vérité & de la justice qui aura frappé une tête faite pour elle & entraîné le consentement d'un homme de bien.

68 (6) Voici la phrase italienne : Cioè concorrenza nel prezzo delle cose, economia della man d'opera, buon mercato nel trasporto, e piccoli interessi del danaro. Il nous paroit qu'elle est traduite littéralement. Si la traduction rend bien le sens de l'original, nous serons forcés d'observer, 1°. qu'on dit très bien la concurrence des vendeurs, la concurrence des acheteurs, la concurrence des fabriquants, des ouvriers, des voituriers, des salariés de toute espece, parceque tous ces gens concourrent effectivement, c'est-à-dire courrent ensemble, & à qui mieux mieux, au même but, qui est d'avoir la préférence. Cette concurrence influe puissamment sur le prix des choses, & elle est très avantageuse au public en toute espèce de Commerce ; mais ce n'est pas une concurrence dans le prix des choses. On ne peut pas employer cette dernière expression, qui n'est d'aucune Langue, & ne présenteroit point de sens.
2°. Quant au bas prix de la main-d'oeuvre, il est en général la preuve de la non-valeur des pro-|ductions territoriales; ce qui est un grand malheur pour un Etat, qu'il réduit à n'être composé que de pauvres manufacturiers, nourris misérablement & précairement par de plus pauvres agriculteurs. Quand on cherche à faire naître ou à entretenir ce bas prix par des prohibitions ou des gênes dans le Commerce des productions, comme il paroît que M. Colbert l'a fait en France dans le siècle dernier, on tombe dans une des plus redoutables erreurs politiques qui ayent jamais appauvri les Nations.
3°. Pour ce qui est du bas intérêt de l'argent, il est sûr qu'il favorise un très grand nombre d'entreprises fructueuses : mais il ne dépend en aucune manière du Gouvernement, il résulte de la rareté des emprunteurs. Les Loix doivent se conformer au taux que les conventions entre les hommes lui donnent; elles ne doivent pas le prescrire; elles ne peuvent l'entreprendre. En fixant l'intérêt plus bas que le cours, elles seroient inexécutées, & enfanteroient arbitrairement des crimes prétendus qu'elles n'oseroient punir.
Il nous semble donc que la phrase seroit plus | digne de M. le Marquis DE BECCARIA, si on pouvoit la traduire ainsi : La concurrence, qui influe sur le prix des choses, en obligeant de mettre plus d'économie dans la main-d'oeuvre, en restreignant les frais de transport, & en conduisant par l'effet de l'opulence générale, & par la rareté des emprunts à baisser le taux de l'intérêt de l'argent. Peut être est ce là véritablement ce que M. le Marquis DE BECCARIA a voulu dire. Nous nous en rapportons aux Personnes à qui la Langue italienne est plus familière qu'à nous.
Il y auroit cependant toujours à observer que le haut intérêt de l'argent n'est pas une preuve certaine de la pauvreté d'une Nation ; que le taux de l'intérêt dépend beaucoup de la tournure des moeurs; que chez un Peuple où les riches aimeroient à couler leur jours dans l'oisiveté, ils se détermineroient facilement à mettre leur argent en rente, pour s'épargner les soins d'administration. Et que si le Gouvernement n'étoit pas emprunteur dans un tel Etat, le taux de l'intérêt y seroit beaucoup plus bas que dans un Pays où l'honneur & le bonheur de posséder des terres seroient l'objet de | l'émulation générale, & où les propriétaires mettroient leur félicité dans les soins si doux & vraiment Patriarchaux qu'exigeroit [sic] l'entretien & l'amélioration de leurs domaines. Car alors ces Propriétaires consacreroient leur opulence à cet emploi fructueux. Les salariés, qui feroient fortune se hâteroient d'employer leurs fonds pour acheter des terres, il y auroit très peu de prêteurs, & le taux de l'intérêt se soutiendroit haut: quoique l'Etat fût incomparablement plus riche que celui dont nous venons de parler, où l'oisiveté des Capitalistes multiplieroit les prêteurs & feroit baisser l'intérêt. (Voyez sur cela la PHYSIOCRATIE, second Volume, pag. 337.)

