58 (1) LAuteur fait ici allusion à deux
Ouvrages fait [sic] sur ces matières;
lun par le Comte CASLI, Conseiller dEtat, Président
du Commerce ; & lautre, désigné sous le chiffre (2),
par le Président NÉRI, maintenant établi à Florence. Notes
du Traducteur.
59 (3) M. le Comte de * * *. Ministre plénipotentiaire
de SA MAJESTÉ Impériale & Royale.
60 (4) Célèbre Milanois. Voy. Moréri & Bayle.
62 (5) Nous pensons que pour avoir une
Proposition exactement vraie, il faudroit ici retourner la phrase qu'employe
M. le Marquis DE BECCARIA, & dire qu'il ne suffit pas de
connoître plusieurs vérités particulières,
si l'on n'a aussi une idée très nette de la vérité générale
dont elles sont pour ainsi dire des corollaires. En effet, quand
dans les Sciences Morales & Politiques on ne connoit pas assez les
vérités générales & les principes fondamentaux,
ce qu'on appelle des vérités particulières deviennent
des opinions isolées qu'on ne peur ni combiner ni juger, & par
rapport auxquelles on ne sauroit jamais décider avec sureté si
elles sont réellement des vérités, ou si elles ne
sont pas au contraire des erreurs spécieuses & funestes consacrées
par des préjugés dominants.
Nous sera-t-il permis de dire que la manière d'étudier en ramassant
des faits particuliers est mauvaise dans les Sciences Morales & Politiques,
quoiqu'elle soit très bonne, & même la seule, dans d'autres
Sciences, comme la Botanique, la Chymie, la Physique générale?
Nous sera-t-il permis de dire que la tournure que la forme de nos Gouvernements
desordonnés a fait prendre à nos études, & au développement
de nos lumières, nous a éloigne de la route qui auroit affiné nos
progrès dans les Sciences les plus utiles au genre | humain ; dans celles
qui constatent quels sont les droits, les devoirs & les intérêts
réciproques des hommes réunis en Société ?
Cette ignorance soupçonneuse & cupide, que M. le Marquis DE
BECCARIA a si vivement apostrophée plus haut (page 61.) & qui
a persuadé trop long tems que le Despotisme arbitraire étoit
utile aux Souverains, & qu'il falloir empêcher les Peuples de connoître & de
peser leurs intérêts & leurs droits, & de manifester ceux
des Dépositaires de l'autorité suprême, nous a contraint
de jetter les premiers efforts de notre intelligence vers des Sciences dont
nous ne pourrons jamais saisir que quelques branches, parcequ'elles renferment
une multitude de parties qui n'ont aucun rapport à nous, & que les
organes nous manquent pour acquérir la connoissance de leurs Principes.
Nous nous sommes vus obligés d'étudier ces Sciences par parcelles, & de
rassembler une multitude immense de faits particuliers pour en tirer quelques
conclusions qui nous paroissent des vérités générales.
Telle seroit avec raison la méthode d'un Aveugle que l'on chargeroit
de faire la Description d'un Palais. Il y mettroit un travail prodigieux, rencontreroit
juste quelquefois, & se | tromperoit souvent : mais du moins il ne seroit
point en son pouvoir de mieux faire, aussi ne seroit-il pas blamable, non plus
que nos Physiciens.
Il n'en est pas ainsi des Sciences précisément faites pour l'homme,
qui n'embrassent que des relations à notre portée, & qui
ont été destinées par la Providence à nous servir
de règles de conduite dans toutes nos actions ; telles que sont les
Sciences Morales & Politiques. Nous pouvons posséder ces Sciences
dans toute leur étendue, parceque leurs principes fondamentaux, qui
sont le droit, le devoir, la Justice essentielle & l'intérêt
réciproque, sont de nature à nous devenir très évidents
pour peu que nous veuillions réfléchir, & quelquefois même
malgré nous. En nous attachant à bien connoître ces principes, & les
prenant toujours pour point de départ, nous arriverons facilement & avec
la plus grande certitude à leurs conséquences les plus éloignées
: une logique invinciblement claire nous y conduit rapidement, par une suite
de déductions incontestables. Les diverses ramifications, (si l'on peut
ainsi dire) de ces conséquences, ne présentent aucune difficulté pour
ceux qui les considerent du côté du tronc | dont elles partent
toutes. Mais il est arrivé malheureusement qu'on nous a permis d'être
Physiciens, long-tems avant qu'on nous permit de songer seulement aux Sciences
Morales & Politiques ; & il en est résulté que la méthode
des Physiciens, obligés de prendre par les rameaux quelques portions
de connoissances, dont les principes seront à jamais renfermés
dans le sein de Dieu, a été pareillement embrassée pour
les Sciences économiques, dont Dieu lui-même a placé les
principes dans notre sensibilité physique, sous nos yeux & dans
nos coeurs. Des hommes de beaucoup d'esprit, mais qui avoit [sic] remarqué que
la marche ordinaire étoit d'étudier en tatonnant, se sont eux-mêmes
bandé les yeux & se sont mis à tatonner courageusement. Cette
méthode égareroit inévitablement les plus grands hommes
: nous allons voir dans le moment qu'elle a égaré M. DE BECCARIA
; que pour avoir étudié la Politique par faits particuliers, & guidé par
les assertions trompeuses de ceux qui ne l'avoient pas étudiée
autrement, il a pris de très minces conséquences pour des principes, & des
erreurs très dangereuses pour des vérités générales.
Nous ne pouvons trop l'exhorter à quitter une méthode qui le
conduiroit | des résultats si peu dignes de sa vigueur de son génie & de
la beauté de son ame. Un homme tel que lui, & dans la place importante
qu'il occupe, n'est point fait pour ramasser sans choix les opinions reçues.
Il ne doit en rien se décider par l'autorité d'autrui. C'est
la raison, c'est la nature, c'est la sainte justice, qui a si fortement parlé à son
coeur, quand il a composé son Traité des Délits & des
Peines, qui doivent seules guider les travaux. il est bon sans doute qu'il
lise tous les Ouvrages composés avant lui, mais il doit les juger tous
d'après une connoissance approfondie du Droit naturel & de l'Ordre
essentiel des Sociétés. Nous osons croire qu'il prendra cette
peine, qu'il est digne & capable de prendre, & qu'alors il changera
considérablement d'opinion sur beaucoup de points. Ce ne seront pas
les Economistes François qui auront à s'applaudir de ce
changement salutaire & indispensable, quoique leurs Ecrits puissent y contribuer.
Ce sera l'évidence de la vérité & de la justice qui
aura frappé une tête faite pour elle & entraîné le
consentement d'un homme de bien.
68 (6) Voici la phrase italienne : Cioè concorrenza
nel prezzo delle cose, economia della man d'opera, buon mercato nel
trasporto, e piccoli interessi del danaro. Il nous paroit qu'elle
est traduite littéralement. Si la traduction rend bien le sens
de l'original, nous serons forcés d'observer, 1°. qu'on dit
très bien la concurrence des vendeurs, la concurrence des
acheteurs, la concurrence des fabriquants, des ouvriers, des voituriers,
des salariés de toute espece, parceque tous ces gens concourrent effectivement,
c'est-à-dire courrent ensemble, & à qui mieux
mieux, au même but, qui est d'avoir la préférence.
Cette concurrence influe puissamment sur le prix des choses, & elle
est très avantageuse au public en toute espèce de Commerce
; mais ce n'est pas une concurrence dans le prix des choses.
On ne peut pas employer cette dernière expression, qui n'est
d'aucune Langue, & ne présenteroit point de sens.
2°. Quant au bas prix de la main-d'oeuvre, il est en général
la preuve de la non-valeur des pro-|ductions territoriales; ce qui est un grand
malheur pour un Etat, qu'il réduit à n'être composé que
de pauvres manufacturiers, nourris misérablement & précairement
par de plus pauvres agriculteurs. Quand on cherche à faire naître
ou à entretenir ce bas prix par des prohibitions ou des gênes
dans le Commerce des productions, comme il paroît que M. Colbert l'a
fait en France dans le siècle dernier, on tombe dans une des plus redoutables
erreurs politiques qui ayent jamais appauvri les Nations.