71 (7) Il y a quinze ans que cette maxime auroit été applaudie généralement. Aujourd'hui qu'elle commence à devenir moins dangereuse, parceque s'il y a encore des Souverains qui balancent à réformer les impôts destructeurs, anciennement établis sur le Commerce de leur Nation, il n'y en a point du moins d'assez peu éclairés pour en instituer de nouveaux, il est triste seulement d'entendre répéter cette prétendue maxime qui a pro-|duit tant de maux, à un Philosophe, à un Professeur illustre, chargé par état de refuter les erreurs politiques, & d'y substituer la connoissance de vérités utiles.
Mais il faut remarquer que dans un premier Discours du premier Professeur qu'on institue sur une matière qui n'est encore éclaircie que depuis peu de tems, & qui ne l'est suffisamment que pour les Savants d'un Pays étranger, on doit pardonner beaucoup de choses qui n'entreroient pas dans un Ouvrage plus réfléchi, ni dans les Leçons que ce Professeur aura eu ensuite le tems de méditer, après avoir lu les bons Auteurs qui ont traité à fonds [sic] les sujets sur lesquels doivent rouler les instructions qu'il est chargé de répandre. Vu les préjugés qui n'a gueres existoient encore, la fondation d'une Chaire d'Economie politique est une chose si belle, si noble; & qui suppose tant de lumières préalables, qu'on pouvoit ne pas se permettre de croire qu'elle eût lieu sitôt. C'est un des traits de bienfaisance héroïque & philosophique, par lesquels SA MAJESTÉ L'IMPÉRATRICE REINE a surpassé ce qu'on pouvoir attendre de son siècle, & prevenu les voeux de ses sujets & du genre humain. Ces actes sublimes, où la Souve-|raineté des Princes se manifeste comme celle de Dieu, par des bienfaits inattendus, ont jusqu'à présent été malheureusement assez rares, pour qu'on soit excusable de ne les pas présumer. Il est donc très naturel que M. le Marquis DE BECCARIA ne se soit pas préparé d'avance à l'emploi distingué que son AUGUSTE SOUVERAINE lui destinoit & dont son coeur & ses talents étoient dignes. Autre chose est de faire un Livre intéressant par une Philosophie courageuse & sensible ; autre chose est d'avoir tout- à-coup à donner des Leçons sur des Sciences presque neuves ; il ne faut point dans cette seconde carrière juger trop sévèrement un homme de mérite d'après ses premiers pas M. le Marquis DE BECCARIA, avec un peu plus de tems & de réflexion, ne balancera point sans doute pour abandonner l'idée d'encourager l'industrie par la combinaison des droits d'entrée & de sortie, qui sont, dans tous les cas, le fléau de l'industrie.
Il ne peut s'empêcher de sentir déja combien ces droits sont onéreux & redoutables en eux-mêmes, puisqu'il voudroit qu'on diminuât ceux d'entrée des matières premières, & ceux de sortie des matières mises en oeuvre. Mais pourquoi se borner à diminuer des droits qu'on reconnoît pour | dangereux ? Ne seroit-il pas plus court, & plus simple, & plus conséquent, & plus sage de les détruire entièrement? N'a-t-on pas toujours trop des choses nuisibles ? Pourquoi les conserver en partie ?
Si les droits de sortie, comme M. DE BECCARIA l'a senti, & comme l'évidence le crie, mettent un obstacle funeste au Commerce des Ouvrages des Manufactures, pourquoi faudroit-il les aggraver sur la sortie des matières premières, qui sont les productions du territoire, & les Ouvrages de la plus riche manufacture de tout Etat? L'agriculture, seule base de tous les travaux, & source unique de toutes les richesses, mériteroit - elle donc moins d'encouragement que les stériles travaux de la main-d'oeuvre ?
Quoi! la nature vous donne un territoire dont la culture feroit subsister votre Peuple dans l'aisance, & nécessiteroit & soudoyeroit une foule innombrable de travaux, & vous voulez décourager cette culture, en gênant par des droits de sortie aggravés, & par l'inquisition, & par les frais énormes qu'ils entrainent, le Commerce de ses productions ? Et quand l'avilissement du prix de vos denrées vous aura contraint d'abandonner | l'exploitation des terres médiocres, qui auparavant cet avilissement ne rendoient que les frais ; & quand la diminution de la recette annuelle des Cultivateurs les aura forcé de restraindre leurs dépenses productives ; & quand sur de moindres produits vos Propriétaires qui auront de plus foibles revenus, ne pourront plus salarier le même nombre de travailleurs en tout genre; & quand votre culture dégradée ne fournira même plus de quoi les nourrir & les vêtir, vous croirez être bien dédommagé, parcequ'au moyen de quelques manufactures ingénieuses, vous aurez mis à la solde de l'Etranger, quelques uns de ces malheureux, que vous ne pourrez plus soudoyer vous même. Car ne vous faites pas d'illusion sur la quantité d'ouvrages de vos manufactures que vous pourez [sic] exporter, sur-tout avec des droits de sortie, à quelque point que vous ayez diminué ces droits. Les seuls ouvrages très recherchés & d'un très haut prix, qui renferment une grande valeur sous un petit volume, qui par conséquent ne seront propres qu'à un très petit nombre de consommateurs, pourront supporter la dépense des frais de transport & se vendre encore chez l'Etranger. Vous débiterez quelques bijoux, den-|telles, quelques étoffes d'or. Mais l'Etranger fera toujours faire chez lui ses bâtiments, ses meubles communs, ses habits, ses souliers, ce qui forme la branche la plus considérable à tous égards des travaux de l'industrie ; & cependant vos Agriculteurs, vos Propriétaires, votre Peuple, appauvris par l'état de ruine où vos gênes sur le Commerce des matières premières auront plongé votre agriculture, laisseront dégrader leurs maisons, porteront des lambeaux au lieu d'habits, s'accoutumeront à marcher nuds pieds ou avec des sabots.
L'industrie la plus profitable est celle qui n'a pas besoin d'aller chercher au loin des consommateurs ; c'est celle qui nait d'elle-même, à côté d'une agriculture florissante. Voilà celle que vous sacrifiriez aux branches parasites que pourroit vous procurer votre combinaison artificieuse des droits d'entrée & de sortie. Les instruments formés avec les débris de la charrue ne peuvent jamais fabriquer que les malheurs de l'Etat.
Je veux que vous ayez réussi au gré de vos désirs, à substituer le tour & la lime au coutre, la navette & l'aiguille à la herse, &, ce qui est impossible, que la vente de vos colifichets, (car, je le répete, en ouvrages de l'industrie vous ne ven-|drez à l'Etranger que cela;) que la vente, dis-je, de vos colifichets compense les pertes énormes que vos droits de traite vous auront occasionnées, qu'aurez vous fait? Vous aurez rassemblé une foule d'hommes qui existoient auparavant dispersés sur votre territoire, & qui le fécondoient; vous aurez livré à la contrainte des atteliers, aux jalousies de métier, à la vie sédentaire & mal saine, à la corruption physique & morale des Villes, des Citoyens, des Peres, des Meres de famille, de jeunes Enfants, qui sans vos soins perfides eussent vécu paisibles, robustes & vertueux, au sein de la très noble & très libre agriculture, ou des arts simples, qui n'exigent pas une si grande cumulation d'hommes, & qui suivent par-tout l'aisance que l'agriculture produit. Vous les avez rassemblées ces malheureuses victimes, pour les immoler les unes après les autres, sur les Autels inconstants de la mode, pour en vouer une partie à la misère & à la mort, à chaque variété nouvelle dans les fantaisies qui décrédite quelques branches de leurs travaux. Voyez les Pays de manufactures de luxe ; voyez ceux où l'on a voulu forcer la Nation à se livrer, outre ce que lui auroit prescrit la nature, aux travaux précaires de la fabrication, ce sont ceux où | l'on trouve le plus de Pauvres, & où les murmures insensés, les émeutes populaires, les séditions sont le plus ordinaires ; parceque c'est-là que beaucoup de besoins réels se trouvent joints à l'ignorance, à l'impatience, à la présomption citadines, qui pensent, sans réflexion, que tout doit leur être sacrifié. Il y a six mois que la populace de Lyon bruloit les Ecoles de Médecine & même celles de Dessein, en haine de l'Anatomie qui montre à soulager ses maux. Presque dans le même tems, celle de Rouen pilloit des bateaux chargés de bled, & ruinoit des Marchands qui lui apportoient du pain. En Angleterre, où l'on a aussi voulu être les Manufacturiers universels, où l'on a mis des droits d'entrée & des droits de sortie, tels que ceux qu'on demande ici, où l'on a défendu l'exportation des laines brutes, &c. &c. la taxe pour les pauvres est environ le tiers de l'impôt annuel, & égale à peu près le dixième du produit net du territoire; outre cette taxe, il y a une foule de fondations qui se montent à des sommes immenses; nulle part il n'y a tant de pauvres, nulle part ils ne se portent à de plus grands excès. Il est fréquent de les y voir taxer les denrées au marché, & insulter l'autorité provocatrice de la liberté & des droits de propriété.
Forcés d'abréger, nous passons par-dessus la séduction que des Manufactures recherchées, destinées à fournir l'Etranger, exercent sans cesse sur la Nation chez laquelle elles sont placées, & qui dans le vrai consomme presque tous leurs Ouvrages. Nous ne nous arrêtons point aux dangers de la mauvaise tournure que ces piéges de la vanité frivole donnent aux dépenses & aux moeurs ; nous nous souvenons pourtant avec douleur, d'avoir vu dans le Lionnois, des Paysannes nourries de mays & de patates, avec des parements d'étoffe d'or. Mais en supprimant la moitié de ce que nous aurions à dire, nous en avons peut-être assez dit pour faire voir à un Philosophe aussi pénétrant que M. le Marquis DE BECCARIA, que chercher à rendre un Peuple plus manufacturier que la liberté & l'instruction ne le conduiroient à l'être, c'est prendre exactement la Politique à rebours.
C'est encore la prendre à rebours, & s'il étoit possible d'une manière encore moins réfléchie & plus injuste & plus cruelle que de vouloir étendre la tyrannie de ses Règlements sur le Commerce des Peuples voisins, de surcharger leurs marchandises de droits, de prétendre attirer exclusivement à soi ce qu'on regarde comme les sources de 1'o-|pulence, de fonder l'espoir de sa richesse sur l'appauvrissement d'autrui : vil projet de brigands, combiné par des aveugles.
Comment n'a-t-on pas vu qu'il falloir être deux pour commercer ? Comment n'a-t-on pas vu qu'avec de pauvres voisins on ne feroit qu'un pauvre commerce ? Comment a-t-on pu réunir le projet de vendre beaucoup & constamment aux autres, Peuples & celui de les priver le plus qu'on pourroit des moyens de payer ? Comment des génies philosophiques ont-ils adopté ces erreurs contradictoires, & nous forcent-ils de leur faire des observations qui paroitront triviales au dernier de nos Lecteurs ordinaires ?