3°. Pour ce qui est du bas intérêt de l'argent, il est sûr
qu'il favorise un très grand nombre d'entreprises fructueuses : mais
il ne dépend en aucune manière du Gouvernement, il résulte
de la rareté des emprunteurs. Les Loix doivent se conformer au taux
que les conventions entre les hommes lui donnent; elles ne doivent pas le prescrire;
elles ne peuvent l'entreprendre. En fixant l'intérêt plus bas
que le cours, elles seroient inexécutées, & enfanteroient
arbitrairement des crimes prétendus qu'elles n'oseroient punir.
Il nous semble donc que la phrase seroit plus | digne de M. le Marquis DE
BECCARIA, si on pouvoit la traduire ainsi : La concurrence, qui influe sur
le prix des choses, en obligeant de mettre plus d'économie dans la main-d'oeuvre,
en restreignant les frais de transport, & en conduisant par l'effet de
l'opulence générale, & par la rareté des emprunts à baisser
le taux de l'intérêt de l'argent. Peut être est ce là véritablement
ce que M. le Marquis DE BECCARIA a voulu dire. Nous nous en rapportons
aux Personnes à qui la Langue italienne est plus familière qu'à nous.
Il y auroit cependant toujours à observer que le haut intérêt
de l'argent n'est pas une preuve certaine de la pauvreté d'une Nation
; que le taux de l'intérêt dépend beaucoup de la tournure
des moeurs; que chez un Peuple où les riches aimeroient à couler
leur jours dans l'oisiveté, ils se détermineroient facilement à mettre
leur argent en rente, pour s'épargner les soins d'administration. Et
que si le Gouvernement n'étoit pas emprunteur dans un tel Etat, le taux
de l'intérêt y seroit beaucoup plus bas que dans un Pays où l'honneur & le
bonheur de posséder des terres seroient l'objet de | l'émulation
générale, & où les propriétaires mettroient
leur félicité dans les soins si doux & vraiment Patriarchaux qu'exigeroit
[sic] l'entretien & l'amélioration de leurs domaines. Car
alors ces Propriétaires consacreroient leur opulence à cet emploi
fructueux. Les salariés, qui feroient fortune se hâteroient d'employer
leurs fonds pour acheter des terres, il y auroit très peu de prêteurs, & le
taux de l'intérêt se soutiendroit haut: quoique l'Etat fût
incomparablement plus riche que celui dont nous venons de parler, où l'oisiveté des
Capitalistes multiplieroit les prêteurs & feroit baisser l'intérêt.
(Voyez sur cela la PHYSIOCRATIE, second Volume,
pag. 337.)
71 (7) Il y a quinze ans que cette maxime
auroit été applaudie généralement. Aujourd'hui
qu'elle commence à devenir moins dangereuse, parceque s'il y a
encore des Souverains qui balancent à réformer les impôts
destructeurs, anciennement établis sur le Commerce de leur Nation,
il n'y en a point du moins d'assez peu éclairés pour en
instituer de nouveaux, il est triste seulement d'entendre répéter
cette prétendue maxime qui a pro-|duit tant de maux, à un
Philosophe, à un Professeur illustre, chargé par état
de refuter les erreurs politiques, & d'y substituer la connoissance
de vérités utiles.
Mais il faut remarquer que dans un premier Discours du premier Professeur qu'on
institue sur une matière qui n'est encore éclaircie que depuis
peu de tems, & qui ne l'est suffisamment que pour les Savants d'un Pays étranger,
on doit pardonner beaucoup de choses qui n'entreroient pas dans un Ouvrage
plus réfléchi, ni dans les Leçons que ce Professeur aura
eu ensuite le tems de méditer, après avoir lu les bons Auteurs
qui ont traité à fonds [sic] les sujets sur lesquels doivent
rouler les instructions qu'il est chargé de répandre. Vu les
préjugés qui n'a gueres existoient encore, la fondation d'une
Chaire d'Economie politique est une chose si belle, si noble; & qui suppose
tant de lumières préalables, qu'on pouvoit ne pas se permettre
de croire qu'elle eût lieu sitôt. C'est un des traits de bienfaisance
héroïque & philosophique, par lesquels SA MAJESTÉ L'IMPÉRATRICE
REINE a surpassé ce qu'on pouvoir attendre de son siècle, & prevenu
les voeux de ses sujets & du genre humain. Ces actes sublimes, où la
Souve-|raineté des Princes se manifeste comme celle de Dieu, par des
bienfaits inattendus, ont jusqu'à présent été malheureusement
assez rares, pour qu'on soit excusable de ne les pas présumer. Il est
donc très naturel que M. le Marquis DE BECCARIA ne se soit pas
préparé d'avance à l'emploi distingué que son AUGUSTE
SOUVERAINE lui destinoit & dont son coeur & ses talents étoient
dignes. Autre chose est de faire un Livre intéressant par une Philosophie
courageuse & sensible ; autre chose est d'avoir tout- à-coup à donner
des Leçons sur des Sciences presque neuves ; il ne faut point dans cette
seconde carrière juger trop sévèrement un homme de mérite
d'après ses premiers pas M. le Marquis DE BECCARIA, avec un peu
plus de tems & de réflexion, ne balancera point sans doute pour
abandonner l'idée d'encourager l'industrie par la combinaison des droits
d'entrée & de sortie, qui sont, dans tous les cas, le fléau
de l'industrie.
Il ne peut s'empêcher de sentir déja combien ces droits sont onéreux & redoutables
en eux-mêmes, puisqu'il voudroit qu'on diminuât ceux d'entrée
des matières premières, & ceux de sortie des matières
mises en oeuvre. Mais pourquoi se borner à diminuer des droits qu'on
reconnoît pour | dangereux ? Ne seroit-il pas plus court, & plus
simple, & plus conséquent, & plus sage de les détruire
entièrement? N'a-t-on pas toujours trop des choses nuisibles ? Pourquoi
les conserver en partie ?
Si les droits de sortie, comme M. DE BECCARIA l'a senti, & comme l'évidence
le crie, mettent un obstacle funeste au Commerce des Ouvrages des Manufactures,
pourquoi faudroit-il les aggraver sur la sortie des matières
premières, qui sont les productions du territoire, & les Ouvrages
de la plus riche manufacture de tout Etat? L'agriculture, seule base de tous
les travaux, & source unique de toutes les richesses, mériteroit
- elle donc moins d'encouragement que les stériles travaux de la main-d'oeuvre
?
Quoi! la nature vous donne un territoire dont la culture feroit subsister votre
Peuple dans l'aisance, & nécessiteroit & soudoyeroit une foule
innombrable de travaux, & vous voulez décourager cette culture,
en gênant par des droits de sortie aggravés, & par
l'inquisition, & par les frais énormes qu'ils entrainent, le Commerce
de ses productions ? Et quand l'avilissement du prix de vos denrées
vous aura contraint d'abandonner | l'exploitation des terres médiocres,
qui auparavant cet avilissement ne rendoient que les frais ; & quand la
diminution de la recette annuelle des Cultivateurs les aura forcé de
restraindre leurs dépenses productives ; & quand sur de moindres
produits vos Propriétaires qui auront de plus foibles revenus, ne pourront
plus salarier le même nombre de travailleurs en tout genre; & quand
votre culture dégradée ne fournira même plus de quoi les
nourrir & les vêtir, vous croirez être bien dédommagé,
parcequ'au moyen de quelques manufactures ingénieuses, vous aurez mis à la
solde de l'Etranger, quelques uns de ces malheureux, que vous ne pourrez plus
soudoyer vous même. Car ne vous faites pas d'illusion sur la quantité d'ouvrages
de vos manufactures que vous pourez [sic] exporter, sur-tout avec des droits
de sortie, à quelque point que vous ayez diminué ces droits.
Les seuls ouvrages très recherchés & d'un très haut
prix, qui renferment une grande valeur sous un petit volume, qui par conséquent
ne seront propres qu'à un très petit nombre de consommateurs,
pourront supporter la dépense des frais de transport & se vendre
encore chez l'Etranger. Vous débiterez quelques bijoux, den-|telles,
quelques étoffes d'or. Mais l'Etranger fera toujours faire chez lui
ses bâtiments, ses meubles communs, ses habits, ses souliers, ce qui
forme la branche la plus considérable à tous égards des
travaux de l'industrie ; & cependant vos Agriculteurs, vos Propriétaires,
votre Peuple, appauvris par l'état de ruine où vos gênes
sur le Commerce des matières premières auront plongé votre
agriculture, laisseront dégrader leurs maisons, porteront des lambeaux
au lieu d'habits, s'accoutumeront à marcher nuds pieds ou avec des sabots.
L'industrie la plus profitable est celle qui n'a pas besoin d'aller chercher
au loin des consommateurs ; c'est celle qui nait d'elle-même, à côté d'une
agriculture florissante. Voilà celle que vous sacrifiriez aux branches
parasites que pourroit vous procurer votre combinaison artificieuse des droits
d'entrée & de sortie. Les instruments formés avec les débris
de la charrue ne peuvent jamais fabriquer que les malheurs de l'Etat.
Je veux que vous ayez réussi au gré de vos désirs, à substituer
le tour & la lime au coutre, la navette & l'aiguille à la herse, &,
ce qui est impossible, que la vente de vos colifichets, (car, je le
répete, en ouvrages de l'industrie vous ne ven-|drez à l'Etranger
que cela;) que la vente, dis-je, de vos colifichets compense les pertes énormes
que vos droits de traite vous auront occasionnées, qu'aurez vous
fait? Vous aurez rassemblé une foule d'hommes qui existoient auparavant
dispersés sur votre territoire, & qui le fécondoient; vous
aurez livré à la contrainte des atteliers, aux jalousies de métier, à la
vie sédentaire & mal saine, à la corruption physique & morale
des Villes, des Citoyens, des Peres, des Meres de famille, de jeunes Enfants,
qui sans vos soins perfides eussent vécu paisibles, robustes & vertueux,
au sein de la très noble & très libre agriculture, ou des
arts simples, qui n'exigent pas une si grande cumulation d'hommes, & qui
suivent par-tout l'aisance que l'agriculture produit. Vous les avez rassemblées
ces malheureuses victimes, pour les immoler les unes après les autres,
sur les Autels inconstants de la mode, pour en vouer une partie à la
misère & à la mort, à chaque variété nouvelle
dans les fantaisies qui décrédite quelques branches de leurs
travaux. Voyez les Pays de manufactures de luxe ; voyez ceux où l'on
a voulu forcer la Nation à se livrer, outre ce que lui auroit prescrit
la nature, aux travaux précaires de la fabrication, ce sont ceux où |
l'on trouve le plus de Pauvres, & où les murmures insensés,
les émeutes populaires, les séditions sont le plus ordinaires
; parceque c'est-là que beaucoup de besoins réels se trouvent
joints à l'ignorance, à l'impatience, à la présomption
citadines, qui pensent, sans réflexion, que tout doit leur être
sacrifié. Il y a six mois que la populace de Lyon bruloit les
Ecoles de Médecine & même celles de Dessein, en haine de l'Anatomie
qui montre à soulager ses maux. Presque dans le même tems, celle
de Rouen pilloit des bateaux chargés de bled, & ruinoit des
Marchands qui lui apportoient du pain. En Angleterre, où l'on
a aussi voulu être les Manufacturiers universels, où l'on a mis
des droits d'entrée & des droits de sortie, tels que ceux qu'on
demande ici, où l'on a défendu l'exportation des laines brutes, &c. &c.
la taxe pour les pauvres est environ le tiers de l'impôt annuel, & égale à peu
près le dixième du produit net du territoire; outre cette taxe,
il y a une foule de fondations qui se montent à des sommes immenses;
nulle part il n'y a tant de pauvres, nulle part ils ne se portent à de
plus grands excès. Il est fréquent de les y voir taxer les denrées
au marché, & insulter l'autorité provocatrice de la liberté & des
droits de propriété.
Forcés d'abréger, nous passons par-dessus la séduction
que des Manufactures recherchées, destinées à fournir
l'Etranger, exercent sans cesse sur la Nation chez laquelle elles sont placées, & qui
dans le vrai consomme presque tous leurs Ouvrages. Nous ne nous arrêtons
point aux dangers de la mauvaise tournure que ces piéges de la vanité frivole
donnent aux dépenses & aux moeurs ; nous nous souvenons pourtant
avec douleur, d'avoir vu dans le Lionnois, des Paysannes nourries de mays & de patates,
avec des parements d'étoffe d'or. Mais en supprimant la moitié de
ce que nous aurions à dire, nous en avons peut-être assez dit
pour faire voir à un Philosophe aussi pénétrant que M. le
Marquis DE BECCARIA, que chercher à rendre un Peuple plus manufacturier
que la liberté & l'instruction ne le conduiroient à l'être,
c'est prendre exactement la Politique à rebours.
C'est encore la prendre à rebours, & s'il étoit possible
d'une manière encore moins réfléchie & plus injuste & plus
cruelle que de vouloir étendre la tyrannie de ses Règlements
sur le Commerce des Peuples voisins, de surcharger leurs marchandises de droits,
de prétendre attirer exclusivement à soi ce qu'on regarde comme
les sources de 1'o-|pulence, de fonder l'espoir de sa richesse sur l'appauvrissement
d'autrui : vil projet de brigands, combiné par des aveugles.
Comment n'a-t-on pas vu qu'il falloir être deux pour commercer ? Comment
n'a-t-on pas vu qu'avec de pauvres voisins on ne feroit qu'un pauvre
commerce ? Comment a-t-on pu réunir le projet de vendre beaucoup & constamment
aux autres, Peuples & celui de les priver le plus qu'on pourroit des moyens
de payer ? Comment des génies philosophiques ont-ils adopté ces
erreurs contradictoires, & nous forcent-ils de leur faire des observations
qui paroitront triviales au dernier de nos Lecteurs ordinaires ?
A un but absurde on a marché par des moyens insensés. On a cru
faire payer à l'Etranger au moins une partie des droits d'entrée & de
sortie dont on a hérissé les frontières. On n'a pas songé que
l'étranger ne pouvoit jamais ni rien acheter ni rien vendre qu'au prix
fixé par la concurrence des vendeurs & des acheteurs de toutes les
Nations ; que pour lui pouvoir acheter quelque marchandise, il faut la lui
payer tout ce que d'autres la lui auroient payée; que si l'on met en
outre un droit d'entrée sur cette marchandise, il est donc en en-|tier à la
charge de la Nation qu'il l'a établi ; que de même, & par
la même raison, quand on a quelque chose à lui vendre, il ne s'informe
point si elle a payé ou non de grands droits de sortie, & à qualité égale,
il donne le même prix de celle qui a été franche, que de
celle que l'impôt a surchargée; que cet impôt est donc encore
en entier à la charge du Peuple chez lequel on l'a institué.