A un but absurde on a marché par des moyens insensés. On a cru faire payer à l'Etranger au moins une partie des droits d'entrée & de sortie dont on a hérissé les frontières. On n'a pas songé que l'étranger ne pouvoit jamais ni rien acheter ni rien vendre qu'au prix fixé par la concurrence des vendeurs & des acheteurs de toutes les Nations ; que pour lui pouvoir acheter quelque marchandise, il faut la lui payer tout ce que d'autres la lui auroient payée; que si l'on met en outre un droit d'entrée sur cette marchandise, il est donc en en-|tier à la charge de la Nation qu'il l'a établi ; que de même, & par la même raison, quand on a quelque chose à lui vendre, il ne s'informe point si elle a payé ou non de grands droits de sortie, & à qualité égale, il donne le même prix de celle qui a été franche, que de celle que l'impôt a surchargée; que cet impôt est donc encore en entier à la charge du Peuple chez lequel on l'a institué. On n'a pas pensé que par son essence un tel impôt est sans règle, qu'il est égal pour les productions de même espèce, soit que ces productions ayent été recueillies dans des terroirs où la nature les donne pour ainsi dire, ou dans d'autres plus ingrats qui les font acheter par des dépenses excessives. Soit qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas dans leur prix une portion qui forme un produit net & imposable ; soit qu'elles ayent ou n'ayent pas déja acquitté d'avance tout l'impôt qu'elles peuvent payer; les vendeurs de la premiere main se trouvent toujours frustrés d'une portion du prix qu'ils auroient naturellement dû recevoir. Cette perte ne se fait pas seulement sentir sur les productions & les marchandises exportées, elle s'étend nécessairement sur le prix de toutes celles de même espèce qui se consomment dans l'intérieur de l'Etat : car, | le prix de l'exportation règle toujours celui de la consommation intérieure, à la seule différence des frais de transport. Il ne peut pas être plus haut; s'il l'étoit, tout le monde voudroit exporter, on ne vendroit plus dans l'intérieur. Il ne peut pas être plus bas ; s'il l'étoit, tout le monde vendroit dans l'intérieur, personne n'exporteroit, & le commerce extérieur seroit anéanti. Toutes les productions du territoire de même espèce que celles soumises aux droits de sortie, se trouvent donc diminuées de prix. Delà le découragement & la dégradation de l'Agriculture, dont nous avons parlé plus haut. Delà tous les desordres intérieurs, dont nous avons trop légèrement esquissé la peinture.
Bientôt à ces desordres sourds il se joint des malheurs plus apparents. Les Nations isolées au sein des barrieres dans lesquelles elles se renferment, s'accoutument à la jalousie réciproque & inconsidérée. Elle [sic] ne voyent dans leur Commerce à demi étouffé, que les salaires de ses Agents. Elles oublient presqu'entièrement les avantages du débit & des échanges qui le constituent. Au lieu de traiter ensemble, comme des Propriétaires de terres vastes, & fécondes, qui en retirent des productions de divers genres, & qui peuvent & doivent s'être réci-|proquement utiles par la fourniture alternative &mutuelle de ce qui manque à chacun d'eux, elles négligent cet avantage immense pour se disputer servilement la préférence des commissions, ainsi que le fait, au coin des rues, la dernière classe du Peuple des grandes Villes.
Cependant l'accroissement de la richesse d'un Etat qu'on administre en Propriétaires qui veulent améliorer leur patrimoine, n'a point de bornes connues. Les salaires qu'on peut donner aux commissions sont au contraire très limités par leur nature & le deviennent d'autant plus, que la Politique exclusive appauvrit plus les Empires. Plus ces salaires se restraignent, & plus la rivalité des Peuples, qui courent après, dégénère en animosité & en haines. Les guerres de Commerce, dans lesquelles on ne sait qui l'emporte de la démence ou de la barbarie, ensanglantent la terre & les ondes. L'épuisement de la richesse de tous les Etats belligérants, force seul les canons à se taire. On réforme les armées de guerriers, mais la paix n'est pas faite pour cela. D'autres armées moins respectables & plus funestes, forment un cordon autour des frontières, pour y rançonner le Commerce, & pour y fusiller les téméraires qui osent fournir à chaque | nation les choses dont elle a besoin, au prix qui lui convient le mieux. Quelques uns de ces agens du Commerce opprime, insubordonnés il est vrai, mais secourables, succombent à la frayeur, ou cèdent à la Majesté du nom qu'on employé contre eux, ils le laissent arrêter ; & le plus doux, & le plus sensible des hommes, & M. le Marquis DE BECCARIA, les auroit condamnés aux galères, quand il a composé son traité des Délits & des Peines.
Homme respectable & tendre, c'est cette erreur que nous regardons comme le plus sur garant des efforts que vous ferez pour l'expier! Oui, oui vous combattrez jusqu'à votre dernier soupir pour des principes plus justes & plus humains. Le tourment d'un sage, tel que vous, seroit de penser que ses talens égarés par son zèle auroient pu contribuer au malheur du monde, & à celui d'un grand nombre d'individus qui ne l'auroient pas mérité. Si vous laissiez approcher le terme de vos jours sans démontrer de mille façons combien la liberté entiere & générale du commerce seroit utile, & doit être sacrée dans tout pays, votre raison, trop tard éclairée, vous livreroit aux remords dévorants. Vous croiriez sans cesse entendre à vos côtes un Galérien | secouant ses chaines, & vous criant d'une voix effrayante : " Philosophe, qui conseilles les Rois ; toi sur l'avis duquel ils m'ont banni de la famille sociale, & chargé d'opprobre & de fers ; avant de les induire à prononcer des decrets si terribles, as tu pesé ce que valoit la liberté de l'homme ? As-tu seulement considéré ce qu'elle est de sa nature & qu'elle doit être ? As-tu examiné si ce sont les loix qui l'ont établie, ou si plutôt ce n'est pas pour la maintenir que toutes les sociétés ont établi des loix? As-tu consulté la justice, souveraine impartiale & commune des Souverains & des Peuples ? As-tu remonté à la notion primitive & claire du droit, contre lequel les erreurs des Ordonnances positives ne peuvent jamais acquérir de prescription ? As-tu songé que le Dieu qui nous soumit aux besoins & au travail, qui nous donna la sensibilité physique, & la compassion & l'amour, qui nous força de nous chérir nous mêmes & nos proches & nos femmes & nos enfans, nous a imposé en naissant la loi suprême de faire leur bien être & le nôtre sans nuire à autrui ? Voilà le seul délit reconnu par la conscience & par la raison, nuire à autrui ou l'empêcher, | d'obéir à la loi générale & divinement impérieuse, qui prescrit à chaque individu de faire son sort le meilleur possible, sans usurper sur les droits de ses semblables, lesquels, ont comme lui, reçu la même loi de leur nature. La liberté du commerce & des travaux ne s'oppose point à cette loi sacrée, elle en est au contraire l'exercice naturel ; par cela même, qu'elle est liberté & que tous ses actes résultent du consentement volontaire de tous les contractans. Elle ne peut donc jamais renfermer de délit. Je n'ai fait que jouir de cette liberté, j'ai acheté à ceux qui ont trouvé du profit à me vendre; j'ai vendu à ceux qui m'ont donné la préférence. Pourquoi donc me fais-tu traiter comme un homme coupable des plus grands forfaits ? La justice dépend-elle de ton jugement arbitrairement hasardé? Mortel, que j'ai cru bon, es tu donc aussi de ceux qui forgent des crimes à leurs pareils, pour avoir le plaisir atroce de les punir ? . . . Tu veux m'interrompre, arrête. Tu prétends que mon commerce exercé librement, nuisoit à celui des autres, Marchands, nationaux comme moi, qui en différens tems ont été privilégiés. Mais ces Mar-|chands, on a la date de leurs priviléges. Celui qui donne à tous les hommes la liberté du commerce & du travail, est d'une antiquité plus reculée, il fut scellé par une autorité bien supérieure ; l'Arbitre éternel de la nature en fit don au premier être de l'espèce humaine. Celui-ci le transmit à ses descendans avec les propriétés physiques & morales, qui le leur rendent nécessaire, & qui leur en assurent le droit. C'est 1'usage de ce droit naturel qui a fait prospérer les premieres associations, & qui les a conduit au point où la multiplicité des hommes & l'inégalité nécessaire des fortunes & des moyens, exigeoient pour le maintien même de ce droit, l'établissement d'une autorité supérieure & tutélaire, qui garantit à chacun la libre disposition de ses facultés, & la propriété entiere des choses acquises par leur emploi licite. Dès leur institution solemnelle, les Souverains n'ont donc eu avec la liberté du Commerce, d'autre rapport que celui de Protecteurs nécessaires. C'est sur cette qualité bienfaisante qu'est fondée leur autorité. C'est elle qui motive la soumission qui leur est due. Si depuis, des Marchands ont trouvé le moyen d'é-|garer assez le zèle de cette autorité pour en obtenir des privilèges qui restraignent les droits de leur Concitoyens, ce sont ces Marchands, & leurs Avocats, & leurs Patrons, qui ont désobéi à la Loi naturelle; ce sont eux qui ont employé la sédition & la force pour violer les conditions du pacte social; ce sont eux qui ont commis un délit très grave, qu'il auroit fallu réprimer & punir.
On dit que tu as fait imprimer qu'en facilitant à mes Concitoyens le débit des productions de leur territoire, & en les fournissant des marchandises dont ils avoient besoin à un prix modéré, que les droits d'entrée & de sortie avoient prohibé, je volais le Fisc public. Avant de te livrer à cette accusation, dont je suis la victime, il auroit fallu examiner si des impôts qui, comme les droits d'entrée & de sortie renchérissent les dépenses & restraignent les moyens de dépenser; si des impôts qui, comme les droits d'entrée & de sortie privent les productions de leur prix naturel, qui enlevent à la culture le profit qui en est l'objet, qui diminuent la totalité des récoltes & la valeur de chacune de leurs parties, qui par conséquent anéantissent doublement le produit net que ces | récoltes devroient fournir, & la portion que le Souverain en devroit retirer; si de tels impots ne sont pas les premiers voleurs du Fisc public, les premiers ennemis de la puissance du Prince, & de la prospérité de la Nation. On assure que d'autres Philosophes, tes confreres, ont démontré avec la plus grande évidence que les droits d'entrée & de sortie produisoient nécessairement tous ces désordres funestes. S'ils ont raison, comme je le crois, loin d'avoir volé le Fisc en usant du droit que la nature m'a donné à la liberté du Commerce, j'ai contribué à la formation du revenu public & j'ai favorisé son accroissement, en contribuant à la bonne valeur & favorisant le débit des productions du Pays, qui sont la base de tout revenu. J'ai donc servi réellement l'Etat. Je ne suis donc pas criminel. Ce n'est pas cependant que je ne puisse être blamable ; car, j'avoue que j'ai manqué à la subordination: C'est une espèce de désordre auquel la misère m'a forcé. Il ne m'appartient pas de décider jusqu'à quel degré une Ordonnance nuisible à la Société & au Souverain, que celui-ci n'a pû prononcer que par erreur, & que les Magistrats n'ont pû adopter que par l'effet d'une | ignorance d'autant plus criminelle, que le devoir & les droits de leur ministère leur prescrivent de s'éclairer & de n'être pas ignorants, est & doit être obligatoire pour les hommes que ses mauvais effets ont plongé dans l'infortune. C'est une question délicate que je laisse à discuter aux Philosophes, comme toi. Peut-être devez vous y penser : mais vous devez bien plus encore répandre tant de lumières sur l'Ordre social & sur les Loix naturelles qui en sont la base, que les Souverains ne soient plus exposés au malheur de voir leurs bonnes intentions séduites par ceux qui sollicitent de telles Ordonnances. Voilà la tâche des hommes habiles & studieux ; voilà la tienne. Jusqu'à ce que tu ayes employé toutes tes forces à la remplir, Dieu te demandera compte, ainsi qu'à tes pareils, des erreurs des puissants & des souffrances des foibles, que vos talents pouvoient & devoient prévenir on diminuer. Tu répondras comme eux, au Tribunal de sa Justice suprême, de mes fatigues, de mes maux, de mon affreux & long desespoir."