On n'a pas pensé que par son essence un tel impôt est sans règle,
qu'il est égal pour les productions de même espèce, soit
que ces productions ayent été recueillies dans des terroirs où la
nature les donne pour ainsi dire, ou dans d'autres plus ingrats qui
les font acheter par des dépenses excessives. Soit qu'il y ait ou qu'il
n'y ait pas dans leur prix une portion qui forme un produit net & imposable
; soit qu'elles ayent ou n'ayent pas déja acquitté d'avance tout
l'impôt qu'elles peuvent payer; les vendeurs de la premiere main se trouvent
toujours frustrés d'une portion du prix qu'ils auroient naturellement
dû recevoir. Cette perte ne se fait pas seulement sentir sur les productions & les
marchandises exportées, elle s'étend nécessairement sur
le prix de toutes celles de même espèce qui se consomment dans
l'intérieur de l'Etat : car, | le prix de l'exportation règle
toujours celui de la consommation intérieure, à la seule différence
des frais de transport. Il ne peut pas être plus haut; s'il l'étoit,
tout le monde voudroit exporter, on ne vendroit plus dans l'intérieur.
Il ne peut pas être plus bas ; s'il l'étoit, tout le monde vendroit
dans l'intérieur, personne n'exporteroit, & le commerce extérieur
seroit anéanti. Toutes les productions du territoire de même espèce
que celles soumises aux droits de sortie, se trouvent donc diminuées
de prix. Delà le découragement & la dégradation de
l'Agriculture, dont nous avons parlé plus haut. Delà tous les
desordres intérieurs, dont nous avons trop légèrement
esquissé la peinture.
Bientôt à ces desordres sourds il se joint des malheurs plus apparents.
Les Nations isolées au sein des barrieres dans lesquelles elles se renferment,
s'accoutument à la jalousie réciproque & inconsidérée.
Elle [sic] ne voyent dans leur Commerce à demi étouffé,
que les salaires de ses Agents. Elles oublient presqu'entièrement les
avantages du débit & des échanges qui le constituent. Au
lieu de traiter ensemble, comme des Propriétaires de terres vastes, & fécondes,
qui en retirent des productions de divers genres, & qui peuvent & doivent
s'être réci-|proquement utiles par la fourniture alternative &mutuelle
de ce qui manque à chacun d'eux, elles négligent cet avantage
immense pour se disputer servilement la préférence des commissions,
ainsi que le fait, au coin des rues, la dernière classe du Peuple des
grandes Villes.
Cependant l'accroissement de la richesse d'un Etat qu'on administre en Propriétaires qui
veulent améliorer leur patrimoine, n'a point de bornes connues. Les
salaires qu'on peut donner aux commissions sont au contraire très limités
par leur nature & le deviennent d'autant plus, que la Politique exclusive
appauvrit plus les Empires. Plus ces salaires se restraignent, & plus la
rivalité des Peuples, qui courent après, dégénère
en animosité & en haines. Les guerres de Commerce, dans lesquelles
on ne sait qui l'emporte de la démence ou de la barbarie, ensanglantent
la terre & les ondes. L'épuisement de la richesse de tous les Etats
belligérants, force seul les canons à se taire. On réforme
les armées de guerriers, mais la paix n'est pas faite pour cela. D'autres
armées moins respectables & plus funestes, forment un cordon autour
des frontières, pour y rançonner le Commerce, & pour y fusiller
les téméraires qui osent fournir à chaque | nation les
choses dont elle a besoin, au prix qui lui convient le mieux. Quelques uns
de ces agens du Commerce opprime, insubordonnés il est vrai, mais secourables,
succombent à la frayeur, ou cèdent à la Majesté du
nom qu'on employé contre eux, ils le laissent arrêter ; & le
plus doux, & le plus sensible des hommes, & M. le Marquis DE
BECCARIA, les auroit condamnés aux galères, quand il a composé son
traité des Délits & des Peines.
Homme respectable & tendre, c'est cette erreur que nous regardons comme
le plus sur garant des efforts que vous ferez pour l'expier! Oui, oui vous
combattrez jusqu'à votre dernier soupir pour des principes plus justes & plus
humains. Le tourment d'un sage, tel que vous, seroit de penser que ses talens égarés
par son zèle auroient pu contribuer au malheur du monde, & à celui
d'un grand nombre d'individus qui ne l'auroient pas mérité. Si
vous laissiez approcher le terme de vos jours sans démontrer de mille
façons combien la liberté entiere & générale
du commerce seroit utile, & doit être sacrée dans tout pays,
votre raison, trop tard éclairée, vous livreroit aux remords
dévorants. Vous croiriez sans cesse entendre à vos côtes
un Galérien | secouant ses chaines, & vous criant d'une voix effrayante
: " Philosophe, qui conseilles les Rois ; toi sur l'avis duquel ils m'ont banni
de la famille sociale, & chargé d'opprobre & de fers ; avant
de les induire à prononcer des decrets si terribles, as tu pesé ce
que valoit la liberté de l'homme ? As-tu seulement considéré ce
qu'elle est de sa nature & qu'elle doit être ? As-tu examiné si
ce sont les loix qui l'ont établie, ou si plutôt ce n'est pas
pour la maintenir que toutes les sociétés ont établi des
loix? As-tu consulté la justice, souveraine impartiale & commune
des Souverains & des Peuples ? As-tu remonté à la notion
primitive & claire du droit, contre lequel les erreurs des Ordonnances
positives ne peuvent jamais acquérir de prescription ? As-tu songé que
le Dieu qui nous soumit aux besoins & au travail, qui nous donna la sensibilité physique, & la
compassion & l'amour, qui nous força de nous chérir nous
mêmes & nos proches & nos femmes & nos enfans, nous a imposé en
naissant la loi suprême de faire leur bien être & le nôtre
sans nuire à autrui ? Voilà le seul délit reconnu par
la conscience & par la raison, nuire à autrui ou l'empêcher,
| d'obéir à la loi générale & divinement
impérieuse, qui prescrit à chaque individu de faire son sort
le meilleur possible, sans usurper sur les droits de ses semblables, lesquels,
ont comme lui, reçu la même loi de leur nature. La liberté du
commerce & des travaux ne s'oppose point à cette loi sacrée,
elle en est au contraire l'exercice naturel ; par cela même, qu'elle
est liberté & que tous ses actes résultent du consentement
volontaire de tous les contractans. Elle ne peut donc jamais renfermer de délit.
Je n'ai fait que jouir de cette liberté, j'ai acheté à ceux
qui ont trouvé du profit à me vendre; j'ai vendu à ceux
qui m'ont donné la préférence. Pourquoi donc me fais-tu
traiter comme un homme coupable des plus grands forfaits ? La justice dépend-elle
de ton jugement arbitrairement hasardé? Mortel, que j'ai cru bon, es
tu donc aussi de ceux qui forgent des crimes à leurs pareils, pour avoir
le plaisir atroce de les punir ? . . . Tu veux m'interrompre, arrête.
Tu prétends que mon commerce exercé librement, nuisoit à celui
des autres, Marchands, nationaux comme moi, qui en différens tems ont été privilégiés.
Mais ces Mar-|chands, on a la date de leurs priviléges. Celui qui donne à tous
les hommes la liberté du commerce & du travail, est d'une antiquité plus
reculée, il fut scellé par une autorité bien supérieure
; l'Arbitre éternel de la nature en fit don au premier être de
l'espèce humaine. Celui-ci le transmit à ses descendans avec
les propriétés physiques & morales, qui le leur rendent nécessaire, & qui
leur en assurent le droit. C'est 1'usage de ce droit naturel qui a fait
prospérer les premieres associations, & qui les a conduit au point
où la multiplicité des hommes & l'inégalité nécessaire
des fortunes & des moyens, exigeoient pour le maintien même de ce
droit, l'établissement d'une autorité supérieure & tutélaire,
qui garantit à chacun la libre disposition de ses facultés, & la
propriété entiere des choses acquises par leur emploi licite.
Dès leur institution solemnelle, les Souverains n'ont donc eu avec la
liberté du Commerce, d'autre rapport que celui de Protecteurs nécessaires.
C'est sur cette qualité bienfaisante qu'est fondée leur autorité.