90 (8) (Cette Note est celle dont le renvoi se trouve à la page 81, & l'objet principal aux pages 78 | & 79.) Avant de quitter ces Maximes, nous remarquerons que l'argent n'est pas un signe uniquement représentatif; qu'il est de plus un gage intermédiaire, entre les ventes & les achats; qu'il a par lui-même une valeur usuelle, comme un métal propre à beaucoup d'usages, & que son incorruptibilité rend précieux ; que sa rareté ajoute au prix de cette valeur usuelle & en augmente la valeur vénale; & que cette valeur vénale, qui en fait un gage assuré de remplacement en toute autre production, lui donne la propriété de completter en quelque façon le payement : ce qu'un simple signe uniquement représentatif ne pourroit faire. Les Politiques modernes avoient attaché beaucoup trop d'importance à l'argent, qu'ils avoient regardé très ridiculement comme objet principal dans le Commerce. Il est fort sage de revenir de leurs préjugés, mais pour mettre l'argent à sa place véritable, il faut partir de ses propriétés physiques.

91 (9) Il nous semble que la connoissance de toutes ces particularités ne peut pas suppléer celle de la justice & du droit naturel, & que la connoissance de la justice qui suppose celle du droit na-|turel, peut au contraire suppléer très complettement celle de tous ces faits particuliers. La chose nous paroît même fort heureuse, car la plupart de ces faits sont impossibles à bien connoître, surtout quand on veut les embrasser tous comme M. DE BECCARIA le propose.
Nous l'avons déja dit, (note 5, p. 63 & suiv.) en se chargeant la tête d'un nombre si prodigieux de faits heterogenes, on s'expose à perdre au travers du cahos qu'ils forment, le fil des principes qui doivent servir à juger ces faits quand on les rennontre [sic], & épargner la peine de courir après.
Que dit la justice au sujet de l'administration du commerce ? Elle dit que tout homme a le droit de le faire comme il l'entend ; parceque le commerce entre les hommes étant par sa nature une suite d'actes de gré à gré, il ne renferme rien qui porte le caractere d'usurpation sur le droit d'autrui ; & que l'administration n'étant instituée que pour prévenir les usurpations & réprimer les usurpateurs, elle n'a le droit d'empêcher relativement au commerce que ceux qui veulent empêcher les autres.
Que dit la politique? Elle dit qu'en laissant faire | tout le monde, comme tout le monde en a le droit, on est sûr d'arriver sans peine au résultat qu'on chercheroit très péniblement & très inutilement, en multipliant les réglements. Car quoique l'administration ne puisse pas savoir tous les faits qui doivent décider de toutes les opérations des particuliers, cela n'empêche point que chacun de ces particuliers ne soit personnellement très éclairé sur le petit nombre de faits qui concernent ses opérations ; & l'on peut se fier à eux du soin qui les porte à l'être, car leur fortune y est attachée. Quand l'administration laisse faire chacun selon son intérêt, elle peut donc s'assurer que tout sera bien fait, & à tems. Les hommes n'ont pas besoin qu'on les contraigne pour faire leur propre avantage. Dans les affaires particulières, ils savent toujours mille fois mieux que l'administration en quoi consiste cet avantage : celle-ci n'est donc pas obligée de le chercher pour eux Il suffit qu'elle favorise les savants qui répandent des lumières sur l'intérêt des hommes & sur les arts, qu'elle encourage les inventions méchaniqucs qui épargnent à profit le travail & la dépense, & qu'elle réprime vigoureuse-|ment les tentatives de ceux qui veulent priver les autres de la liberté de leurs facultés & de l'usage des choses dont ils sont propriétaires.
Pour remplit cette derniere & principale fonction de son ministère, il suffit encore en laissant à tout le monde le droit de réclamation publique, d'attendre que les plaintes fassent connoître le délit. Car le mal dont personne ne se plaint, ne vaut pas la peine que le Gouvernement s'en occupe. Quand il y a plainte publique, que les défenses ont été entendues publiquement, & que la liberté générale des discussions a laissé le champ libre à tous les intervenants, le droit naturel & la justice ont bientôt prononcé l'arrêt par la bouche de l'autorité.
Il n'y a que dans les mauvais Gouvernements qu'il seroit nécessaire que l'autorité fût déposée entre les mains d'hommes fort laborieux, fort instruits & d'un génie très supérieur. Alors le sort de la Nation est attaché à celui d'un individu. L'Etat languit ou périt quand le grand homme est expiré. Mais ce à quoi toute politique doit tendre, & ce que l'étude du droit naturel devenue bien générale pro-|duiroit toute seule, c'est que le Gouvernement soit constitué de manière que tout homme honnête & connoissant les règles de la justice par essence, puisse administrer les affaires publiques avec la plus grande gloire & le plus grand succès, en n'y employant qu'un travail très modéré.
Il est certainement bien plus sage, & il doit être bien plus utile de mettre l'art de régir les Nations à la portée des hommes ordinaires, que de le compliquer de manière qu'il faudroit fabriquer des Anges pour en faire des Administrateurs. On a jusqu'à présent employé la seconde méthode, & l'on s'en est souvent mal trouvé. Il n'en a couté pour inventer la première, que de remonter aux principes de la Justice, qui embrassent tous les résnltats [sic] de l'intérêt.

97 (10) A cette idée grande & sage de l'influence que la Science de l'Economie politique doit avoir sur la Jurisprudence particulière, nous reconnoissons le génie Philosophique qui a mérité à M. DE BECCARIA, l'estime & l'admiration de son siècle.
On entend très bien ce que vent dire la fin de la phrase : Interpretando i casi, dubbj ed incerti, la legge interminabile dell' utile, e le norme eterne dell' equità universale, tutte stabilite sulle Massime della publica Economia. Elle nous paroit rendue fidèlement dans la Traduction, & l'on y remarque assez combien l'illustre Professeur est frappé de la liaison qui se trouve entre les règles de la Justice, la Loi de l'utile, & les Maximes de l'Economie publique. Nous croyons cependant qu'il seroit à desirer que les membres de cette phrase fussent transposés, & qu'ils eussent plus de développement, 1°. Parceque les règles éternelles de la Justice ne sont certainement pas fondées sur les Maximes de l'Economie publique, dont elles | sont au contraire le fondement solide & nécessaire. 2°. Parceque l'idée de l'utile, quand elle n'est pas assez complettement détaillée, peut conduire, & a effectivement conduit à de grands écarts, & à de pernicieuses erreurs. Les Nations se sont fait, à elles-mêmes & réciproquement, une infinité de maux, dans la vue, mal saisie, de leur utilité. L'idée de l'utile peut, à des esprits ignorants, paroître souvent en contradiction avec les règles de l'équité. Il ne faut donc pas les présenter sans explication sur la même ligne ; car on risqueroit, sur-tout relativement à l'Economie publique, de rencontrer des gens peu scrupuleux, qui se tromperoient comme THÉMISTOCLE, en trouvant qu'on leur propose la chose la plus utile & la plus injuste, & qui auroient la foiblesse de balancer sur le choix. Ces gens auroient grand tort sans doute, mais il faut beaucoup de lumières pour se convaincre qu'il n'y a d'utile que ce qui est juste. M. le Marquis DE BECCARIA en est surement bien convaincu : cela ne suffit pas: il est digne de lui, de faire passer le même sentiment dans l'ame de ses Lecteurs, avec tout l'éclat de l'évidence dont la vérité qui en est l'objet est sus-|ceptible ; & après leur avoir appris à ne chercher l'utilité que dans la justice, il faut encore leur montrer à discerner en toute occasion ce qui est juste.