C'est elle qui motive la soumission qui leur est due. Si depuis, des Marchands
ont trouvé le moyen d'é-|garer assez le zèle de cette
autorité pour en obtenir des privilèges qui restraignent les
droits de leur Concitoyens, ce sont ces Marchands, & leurs Avocats, & leurs
Patrons, qui ont désobéi à la Loi naturelle; ce sont eux
qui ont employé la sédition & la force pour violer les conditions
du pacte social; ce sont eux qui ont commis un délit très grave,
qu'il auroit fallu réprimer & punir.
On dit que tu as fait imprimer qu'en facilitant à mes Concitoyens le
débit des productions de leur territoire, & en les fournissant des
marchandises dont ils avoient besoin à un prix modéré,
que les droits d'entrée & de sortie avoient prohibé, je
volais le Fisc public. Avant de te livrer à cette accusation, dont
je suis la victime, il auroit fallu examiner si des impôts qui, comme
les droits d'entrée & de sortie renchérissent les dépenses & restraignent
les moyens de dépenser; si des impôts qui, comme les droits d'entrée & de
sortie privent les productions de leur prix naturel, qui enlevent à la
culture le profit qui en est l'objet, qui diminuent la totalité des
récoltes & la valeur de chacune de leurs parties, qui par conséquent
anéantissent doublement le produit net que ces | récoltes devroient
fournir, & la portion que le Souverain en devroit retirer; si de tels impots
ne sont pas les premiers voleurs du Fisc public, les premiers ennemis
de la puissance du Prince, & de la prospérité de la Nation.
On assure que d'autres Philosophes, tes confreres, ont démontré avec
la plus grande évidence que les droits d'entrée & de sortie
produisoient nécessairement tous ces désordres funestes.
S'ils ont raison, comme je le crois, loin d'avoir volé le Fisc en usant
du droit que la nature m'a donné à la liberté du Commerce,
j'ai contribué à la formation du revenu public & j'ai favorisé son
accroissement, en contribuant à la bonne valeur & favorisant le
débit des productions du Pays, qui sont la base de tout revenu. J'ai
donc servi réellement l'Etat. Je ne suis donc pas criminel. Ce
n'est pas cependant que je ne puisse être blamable ; car, j'avoue
que j'ai manqué à la subordination: C'est une espèce de
désordre auquel la misère m'a forcé. Il ne m'appartient
pas de décider jusqu'à quel degré une Ordonnance nuisible à la
Société & au Souverain, que celui-ci n'a pû prononcer
que par erreur, & que les Magistrats n'ont pû adopter que par l'effet
d'une | ignorance d'autant plus criminelle, que le devoir & les droits
de leur ministère leur prescrivent de s'éclairer & de n'être
pas ignorants, est & doit être obligatoire pour les hommes que ses
mauvais effets ont plongé dans l'infortune. C'est une question délicate
que je laisse à discuter aux Philosophes, comme toi. Peut-être
devez vous y penser : mais vous devez bien plus encore répandre tant
de lumières sur l'Ordre social & sur les Loix naturelles qui en
sont la base, que les Souverains ne soient plus exposés au malheur de
voir leurs bonnes intentions séduites par ceux qui sollicitent de telles
Ordonnances. Voilà la tâche des hommes habiles & studieux
; voilà la tienne. Jusqu'à ce que tu ayes employé toutes
tes forces à la remplir, Dieu te demandera compte, ainsi qu'à tes
pareils, des erreurs des puissants & des souffrances des foibles, que vos
talents pouvoient & devoient prévenir on diminuer. Tu répondras
comme eux, au Tribunal de sa Justice suprême, de mes fatigues, de
mes maux, de mon affreux & long desespoir."
90 (8) (Cette Note est celle dont le
renvoi se trouve à la page 81, & l'objet principal
aux pages 78 | & 79.) Avant de quitter ces Maximes, nous remarquerons
que l'argent n'est pas un signe uniquement représentatif;
qu'il est de plus un gage intermédiaire, entre les ventes & les
achats; qu'il a par lui-même une valeur usuelle, comme
un métal propre à beaucoup d'usages, & que son incorruptibilité rend
précieux ; que sa rareté ajoute au prix de cette valeur
usuelle & en augmente la valeur vénale; & que
cette valeur vénale, qui en fait un gage assuré de
remplacement en toute autre production, lui donne la propriété de
completter en quelque façon le payement : ce qu'un simple signe
uniquement représentatif ne pourroit faire. Les Politiques
modernes avoient attaché beaucoup trop d'importance à l'argent,
qu'ils avoient regardé très ridiculement comme objet
principal dans le Commerce. Il est fort sage de revenir de leurs préjugés,
mais pour mettre l'argent à sa place véritable, il faut
partir de ses propriétés physiques.
91 (9) Il nous semble que la connoissance
de toutes ces particularités ne peut pas suppléer celle
de la justice & du droit naturel, & que la connoissance
de la justice qui suppose celle du droit na-|turel,
peut au contraire suppléer très complettement celle de
tous ces faits particuliers. La chose nous paroît même fort
heureuse, car la plupart de ces faits sont impossibles à bien
connoître, surtout quand on veut les embrasser tous comme M. DE
BECCARIA le propose.
Nous l'avons déja dit, (note 5, p. 63 & suiv.) en se chargeant la
tête d'un nombre si prodigieux de faits heterogenes, on s'expose à perdre
au travers du cahos qu'ils forment, le fil des principes qui doivent servir à juger
ces faits quand on les rennontre [sic], & épargner la peine
de courir après.
Que dit la justice au sujet de l'administration du commerce ? Elle dit
que tout homme a le droit de le faire comme il l'entend ; parceque le commerce
entre les hommes étant par sa nature une suite d'actes de gré à gré,
il ne renferme rien qui porte le caractere d'usurpation sur le droit d'autrui
; & que l'administration n'étant instituée que pour prévenir
les usurpations & réprimer les usurpateurs, elle n'a le droit d'empêcher relativement
au commerce que ceux qui veulent empêcher les autres.
Que dit la politique? Elle dit qu'en laissant faire | tout le monde, comme
tout le monde en a le droit, on est sûr d'arriver sans peine au résultat
qu'on chercheroit très péniblement & très inutilement,
en multipliant les réglements. Car quoique l'administration ne puisse
pas savoir tous les faits qui doivent décider de toutes les opérations
des particuliers, cela n'empêche point que chacun de ces particuliers
ne soit personnellement très éclairé sur le petit nombre
de faits qui concernent ses opérations ; & l'on peut se fier à eux
du soin qui les porte à l'être, car leur fortune y est attachée.
Quand l'administration laisse faire chacun selon son intérêt,
elle peut donc s'assurer que tout sera bien fait, & à tems. Les
hommes n'ont pas besoin qu'on les contraigne pour faire leur propre avantage.
Dans les affaires particulières, ils savent toujours mille fois mieux
que l'administration en quoi consiste cet avantage : celle-ci n'est donc pas
obligée de le chercher pour eux Il suffit qu'elle favorise les savants
qui répandent des lumières sur l'intérêt des hommes & sur
les arts, qu'elle encourage les inventions méchaniqucs qui épargnent à profit
le travail & la dépense, & qu'elle réprime vigoureuse-|ment
les tentatives de ceux qui veulent priver les autres de la liberté de
leurs facultés & de l'usage des choses dont ils sont propriétaires.
Pour remplit cette derniere & principale fonction de son ministère,
il suffit encore en laissant à tout le monde le droit de réclamation
publique, d'attendre que les plaintes fassent connoître le délit.
Car le mal dont personne ne se plaint, ne vaut pas la peine que le Gouvernement
s'en occupe. Quand il y a plainte publique, que les défenses ont été entendues
publiquement, & que la liberté générale des discussions
a laissé le champ libre à tous les intervenants, le droit
naturel & la justice ont bientôt prononcé l'arrêt
par la bouche de l'autorité.
Il n'y a que dans les mauvais Gouvernements qu'il seroit nécessaire
que l'autorité fût déposée entre les mains d'hommes
fort laborieux, fort instruits & d'un génie très supérieur.