101 (11) On ne peut qu'applaudir à cette tirade sublime, qui suffiroit pour prouver combien M. DE BECCARIA est digne à tous égards de l'emploi qui lui est confié, quand il n'en auroit point donné d'autres preuves. Il n'a plus qu'un pas à faire pour sentir que le Commerce extérieur ne doit pas être administré dans d'autres principes que le Commencement [sic] intérieur ; qu'il n'y a entr'eux aucune différence réelle, puisque l'un & l'autre consistent dans le débit qui se fait des productions des marchandises, par le moyen de l'échange ; qu'il seroit également ridicule & injuste, à l'extérieur comme à l'intérieur, de vouloir gêner la circulation des denrées par des droits sur leur transport; d'arrêter les opérations rapides & pressantes du Commerce par les procédures lentes & symétriques qu'entrainent les droits d'entrée & de sortie ; | d'imaginer enrichir un Etat en resserant les dépenses des particuliers riches, entre un certain nombre de fournisseurs privilégiés nationaux, en desséchant les sources de l'industrie, en émoussant l'aiguillon du travail, en éteignant l'espoir d'une meilleure condition, par les obstacles que des impositions onéreuses opposeroient au Commerce extérieur, à sa réciprocité nécessaire, à la facilité des retours, à celle des paiements qu'on voudroit obtenir de l'Etranger ; & enfin, de soumettre les marchandises ouvrées à une discipline monastique, en vertu de laquelle, avant d'acheter une pièce d'étoffe, il faudroit se faire représenter l'Extrait de Baptême du Fabriquant, & la preuve de son domicile sur une Paroisse du Pays.

104 (12) Del ruvido Agricoltore. Il paroit qu'en continuant son ironie, M. de BECCARIA parle ici de l'Agriculteur en employant à dessein l'épithette qui lui seroit donnée par les indolents orgueilleux dont il vient de parler. Il est vrai que quand l'Agriculteur seroit grossier, il n'en seroit pas moins laborieux & utile, & par conséquent beaucoup plus respectable que les hommes de tout rang qui ne sont ni l'un ni l'autre. Mais il faut bien se garder de croire delà, que la grossièreté soit un attri-|but de l'Agriculture. Au contraire, dans les cantons où quelques bonnes institutions, ou quelques circonstances heureuses, ont permis aux, Cultivateurs de connoître l'aisance, ils font toujours simples, parceque leurs travaux vraiments [sic] grands & nobles entretiennent la simplicité de l'ame, mais. ils sont instruits & honnêtes, & nullement grossiers. Lorsque dans un Pays on voit les vertus des Agriculteurs enveloppées dans une écorce rude &grossière, il en faut conclure & que ces Agriculteurs sont pauvres, & par conséquent que le Pays est mal gouverné.

108 (13) Il nous semble que cette dernière phrase n'est | point exacte. Nous croyons que dans le commencement des Sociétés, les hommes n'ayant les uns avec les autres que des rapports très simples mais très nécessaires, étoient fortement sensibles à l'attrait & à l'utilité de la concorde & des secours réciproques, & facilement guidés par la notion de la justice. Alors. tous les biens de chaque individu étant très bornés, pouvoient facilement être sous sa garde directe. Personne n'auroit pû attenter à la propriété d'autrui, sans s'exposer évidemment à un combat dangereux & à des représailles funestes. Le champ étoit libre pour les recherches de ceux qui vouloienr acquérir sans risque & sans injustice. Il n'y avoit donc point d'intérêt à attaquer les droits de ses semblables. Bien loin delà, il y avoir un intérêt très évident à s'assurer leur bienveillance & leurs services, en retour de la bienveillance qu'on leur temoigneroit, & des services qu'on pourroit leur rendre. Les travaux utiles à chacun ne pouvoient manquer de réussir mieux, quand l'union des forces & de l'intelligence de tous en faciliteroit le succès. Tour cela étoit très manifeste pour tous, & par conséquent ces | associations primitives devoient naturellement & sans effort se conduire d'une manière très conforme à l'ordre le plus juste & le plus avantageux.
Le Peuple Chinois, le seul qui ait constamment eu soin de faire manifester par l'instruction perpétuelle dans la Société formée, les principes, les droits & les intérêts dont l'évidence avoir assuré les progrès de la Société naissante, a resté le plus fidèlement attaché à l'observation de l'ordre naturel des Sociétés, & il s'est élevé à un dégré de prospérité constante, & supérieure à celle que toutes les autres Sociétés ont pû connoître.
Celles-ci, chez lesquelles les établissements, propres à instruire sans cesse tous les hommes de leurs intérêts mutuels, de leurs droits & de leurs devoirs, ont été ou négligés, on détruits, ou corrompus, se sont bientôt égarées; la complication occasionnée par une infinité de faits mal connus a rendu l'expérience incertaine, les droits équivoques, les devoirs inexactement remplis les intérêts réciproques violés de mille façons. Tous ces maux ont été la suite nécessaire de l'ignorance. Par eux la route de l'ordre est devenue impossible à découvrir pour | ceux qui voudroient la chercher au milieu de la multitude des faits particuliers; & facile à reconnoître, seulement pour ceux qui remontent aux idées primitives, & aux principes simples & physiques de la formation & du maintien des corps politiques.

112 (14) Si les hommes trafiquoient des denrées nécessaires à la vie, ils ne se les arrachoient point des mains à force armée : car aucun acte ne seroit plus contraire au trafic. Il n'est pas vrai que dans le commencement des Sociétés, les hommes ayent été ainsi en guerre les uns avec les autres. Cela n'est même pas possible, car une telle conduite eut été contraire à leur avantage & à leur nature, & les auroit conduit à leur destruction totale.. Tous les Peuples sauvages sont très doux avant que d'avoir été offensés. Nous n'avons point trouvé la guerre parmi eux; nous l'y avons semée en les séduisant, en les trompant, en leur persuadant que leurs voisins vouloient leur nuire, en leur nuisant nous-mêmes, en cherchant à les réduire en esclavage par leurs propres mains. Un des devoirs des Philosophes est de ne point calomnier la nature humaine, en lui attribuant dans sa simplicité, les crimes que l'ignorance cupide a enfanté dans les Sociétés désordonnées.

114 (15) Voyez dans la note 8, ( pag. 91.) que les métaux monnoies ne sont pas seulement signes représentatifs, mais gages intermédiaires & valables entre les ventes & les achats. Nous ne nous arrêtons pas à quelques uns des motifs que l'Auteur suppose dans la recherche des métaux , & qui nous paroissent puisés dans des idées plus modernes. A l'égard de l'effet que produisit 1'usage des métaux monnoies, quoiqu'il dût être très marqué, & faciliter beaucoup le Commerce, la révolution ne fut peut-être pas aussi grande que le pense M. le Marquis DE BECCARIA; car il remarque lui-même que la monnoie en marchandises d'un usage journalier, (pecunia) a précède la monnoie de métal (moneta). Dans l'Empire des Yncas, qui étoit | parvenu à un très haut point de prospérité, & dans lequel les Arts mêmes étoient considérablement perfectionnés, on ne connoissoit pas encore cette dernière espèce de monnoie lorsqu'il tomba sous le fer des barbares.

116 (16) Nous nous faisons honneur de ne pas entendre l'expression qu'adopte ici M. le Marquis DE BECCARIA, & qui a été inventée par la politique jalouse des Nations modernes. Comment les Nations avec lesquelles les Phéniciens cornmerçoient pourroient-elles être regardées comme leurs tributaires. Les Phéniciens, par exemple, alloient en Egypte, ils y achetoient du bled & ils donnoient en retour de l'huile & des figues qu'ils avoient achetées en Grece. Quel étoit en cela le désavantage des Egyptiens & des Grecs? Les uns & les autres trouvoient un débouché pour des productions surabondantes, à qui ce débouché procuroit de la valeur , ce qui augmentoit le revenu de leur territoire. Les uns & les autres voyoient | accroître leurs jouissances par la consommation de la denrée étrangère qu'on leur donnoit en payement. Ils étoient donc évidemment plus riches, & faisoient un plus grand usage de leurs richesses : en quoi cela ressemble-t-il à payer un tribut? Autant auroit valu dire que les Phéniciens, qui contribuoient par leurs services à l'accroissement de la richesse des Egyptiens & des Grecs, étoient esclaves de ces deux Nations. Cette expression seroit également fausse. Personne n'est tributaire & personne non plus n'est esclave par le Commerce , ni ceux qui le font, comme les Nations agricoles, ni ceux qui servent à le faire, comme les Nations voiturières. Tout le monde y gagne, & si tout le monde n'y gagnoit pas, il n'y auroit point de Commerce. Car, comme nous l'avons remarqué, (& quand nous l'aurions pas remarqué, la chose parle assez de soi,) le commerce ne renferme qu'une suite de contrats auxquels tous ceux qui y ont part ne se déterminent que par l'évidence de leur avantage. Les Nations ne s'accoutumeront-elles donc pas à sentir que tous les profits entr'elles sont réciproques ? Ces augustes | Soeurs ne quitteront- elles pas bientôt un langage qui leur fut suggéré par des esprits envieux & avides, & qui ne décele que l'envie de prévaloir, & les petites vues d'une politique étroite, dure, haineuse, ignorante?

123 (17) Ce sont les propres termes de l'italien, epoca fondamentale del commercio. Cependant l'Auteur qui vient de parcourir l'histoire du trafic de tous les anciens Peuples , & qui nous a dit si sagement plus haut, que les hommes n'existerent jamais sans connoître le Commerce, (pag. 107.) sait bien que l'invention des Lettres de change n'en est pas l'époque fondamentale. Il veut donc | seulement dire que ce fût une grande & interessante époque. Quand les hommes éloquents se livrent à leur enthousiasme, il leur arrive aisément d'employer des mots plus forts que les choses. Cela nuit à l'exactitude philosophique; &quelquefois au succès des vérités qu'ils veulent dire, & contre lesquelles le Lecteur se prévient alors comme contre des exagérations. C'est donc un défaut ; auquel il est très facile de se laisser entrainer, parcequ'il est séduisant & qu'il émeut les Lecteurs peu éclairés sur le fond. Mais c'est par cela même un des défauts qu'il faut éviter avec le plus de soin. L'éloquence qui se captive à n'employer que le mot propre, a des succès bien plus certains & bien plus désirables. Elle devient celle des choses, bien autrement puissante que celle de l'expression.
Il est sûr que l'usage des Lettres de change a considérablement facilité les opérations du Commerce. M. DE MONTESQUIEU a fixé l'époque de leur invention à celle des persécutions que les Juifs ont essuyées dans les siècles de notre barbarie féodale, qui ne constituant point de revenus aux Souverains, ne leur laissoit que la ressource odieuse | de piller ceux qui étoient hors d'état de se défendre ; méthode injuste, cruelle & désastreuse, de laquelle la taille arbitraire, & toutes nos autres impositions indirectes & anticipées ont tiré leur origine. M. le Marquis DE BECCARIA adopte ici l'opinion de M. de MONTESQUIEU. Cependant si l'on songe qu'il est impossible que les Anciens, faisant un très grand Commerce réciproque, il ne leur soit pas venu dans l'idée de transporter souvent & mutuellement à leurs correspondants la propriété de ce qui leur étoit dû dans des lieux éloignés, & de faire ainsi des échanges de créances pour leur commodité respective, on verra que l'origine des Lettres & Billets de change, qui sont le moyen naturel de ce transport, doit remonter beaucoup plus haut. Quoique les Auteurs anciens nous ayent laissé très peu de lumières sur la manière dont s'exerçoit leur Commerce, nous nous souvenons fort bien d'avoir vû en plusieurs endroits (que la rapidité avec laquelle nous sommes obligés d'envoyer ces Notes à la presse nous empêche de citer ici) des traces de ces transactions qui constituent l'essence des Lettres de change. Elles ont pu | devenir plus communes parmi nos Nations, modernes depuis les persécutions exercées contre les Juifs, & depuis la renaissance du Commerce extérieur, trop long-tems étouffé par le despotisme féodal; mais nous ne nous en croyons pas moins fondés à avancer que leur usage est, comme beaucoup d'autres, une de nos inventions renouvellées des Grecs ou même de Peuples plus anciens.

127 (18) Voyez la Note 8, p. 91, & la Note 15, page 114.

128 (19) Le fameux Acte de Navigation, porté en 1652 par ce même Parlement qui, trois ans auparavant, venoit de faire couper la tête à CHARLES I, & digne en effet de ces tems ou l'ignorance, le fanatisme & l'anarchie déchiroient l'Angleterre sous les drapeaux sanglans de Cromwel; le fameux Acte de navigation a soumis les Anglois à un monopole légal. Il a renversé la | Constitution Britannique. Il a violé les droits & l'intérêt légitime de ceux qui sont les véritables Membres de 1'Etat, c'est-à-dire de ceux qui possedent les terres & les richesses d'exploitation qui les mettent en valeur ; afin d'augmenter injustement les profits de ceux qu'ils payent pour débiter leurs productions , & pour leur voiturer les productions étrangères qu'on leur donne en retour. Il a appauvri les maîtres de la maison, pour enrichir leurs valets de leurs dépouilles. Il a principalement contribué à former ces fortunes pécuniaires qui ont jetté la Grande-Bretagne dans le délire funeste des emprunts publics. Les Armateurs de Londres, de Bristol & des autres Ports d'Angleterre, ont rapidement accru leurs capitaux aux dépends de leurs Concitoyens, & par l'effet du privilège exclusif de voiturage qu'on leur avoit accordé. Devenus plus considérables par l'injustice que donnent les richesses, ils ont entraîné la Nation dans des guerres de Commerce au-dessus de ses forces, & qui n'avoient que leur intérêt particulier exclusif pour objet. Pour soutenir ces guerres, ils ont paru offrir des secours; mais ces | secours ils les ont vendus au poids de l'or. Ils ont fait acheter a la Nation l'argent dont ils l'avoient déja frustrée par leurs gains excessifs; ou plutôt, ils ont, avec cet argent, acheté la moitié de la Nation, de ses terres, de ses revenus, en laissant les Propriétaires chargés de l'entretien, des risques, des cas fortuits, des soins & des réparations. La Nation, en consommant ainsi le capital de ses richesses, dans les entreprises ruineuses que ses voituriers lui avoient suggérées, a montré une grande puissance Il n'y a aucun peuple qui n'eût pu en faire autant à pareil prix. Avec trois milliards & demi de capital, on peut avoir beaucoup de vaisseaux & de canons , & payer un grand nombre de Matelots. Mais les efforts que l'on fait avec son capital, ne sauroient être que passagers. Ce capital s'épuise ; le terme arrive ou en subvenant à ses charges indispensables, il ne peut plus satisfaire au payement de la dette ; la pésanteur des arrérages devient extrême, les remboursements impossibles. Dès-lors la ressource même des emprunts disparoit. Car les Trafiquants privilégiés ne veulent prêter qu'avec sureté les richesses mêmes qu'ils ont extorquées à la Nation. | Celle-ci reste abandonnée à un épuisement d'autant plus grand, que l'explosion de ses forces d'emprunt fut plus formidable. Il y a long-tems que ce moment seroit arrivé pour les Anglois, si les encouragements donnés à l'exportation des bleds, & la sureté dont ont joui les richesses d'exploitation dans leur Isle, relativement à l'impôt territorial, n'avoient soutenu leur Agriculture. Mais ils paroissent résolus aujourd'hui à interdire ou à restraindre beaucoup cette exportation des grains qui a fait leur grandeur réelle ; & les taxes sur les consommations qui se multiplient chez eux, attaquent indirectement ces richesses d'exploitation qui ont entretenu leur opulence. S'ils continuent, il ne sera pas difficile de calculer le moment précis , où le privilège de leurs voituriers deviendra presque inutile à ceux-ci, faute d'occasions suffisantes pour l'exercer ; où l'Etat, faute de moyens, ne sera pas le maître de se charger des matelots qu'ils laisseront sans occupation, bien loin qu'il puisse les enlever de force, comme il l'a fait très durement & très injustement jusqu'à ce jour; où il faudra renoncer à toute vue de politique extérieure; où dans l'intérieur il faudra manquer à la foi réci-|proque , & décider à coups de fusil qui des anciens Propriétaires ou des Créanciers de l'Etat demeurera possesseur du territoire ; & ou, quand après cette décision terrible, on recommencera à cultiver le sol comme dans une Colonie nouvelle, on reconnoîtra, trop tard, si la proclamation d'un Acte de navigation exclusive doit élever ou abattre les courages de ceux qui aiment leur patrie & l'humanité.
Sans cet Acte trop fameux ; sans la diminution qu'il a causée de deux manières dans la valeur utile des productions nationnales [sic], en surchargeant les frais de leur débit, & en accroissant le prix des productions étrangères qui servent à les payer, (diminution que des calculateurs modérés estiment à un sixième de la valeur totale ou à environ moitié de la somme du produit net) ; sans les guerres que cet Acte & ses suites ont occasionnés directement ou indirectement; sans les emprunts que ces guerres ont nécessités, que les gains des privilégiés ont facilités, & dont les arrérages se montent à près de la moitié de ce qui peut rester de produit net sur le territoire; sans les impositions indirectes, dont les arrérages de ces emprunts ont fait aggraver le | faix, & qui achevent de miner ce produit net déja tant affoibli ; l'Angleterre auroit peut être joué pendant quelques années un rôle moins brillant, moins nuisible aux autres Nations & à elle-même : mais elle seroit très proche du faîte de la prospérité durable, & elle jouiroit d'une puissance qui seroit évidemment quadruple au moins de celle à laquelle elle est réduite aujourd'hui. Il ne s'agit pas ici d'examiner si depuis 1652, les autres Etats européens ont été mieux gouvernés que l'Angleterre. Il importoit seulement d'apprécier les avantages ou plutôt les malheurs qui ont été pour elle le fruit de son Fameux Acte de navigation.