Alors le sort de la Nation est attaché à celui d'un individu.
L'Etat languit ou périt quand le grand homme est expiré. Mais
ce à quoi toute politique doit tendre, & ce que l'étude du
droit naturel devenue bien générale pro-|duiroit toute seule,
c'est que le Gouvernement soit constitué de manière que tout
homme honnête & connoissant les règles de la justice par essence,
puisse administrer les affaires publiques avec la plus grande gloire & le
plus grand succès, en n'y employant qu'un travail très modéré.
Il est certainement bien plus sage, & il doit être bien plus utile
de mettre l'art de régir les Nations à la portée des hommes
ordinaires, que de le compliquer de manière qu'il faudroit fabriquer
des Anges pour en faire des Administrateurs. On a jusqu'à présent
employé la seconde méthode, & l'on s'en est souvent mal trouvé.
Il n'en a couté pour inventer la première, que de remonter aux
principes de la Justice, qui embrassent tous
les résnltats [sic] de l'intérêt.
97 (10) A cette idée grande & sage
de l'influence que la Science de l'Economie politique doit avoir sur
la Jurisprudence particulière, nous reconnoissons le génie
Philosophique qui a mérité à M. DE BECCARIA, l'estime & l'admiration
de son siècle.
On entend très bien ce que vent dire la fin de la phrase : Interpretando
i casi, dubbj ed incerti, la legge interminabile dell' utile, e le norme eterne
dell' equità universale, tutte stabilite sulle Massime della publica
Economia. Elle nous paroit rendue fidèlement dans la Traduction, & l'on
y remarque assez combien l'illustre Professeur est frappé de la liaison
qui se trouve entre les règles de la Justice, la Loi de l'utile, & les
Maximes de l'Economie publique. Nous croyons cependant qu'il seroit à desirer
que les membres de cette phrase fussent transposés, & qu'ils eussent
plus de développement, 1°. Parceque les règles éternelles
de la Justice ne sont certainement pas fondées sur les Maximes
de l'Economie publique, dont elles | sont au contraire le fondement solide & nécessaire.
2°. Parceque l'idée de l'utile, quand elle n'est pas assez complettement
détaillée, peut conduire, & a effectivement conduit à de
grands écarts, & à de pernicieuses erreurs. Les Nations se
sont fait, à elles-mêmes & réciproquement, une infinité de
maux, dans la vue, mal saisie, de leur utilité. L'idée
de l'utile peut, à des esprits ignorants, paroître souvent
en contradiction avec les règles de l'équité. Il
ne faut donc pas les présenter sans explication sur la même ligne
; car on risqueroit, sur-tout relativement à l'Economie publique,
de rencontrer des gens peu scrupuleux, qui se tromperoient comme THÉMISTOCLE,
en trouvant qu'on leur propose la chose la plus utile & la plus injuste, & qui
auroient la foiblesse de balancer sur le choix. Ces gens auroient grand tort
sans doute, mais il faut beaucoup de lumières pour se convaincre qu'il
n'y a d'utile que ce qui est juste. M. le Marquis DE BECCARIA
en est surement bien convaincu : cela ne suffit pas: il est digne de lui, de
faire passer le même sentiment dans l'ame de ses Lecteurs, avec tout
l'éclat de l'évidence dont la vérité qui en est
l'objet est sus-|ceptible ; & après leur avoir appris à ne
chercher l'utilité que dans la justice, il faut encore
leur montrer à discerner en toute occasion ce
qui est juste.
101 (11) On ne peut qu'applaudir à cette
tirade sublime, qui suffiroit pour prouver combien M. DE BECCARIA est
digne à tous égards de l'emploi qui lui est confié,
quand il n'en auroit point donné d'autres preuves. Il n'a plus
qu'un pas à faire pour sentir que le Commerce extérieur
ne doit pas être administré dans d'autres principes que
le Commencement [sic] intérieur ; qu'il n'y a entr'eux
aucune différence réelle, puisque l'un & l'autre
consistent dans le débit qui se fait des productions des marchandises,
par le moyen de l'échange ; qu'il seroit également
ridicule & injuste, à l'extérieur comme à l'intérieur,
de vouloir gêner la circulation des denrées par des
droits sur leur transport; d'arrêter les opérations rapides & pressantes
du Commerce par les procédures lentes & symétriques qu'entrainent
les droits d'entrée & de sortie ; | d'imaginer enrichir
un Etat en resserant les dépenses des particuliers riches,
entre un certain nombre de fournisseurs privilégiés nationaux, en
desséchant les sources de l'industrie, en émoussant l'aiguillon
du travail, en éteignant l'espoir d'une meilleure condition,
par les obstacles que des impositions onéreuses opposeroient
au Commerce extérieur, à sa réciprocité nécessaire, à la
facilité des retours, à celle des paiements qu'on voudroit
obtenir de l'Etranger ; & enfin, de soumettre les marchandises
ouvrées à une discipline monastique, en vertu de
laquelle, avant d'acheter une pièce d'étoffe, il faudroit
se faire représenter l'Extrait de Baptême du Fabriquant, & la
preuve de son domicile sur une Paroisse du
Pays.
104 (12) Del ruvido Agricoltore.
Il paroit qu'en continuant son ironie, M. de BECCARIA parle ici de l'Agriculteur
en employant à dessein l'épithette qui lui seroit donnée
par les indolents orgueilleux dont il vient de parler. Il est
vrai que quand l'Agriculteur seroit grossier, il n'en seroit
pas moins laborieux & utile, & par conséquent
beaucoup plus respectable que les hommes de tout rang qui ne sont ni
l'un ni l'autre. Mais il faut bien se garder de croire delà, que
la grossièreté soit un attri-|but de l'Agriculture.
Au contraire, dans les cantons où quelques bonnes institutions,
ou quelques circonstances heureuses, ont permis aux, Cultivateurs de
connoître l'aisance, ils font toujours simples, parceque
leurs travaux vraiments [sic] grands & nobles entretiennent
la simplicité de l'ame, mais. ils sont instruits & honnêtes, & nullement grossiers.
Lorsque dans un Pays on voit les vertus des Agriculteurs enveloppées
dans une écorce rude &grossière, il en faut
conclure & que ces Agriculteurs sont pauvres, & par conséquent que
le Pays est mal gouverné.
108 (13) Il nous semble que cette dernière
phrase n'est | point exacte. Nous croyons que dans le commencement des
Sociétés, les hommes n'ayant les uns avec les autres que
des rapports très simples mais très nécessaires, étoient
fortement sensibles à l'attrait & à l'utilité de
la concorde & des secours réciproques, & facilement guidés
par la notion de la justice. Alors. tous les biens de chaque individu étant
très bornés, pouvoient facilement être sous sa garde
directe. Personne n'auroit pû attenter à la propriété d'autrui,
sans s'exposer évidemment à un combat dangereux & à des
représailles funestes. Le champ étoit libre pour les recherches
de ceux qui vouloienr acquérir sans risque & sans injustice.
Il n'y avoit donc point d'intérêt à attaquer les
droits de ses semblables. Bien loin delà, il y avoir un intérêt
très évident à s'assurer leur bienveillance & leurs
services, en retour de la bienveillance qu'on leur temoigneroit, & des
services qu'on pourroit leur rendre. Les travaux utiles à chacun
ne pouvoient manquer de réussir mieux, quand l'union des forces & de
l'intelligence de tous en faciliteroit le succès. Tour cela étoit
très manifeste pour tous, & par conséquent ces | associations
primitives devoient naturellement & sans effort se conduire d'une
manière très conforme à l'ordre le plus juste & le
plus avantageux.
Le Peuple Chinois, le seul qui ait constamment eu soin de faire manifester
par l'instruction perpétuelle dans la Société formée,
les principes, les droits & les intérêts dont l'évidence
avoir assuré les progrès de la Société naissante,
a resté le plus fidèlement attaché à l'observation
de l'ordre naturel des Sociétés, & il s'est élevé à un
dégré de prospérité constante, & supérieure à celle
que toutes les autres Sociétés ont pû connoître.