133 (20) Les Compagnies de Commerce, comme toute autre espèce de Société laborieuse, doivent être libres de se former, & elles peuvent être fort utiles, quand elles n'empietent sur la liberté de personne.
Pour ce qui est des Marchands conquérants, lorsqu'ils savent leur métier & qu'ils ont, comme ceux des Compagnies européennes, des privilèges exclusifs, ils font avec raison payer BIEN CHER leurs conquêtes à ceux qui les mettent en oeuvre & qui viennent se fournir dans leurs magasin. Reste à savoir ce que valent des conquêtes ? Si elles ne | sont pas l'acte le plus injuste & le plus méprisable? S'il n'est pas odieux d'en faire ? S'il n'est pas fou de les payer, & sur-tout de les payer beaucoup plus qu'elles ne valent, en les achetant de la seconde main, à des porteurs de privilèges exclusifs ?

134 (21) En général on ne sauroit être trop indulgent dans les jugements qu'on porte des Princes & des Administrateurs, qui ne font presque jamais de mal sciemment, & qui ont toujours l'intérêt & presque toujours le desir de faire du bien à tout le monde. Mais si l'on doit respecter leurs bonnes intentions, il n'en est pas ainsi de leurs erreurs, qui sont directement opposées à ces bonnes intentions, & qui font le malheur des Peuples dont il [sic] cherchent la félicité. On nous permettra donc, en rendant hommage aux deux grands hommes que cite ici M. DE BECCARIA, de remarquer, que bien loin d'avoir relevé la France, on doit regarder l'époque de leur Administration comme celle des erreurs qui lui ont été le [sic] plus préjudiciables, & dont nous ressentons encore les conséquences funestes.
Louis XIV, aimoit passionnément la gloire; il vouloit être admiré de ses Sujets & de ses Voisins. On lui persuada, & (il faut en convenir à la | honte de l'esprit humain) ce furent principalement les louanges inconsidérées, des Gens de Lettres, même les plus illustres de son tems, qui lui persuaderent que la gloire d'un Souverain consistoit dans l'éclat de ses conquêtes, & dans la magnificence de sa Cour. Il voulut donc être Conquérant. Il fit périr un million de braves gens, & ruina des pays auparavant heureux & fertiles , pour satisfaire cette fantaisie que des Courtisans, des Poëtes & des femmes lui avoient inspirée. Peut être fit-il pis encore, en attirant tous les grands Propriétaires auprès de sa personne, en portant dans ses dépenses, & en les incitant à porter dans les leurs le faste le plus excessif, en introduisant enfin, dans les moeurs de la Nation, ce luxe dissipateur dont elle n'a pas cessé depuis d'être la proie. Il aimoit son Peuple cependant; il auroit souhaité que ses Sujets fussent tous riches, & heureux. Cela entroit même dans ses vues de gloire, comme occasion de louanges, & comme moyen d'avoir un Empire plus puissant & plus redoutable. Si l'on eût donc éclairé cette passion dominante au lieu de l'égarer comme on fit, il est | certain que son rêgne eût été aussi distingué, par les avantages qu'il auroit procuré à la France, que sa personne & son ame l'étoient par les qualités héroïques que lui avoir prodigué [sic] la nature.
Mais afin de diriger constamment au bien des Peuples, l'amour que le Monarque avoit pour les grandes choses, il auroit fallu que le zèle de M. Colbert fût lui-même plus éclairé. Ce Ministre actif sentoit mieux que personne que la prospérité de l'Etat, seroit le seul fondement solide de la grandeur du Maître au service duquel il avoit voué ses travaux. il s'occupa du bien public avec l'ardeur la plus laborieuse ; mais plus on se donne de peine pour avancer quand on a manqué la route, & plus on s'égare. M. Colbert vouloit, & travailler, & faire remarquer à son Prince qu'il travailloit beaucoup. Il tourna donc ses soins vers les manufactures de luxe, dont on pouvoir faire venir les Ouvrages à la Cour. Il appella des Artistes étrangers, & d'une main leur donna des priviléges exclusifs, tandis que de l'autre il gênoit leurs travaux par des réglements. Les Priviléges exclusifs nuisirent à l'industrie natio-|nale de ceux qui auroient concouru avec les nouveaux venus. Les Règlements empêcherent la leur de prospérer. Soit que M. Colbert, qui méconnoissoit entièrement la véritable source des richesses, de même que les droits naturels des Citoyens, & qui croyoir pouvoir disposer de tout avec des Ordonnances, imaginât de soutenir ces Manufactures recherchées, en nourrissant leurs Ouvriers à bas prix ; soit qu'il partageât les terreurs antiques sur la liberté du Commerce des Grains ; il resserra considérablement & interdit fréquemment le débit de cette production principale du territoire. Les autres productions ne furent bientôt guères mieux traitées, la magnificence ruineuse du Monarque & l'augmentation prodigieuse des Troupes, accroissoient tous les jours ce qu'on appelloit les besoins de l'Etat. Le Ministre accrut les taxes arbitraires & les impositions indirectes. Il établit des droits d'entrée & de sortie sur toutes les marchandises ; il fit des tarifs, & encore des tarifs ; il réputa étrangères des Provinces du Royaume, pour multiplier les droits sur les communications intérieures. Il garota de | toutes parts le Commerce qu'il avoit d'abord voulu encourager. Il surchargea les vins dans le tems même où il avoit déja ruiné le Commerce des bleds. Il rédigea des Ordonnances prodigieusement compliquées, dans lesquelles les Articles les plus clairs, comme celui qui dit que les Commis seront reçus à leur serment en justice, sans information de leurs vie &moeurs, &sans conclusions de la partie publique, (Ord. des Aid. Droits de détail. tit. V, art. 1, & en plusieurs autres endroits) ne sont pas les plus honnêtes : ou plutôt dans lesquelles le fond entier du systême adopté par le Rédacteur, décele une profonde ignorance du droit naturel, & des vrais principes de l'impôt, qui doit être également profitable au Prince & au Peuple, à la chose publique & à tous les Particuliers Tout cela cependant fut beaucoup vanté par les Ecrivains de ce tems, qui étoient eux-mêmes fort ignorants en économie politique ; qui devoient très aisément se laisser séduire par l'appareil imposant des Arts de luxe; qui d'ailleurs étoient tous payés ou aspirants à l'être, & qui avoient vu priver le vertueux Mézeray de sa pen-|sion, pour avoir écrit la vérité, même au sujet d'époques fort éloignées.
Les faits ne dirent que trop ce dont les beaux esprits n'auroient eu garde de parler. Dès la seconde guerre que le Prince eût à soutenir, l'affoiblissement de la Nation commença à se manifester. Les persécutions religieuses & la révocation de l'Edit de Nantes, causerent certainement de grands maux; mais ces maux ne firent que combler la mesure de ceux que les persecutions fiscales & la révocation des privilèges naturels de la liberté du Commerce, prononcée par une foule de Réglements absurdes & tyranniques avoient déja accumulés. Ces maux devinrent si grands, que vers la fin du siécle passé, M. DE BOISGUILBERT représentoit, comme un fait notoire, que pendant les trente-six années qui avoient suivi l'avénement de M. Colbert au Ministère, le revenu des terres étoit diminué de moitié. M. le Maréchal DE VAUBAN, qui atteste aussi la diminution, ne la porte, pendant ces trente-six ans, qu'à un tiers, ce qui seroit encore bien considérable. Mais il convient deux pages plus bas, que les travaux de la culture étoient | réduits à environ moitié, ce qui se concilie très bien avec l'assertion de M. DE BOISGUILBERT. L'Etat étoit de plus chargé d'une dette énorme qui n'a jamais été payée.
Nous ne comprenons pas comment après avoir trouvé le secret effrayant de dévorer la moitié d'un Empire en trente-six ans, on peut être loué par M. DE BECCARIA, & loué comme si on l'avoit relevé. Le bel esprit, prévénu [sic] pour des hommes bien intentionnés, qui ont chéri les Lettres & favorisé ceux qui les cultivoient, a fait illusion ici au Philosophe humain & politique.