Celles-ci, chez lesquelles les établissements, propres à instruire
sans cesse tous les hommes de leurs intérêts mutuels, de leurs
droits & de leurs devoirs, ont été ou négligés,
on détruits, ou corrompus, se sont bientôt égarées;
la complication occasionnée par une infinité de faits mal
connus a rendu l'expérience incertaine, les droits équivoques,
les devoirs inexactement remplis les intérêts réciproques
violés de mille façons. Tous ces maux ont été la
suite nécessaire de l'ignorance. Par eux la route de l'ordre est devenue
impossible à découvrir pour | ceux qui voudroient la chercher
au milieu de la multitude des faits particuliers; & facile à reconnoître,
seulement pour ceux qui remontent aux idées primitives, & aux principes
simples & physiques de la formation & du
maintien des corps politiques.
112 (14) Si les hommes trafiquoient des
denrées nécessaires à la vie, ils ne se les arrachoient
point des mains à force armée : car aucun acte ne seroit
plus contraire au trafic. Il n'est pas vrai que dans le commencement
des Sociétés, les hommes ayent été ainsi
en guerre les uns avec les autres. Cela n'est même pas possible,
car une telle conduite eut été contraire à leur
avantage & à leur nature, & les auroit conduit à leur
destruction totale.. Tous les Peuples sauvages sont très doux
avant que d'avoir été offensés. Nous n'avons point
trouvé la guerre parmi eux; nous l'y avons semée
en les séduisant, en les trompant, en leur persuadant que leurs
voisins vouloient leur nuire, en leur nuisant nous-mêmes, en cherchant à les
réduire en esclavage par leurs propres mains. Un des devoirs des
Philosophes est de ne point calomnier la nature humaine, en lui attribuant
dans sa simplicité, les crimes que l'ignorance cupide a enfanté dans
les Sociétés désordonnées.
114 (15) Voyez dans la note 8, ( pag. 91.)
que les métaux monnoies ne sont pas seulement signes représentatifs,
mais gages intermédiaires & valables entre les ventes & les
achats. Nous ne nous arrêtons pas à quelques uns des motifs
que l'Auteur suppose dans la recherche des métaux , & qui
nous paroissent puisés dans des idées plus modernes. A
l'égard de l'effet que produisit 1'usage des métaux monnoies,
quoiqu'il dût être très marqué, & faciliter
beaucoup le Commerce, la révolution ne fut peut-être
pas aussi grande que le pense M. le Marquis DE BECCARIA; car il
remarque lui-même que la monnoie en marchandises d'un usage journalier,
(pecunia) a précède la monnoie de métal (moneta).
Dans l'Empire des Yncas, qui étoit | parvenu à un
très haut point de prospérité, & dans lequel
les Arts mêmes étoient considérablement perfectionnés,
on ne connoissoit pas encore cette dernière espèce de monnoie
lorsqu'il tomba sous le fer des barbares.
116 (16) Nous nous faisons honneur de ne
pas entendre l'expression qu'adopte ici M. le Marquis DE BECCARIA, & qui
a été inventée par la politique jalouse des Nations
modernes. Comment les Nations avec lesquelles les Phéniciens cornmerçoient
pourroient-elles être regardées comme leurs tributaires.
Les Phéniciens, par exemple, alloient en Egypte,
ils y achetoient du bled & ils donnoient en retour de l'huile & des
figues qu'ils avoient achetées en Grece. Quel étoit
en cela le désavantage des Egyptiens & des Grecs?
Les uns & les autres trouvoient un débouché pour des
productions surabondantes, à qui ce débouché procuroit
de la valeur , ce qui augmentoit le revenu de leur territoire. Les uns & les
autres voyoient | accroître leurs jouissances par la consommation
de la denrée étrangère qu'on leur donnoit en payement.
Ils étoient donc évidemment plus riches, & faisoient
un plus grand usage de leurs richesses : en quoi cela ressemble-t-il à payer
un tribut? Autant auroit valu dire que les Phéniciens,
qui contribuoient par leurs services à l'accroissement de la richesse
des Egyptiens & des Grecs, étoient esclaves de
ces deux Nations. Cette expression seroit également fausse. Personne
n'est tributaire & personne non plus n'est esclave par le Commerce
, ni ceux qui le font, comme les Nations agricoles, ni ceux qui servent à le
faire, comme les Nations voiturières. Tout le monde y gagne, & si
tout le monde n'y gagnoit pas, il n'y auroit point de Commerce. Car,
comme nous l'avons remarqué, (& quand nous l'aurions pas remarqué,
la chose parle assez de soi,) le commerce ne renferme qu'une suite de
contrats auxquels tous ceux qui y ont part ne se déterminent que
par l'évidence de leur avantage. Les Nations ne s'accoutumeront-elles
donc pas à sentir que tous les profits entr'elles sont réciproques
? Ces augustes | Soeurs ne quitteront- elles pas bientôt un langage
qui leur fut suggéré par des esprits envieux & avides, & qui
ne décele que l'envie de prévaloir, & les petites vues
d'une politique étroite, dure, haineuse,
ignorante?
123 (17) Ce sont les propres termes de
l'italien, epoca fondamentale del commercio. Cependant l'Auteur
qui vient de parcourir l'histoire du trafic de tous les anciens
Peuples , & qui nous a dit si sagement plus haut, que les hommes
n'existerent jamais sans connoître le Commerce, (pag. 107.)
sait bien que l'invention des Lettres de change n'en est pas l'époque
fondamentale. Il veut donc | seulement dire que ce fût une grande & interessante époque.
Quand les hommes éloquents se livrent à leur enthousiasme,
il leur arrive aisément d'employer des mots plus forts que
les choses. Cela nuit à l'exactitude philosophique; &quelquefois
au succès des vérités qu'ils veulent dire, & contre
lesquelles le Lecteur se prévient alors comme contre des exagérations.
C'est donc un défaut ; auquel il est très facile de se
laisser entrainer, parcequ'il est séduisant & qu'il émeut
les Lecteurs peu éclairés sur le fond. Mais c'est par cela
même un des défauts qu'il faut éviter avec le plus
de soin. L'éloquence qui se captive à n'employer que le
mot propre, a des succès bien plus certains & bien plus
désirables. Elle devient celle des choses, bien autrement
puissante que celle de l'expression.
Il est sûr que l'usage des Lettres de change a considérablement
facilité les opérations du Commerce. M. DE MONTESQUIEU a fixé l'époque
de leur invention à celle des persécutions que les Juifs ont
essuyées dans les siècles de notre barbarie féodale, qui
ne constituant point de revenus aux Souverains, ne leur laissoit que la ressource
odieuse | de piller ceux qui étoient hors d'état de se défendre
; méthode injuste, cruelle & désastreuse, de laquelle la
taille arbitraire, & toutes nos autres impositions indirectes & anticipées
ont tiré leur origine. M. le Marquis DE BECCARIA adopte ici l'opinion
de M. de MONTESQUIEU. Cependant si l'on songe qu'il est impossible que les
Anciens, faisant un très grand Commerce réciproque, il ne leur
soit pas venu dans l'idée de transporter souvent & mutuellement à leurs
correspondants la propriété de ce qui leur étoit dû dans
des lieux éloignés, & de faire ainsi des échanges
de créances pour leur commodité respective, on verra que l'origine
des Lettres & Billets de change, qui sont le moyen naturel de ce transport,
doit remonter beaucoup plus haut. Quoique les Auteurs anciens nous ayent laissé très
peu de lumières sur la manière dont s'exerçoit leur Commerce,
nous nous souvenons fort bien d'avoir vû en plusieurs endroits (que la
rapidité avec laquelle nous sommes obligés d'envoyer ces Notes à la
presse nous empêche de citer ici) des traces de ces transactions qui
constituent l'essence des Lettres de change. Elles ont pu | devenir plus communes
parmi nos Nations, modernes depuis les persécutions exercées
contre les Juifs, & depuis la renaissance du Commerce extérieur,
trop long-tems étouffé par le despotisme féodal; mais
nous ne nous en croyons pas moins fondés à avancer que leur usage
est, comme beaucoup d'autres, une de nos inventions renouvellées
des Grecs ou même de Peuples plus anciens.