141 (22) M. le Maréchal DE VAUBAN, dont le témoignage eut pû suffire pour suspendre les éloges que M. DE BECCARIA vient de prodiguer à M. Colbert; cet illustre & bon VAUBAN, dis-je, avoit très bien vu, très vivement& très fortement senti une partie des inconvénients énormes qui étoient résultés des opération [sic] de ce ministre. Mais la raison économique ne lui avoit pas indiqué le remède, & même elle ne lui avoir pas fait connoître à quel point les principes du mal qu'il voyoit étoient pernicieux. Il propose une dixme en nature & proportionnée au produit total du territoire, comme la dixme ecclésiastique. Il ne voit pas qu'un tel impôt est excessivement irrégulier, & parconséquent injuste, puisque le même produit total donne beaucoup, ou peu, ou point de revenu net, selon que les frais de la culture sont ou | ne sont pas considerables. Il ne sait pas que ces frais qui font renaître les productions & les richesses ne doivent jamais être imposés, & que leur quotité, par tout nécessaire à connoître & par tout différente, est déterminée par l'espèce de la culture, par la qualité du terrein & par la diversité des moyens qu'on peut employer en avances foncières & primitives, au soulagement des avances annuelles. Il propose de dixmer aussi les salaires de l'industrie. Il ne s'apperçoit pas que ces salaires sont indispensables à ceux qui les reçoivent, qu'il faudroit donc les augmenter en raison de l'impôt, & que cet impôt seroit par conséquent payé deux fois par les Propriétaires, dont le revenu auroit déja acquitté l'impôt territorial. Il veut dixmer les rentes sur le ROI, malgré la convention : les pensions, les gages, les appointements, quoique donner & retenir ne vaille. Il veut conserver la Gabelle en reduisant le prix du sel de dix-huit à trente livres le minot, quoiqu'il aie reconnu les maux qu'entraine la Gabelle. Il veut aussi les droits de Francs-Fiefs, & d'Amortissement; le Papier timbré ; les Douanes sur les frontieres ; des | Taxes fur la consommation du tabac, des eaux-de-vie, du thé, du café, du chocolat. Il vend la permission d'avoir des carosses, & celles de porter l'épée aux Roturiers. Il laisse même un petit droit d'Aide sur la consommation du vin, du cidre & de la bierre dans les cabarets. Pour en venir à ces conclusions, ce n'étoit presque pas la peine d'entreprendre de réformer l'impôt.

143 (23) Nous n'avons pas l'honneur, mais M. DE BECCARIA nous inspire bien le désir de connoître les Ecrits de M. l'Abbé GENOVESI.
Pour Monsieur Melon, l'Avocat du luxe, qui confond le gaspillage des richesses avec leur source; qui demande qu'on ne permette la circulation du bled de Province à Province, qu'aprés avoir eu l'état exact de la quantité récueillie dans chacune, & le dénombrement des habitants, qui... qui.. qui.. .
Il ne méritoit pas l'honneur d'être nommé.
Les autres demandent plus de considération.
L'Immortel MONTESQUIEU aura toujours des droits sur la reconnoissance des hommes pour les avoir puissamment excités à se tourner vers les | Etudes économiques. Il aura toujours des droits sur leur admiration, par son esprit, par son éloquence, par son courage philosophique, par l'étendue de son érudition, par le sel de ses épigrammes, par la tournure singulière de son brillant génie, qui sait, & qui sait presque seul jusqu'à ce jour, allier sans cesse la finesse au sublime. Mais il voulut bâtir des Gouvernements sur des affections morales, sur la vertu, sur la modération, sur l'honneur, sur la crainte. Il a entièrement ignoré que les Loix fondamentales de l'ordre social fussent des Loix physiques, & tirées de la nature & des besoins de l'homme. Il a presque borné son long & pénible travail, à chercher des raisons aux usages qu'il a vus établis dans les Gouvernements desordonnés. Il a vu le courage ou la lâcheté des Peuples sur une langue de mouton. Il a méconnu les Loix de la reproduction des subsistances & celles de la liberté des échanges, si directement dépendantes de celle de la propriété. Il a examiné sérieusement s'il y avoit des Nations auxquelles il fut désavantageux de commercer : Et il s'est décidé pour l'affirmative ! |
Don Hieronimo de Ustariz, dans un tems & dans un Pays où les Principes de l'Economie politique étoient encore très généralement ignorés, vit en gros que les privilèges exclusifs & l'excès des droits sur toutes les ventes étoient nuisibles. Il proposa d'introduire quelques variétés dans ces droits. Il prétendit qu'en les combinant avec intelligence, l'impôt pourroit retirer annuellement de chaque capital mis dans le Commerce, une somme égale à la valeur de ce capital. Il vouloit arranger le Commerce de l'Espagne, de manière qu'elle ne payât jamais en argent les productions & les marchandises des autres Nations, & qu'elle fût au contraire payée en argent par elles ; c'est-à-dire qu'il vouloit, sans le savoir, interdire le débit d'une des principales productions nationales, & faire abandonner les mines du Mexique & du Pérou. Pour rétablir la prospérité de sa Patrie, il ne se doutoit pas qu'on dût principalement songer à procurer des avances à l'Agriculture, & à faciliter le débit de ses productions, en les affranchissant de toutes les douanes & de toutes les taxes sur les Consommations tant multipliées en Espagne. | Entrainé par l'esprit manufacturier de M. Colbert, qu'il avoir pris pour modèle, il ne pensoit qu'à appeller des Fabriquants étrangers, & encore vouloit-il les établir dans les Villes les plus considérables. C'étoit un bon citoyen & un honnête homme, mais ce n'étoit pas un grand politique.
Dou [sic] Bernardo DE ULLOA qui marcha sur ses traces, quoiqu'ayant un peu plus songé à l'Agriculture, se tient en général aux plans de Ustariz, & n'a pas plus d'idée que lui des moyens de la favoriser. Il est impossible de faire de grands progrès, quand on se fixe servilement à une route dans laquelle ses devanciers se sont égarés.
Reste le Philosophe HUME, observateur ingénieux, historien savant & fécond, écrivain intéressant, mais qui ne connoissoit pas encore les principes naturels de l'impôt, ni les avantages de l'entière liberté du Commerce & du travail, ni dans toute l'étendue du droit indélébile que les hommes ont à cette liberté, quand il a publié ses écrits estimables.
En tout, il nous semble que la Bibliothèque d'Economie politique de M. le Marquis DE BECCARIA n'est pas assez complette, & peut-être | faudroit-il dire quelque chose de plus. Il est étonnant qu'il ne cite ni M. DE GOURNAY, qui avoit si bien senti le prix de la liberté générale ; ni le Docteur QUESNAY, qui par ses mots Fermiers & Grains dans l'Encyclopédie, par la découverte du produit net, par celle de la propriété exclusive qu'a l'Agriculture de produire des richesses, par celle des Lois physiques de leur distribution & de leur réproduction , énoncées en abrégé dans son TABLEAU ÉCONOMIQUE, a changé la face de la Science de l'économie politique, ou plutôt a fait une Science exacte & régulière de cette étude, qui n'avoit été jusqu'à lui que celle d'un amas de conjectures hasardées, & de prétentions inconséquentes & jalouses ; ni le célèbre AMI DES HOMMES, premier promulguateur de la Doctrine inventée par l'Auteur du Tableau économique, & qui par sa THÉORIE DE L'IMPOT, par sa PHILOSOPHIE RURALE, & par tous ses autres écrits, a si bien mérité la reconnoissance dont le genre humain l'honore, & le titre flatteur dont il est décoré ; ni M. DE LA RIVIERE, qui dans son excellent Ouvrage intitulé, | l'ORDRE NATUREL ET ESSENTIEL DES SOCIÉTÉS POLITIQUES, a développé d'une manière si méthodique, si complette, si noble & si claire tous les principes de ses deux devanciers.
Il faut que le défaut de communications faciles entre les divers Pays, qui s'opposent tant au progrès des lumières, & qui nous a empêché de profiter de celles de M. l'Abbé GENOVESI, ait pareillement privée M. le Marquis DE BECCARIA des Livres précieux de ces trois illustres Auteurs. Nous regrettons infiniment qu'il n'en ait pas eu connoissance. Pour peu qu'il les eût médités, il nous auroit épargné les observations que nous nous sommes vus forcés de joindre à son Discours. Il eut été doux pour nous d'avoir à lui payer sans mélange le tribut d'éloges qu'il mérite à tant d'égards. Il ne tardera pas, sans doute, à nous mettre dans le cas de nous livrer, en parlant de ses Leçons à toute l'effusion de coeur que les succès des grands hommes inspirent aux hommes de bien. Nous le prions en attendant d'excuser notre franchise, que nous avons regardée comme un devoir vis-à-vis d'un philosophe & d'un | professeur tel que lui, & comme l'hommage le plus expressif que notre vénération put lui offrir.