127 (18) Voyez la Note 8, p. 91, & la Note
15, page 114.
128 (19) Le fameux Acte de Navigation,
porté en 1652 par ce même Parlement qui, trois ans auparavant,
venoit de faire couper la tête à CHARLES I, & digne
en effet de ces tems ou l'ignorance, le fanatisme & l'anarchie déchiroient
l'Angleterre sous les drapeaux sanglans de Cromwel; le fameux Acte
de navigation a soumis les Anglois à un monopole légal.
Il a renversé la | Constitution Britannique. Il a violé les
droits & l'intérêt légitime de ceux qui sont
les véritables Membres de 1'Etat, c'est-à-dire de ceux
qui possedent les terres & les richesses d'exploitation qui les mettent
en valeur ; afin d'augmenter injustement les profits de ceux qu'ils
payent pour débiter leurs productions , & pour leur voiturer
les productions étrangères qu'on leur donne en retour.
Il a appauvri les maîtres de la maison, pour enrichir leurs valets
de leurs dépouilles. Il a principalement contribué à former
ces fortunes pécuniaires qui ont jetté la Grande-Bretagne dans
le délire funeste des emprunts publics. Les Armateurs de Londres,
de Bristol & des autres Ports d'Angleterre, ont rapidement
accru leurs capitaux aux dépends de leurs Concitoyens, & par
l'effet du privilège exclusif de voiturage qu'on leur avoit accordé.
Devenus plus considérables par l'injustice que donnent les richesses,
ils ont entraîné la Nation dans des guerres de Commerce
au-dessus de ses forces, & qui n'avoient que leur intérêt
particulier exclusif pour objet. Pour soutenir ces guerres, ils ont paru
offrir des secours; mais ces | secours ils les ont vendus au poids de
l'or. Ils ont fait acheter a la Nation l'argent dont ils l'avoient déja
frustrée par leurs gains excessifs; ou plutôt, ils
ont, avec cet argent, acheté la moitié de la Nation,
de ses terres, de ses revenus, en laissant les Propriétaires chargés
de l'entretien, des risques, des cas fortuits, des soins & des réparations.
La Nation, en consommant ainsi le capital de ses richesses, dans les
entreprises ruineuses que ses voituriers lui avoient suggérées,
a montré une grande puissance Il n'y a aucun peuple qui n'eût
pu en faire autant à pareil prix. Avec trois milliards & demi de
capital, on peut avoir beaucoup de vaisseaux & de canons , & payer
un grand nombre de Matelots. Mais les efforts que l'on fait avec son
capital, ne sauroient être que passagers. Ce capital s'épuise
; le terme arrive ou en subvenant à ses charges indispensables,
il ne peut plus satisfaire au payement de la dette ; la pésanteur
des arrérages devient extrême, les remboursements impossibles.
Dès-lors la ressource même des emprunts disparoit. Car les
Trafiquants privilégiés ne veulent prêter
qu'avec sureté les richesses mêmes qu'ils ont extorquées à la
Nation. | Celle-ci reste abandonnée à un épuisement
d'autant plus grand, que l'explosion de ses forces d'emprunt fut
plus formidable. Il y a long-tems que ce moment seroit arrivé pour
les Anglois, si les encouragements donnés à l'exportation
des bleds, & la sureté dont ont joui les richesses
d'exploitation dans leur Isle, relativement à l'impôt territorial,
n'avoient soutenu leur Agriculture. Mais ils paroissent résolus
aujourd'hui à interdire ou à restraindre beaucoup cette
exportation des grains qui a fait leur grandeur réelle ; & les
taxes sur les consommations qui se multiplient chez eux, attaquent indirectement
ces richesses d'exploitation qui ont entretenu leur opulence. S'ils continuent,
il ne sera pas difficile de calculer le moment précis , où le
privilège de leurs voituriers deviendra presque inutile à ceux-ci,
faute d'occasions suffisantes pour l'exercer ; où l'Etat, faute
de moyens, ne sera pas le maître de se charger des matelots qu'ils
laisseront sans occupation, bien loin qu'il puisse les enlever de force,
comme il l'a fait très durement & très injustement
jusqu'à ce jour; où il faudra renoncer à toute vue
de politique extérieure; où dans l'intérieur il
faudra manquer à la foi réci-|proque , & décider à coups
de fusil qui des anciens Propriétaires ou des Créanciers
de l'Etat demeurera possesseur du territoire ; & ou, quand après
cette décision terrible, on recommencera à cultiver le
sol comme dans une Colonie nouvelle, on reconnoîtra, trop tard,
si la proclamation d'un Acte de navigation exclusive doit élever ou abattre
les courages de ceux qui aiment leur patrie & l'humanité.
Sans cet Acte trop fameux ; sans la diminution qu'il a
causée de deux manières dans la valeur utile des productions
nationnales [sic], en surchargeant les frais de leur débit, & en
accroissant le prix des productions étrangères qui servent à les
payer, (diminution que des calculateurs modérés estiment à un
sixième de la valeur totale ou à environ moitié de
la somme du produit net) ; sans les guerres que cet Acte & ses suites
ont occasionnés directement ou indirectement; sans les emprunts que
ces guerres ont nécessités, que les gains des privilégiés
ont facilités, & dont les arrérages se montent à près
de la moitié de ce qui peut rester de produit net sur le territoire;
sans les impositions indirectes, dont les arrérages de ces emprunts
ont fait aggraver le | faix, & qui achevent de miner ce produit net déja
tant affoibli ; l'Angleterre auroit peut être joué pendant
quelques années un rôle moins brillant, moins nuisible aux autres
Nations & à elle-même : mais elle seroit très proche
du faîte de la prospérité durable, & elle jouiroit
d'une puissance qui seroit évidemment quadruple au moins de celle à laquelle
elle est réduite aujourd'hui. Il ne s'agit pas ici d'examiner si depuis
1652, les autres Etats européens ont été mieux gouvernés
que l'Angleterre. Il importoit seulement d'apprécier les avantages
ou plutôt les malheurs qui ont été pour elle le fruit de
son Fameux Acte de navigation.
133 (20) Les Compagnies de Commerce,
comme toute autre espèce de Société laborieuse,
doivent être libres de se former, & elles peuvent être
fort utiles, quand elles n'empietent sur la liberté de personne.
Pour ce qui est des Marchands conquérants, lorsqu'ils savent
leur métier & qu'ils ont, comme ceux des Compagnies européennes,
des privilèges exclusifs, ils font avec raison payer BIEN CHER leurs
conquêtes à ceux qui les mettent en oeuvre & qui viennent
se fournir dans leurs magasin. Reste à savoir ce que valent des conquêtes ?
Si elles ne | sont pas l'acte le plus injuste & le plus méprisable?
S'il n'est pas odieux d'en faire ? S'il n'est pas fou de les payer, & sur-tout
de les payer beaucoup plus qu'elles ne valent, en les achetant de la seconde
main, à des porteurs de privilèges
exclusifs ?
134 (21) En général on ne
sauroit être trop indulgent dans les jugements qu'on porte des
Princes & des Administrateurs, qui ne font presque jamais de mal
sciemment, & qui ont toujours l'intérêt & presque
toujours le desir de faire du bien à tout le monde. Mais si l'on
doit respecter leurs bonnes intentions, il n'en est pas ainsi de leurs
erreurs, qui sont directement opposées à ces bonnes intentions, & qui
font le malheur des Peuples dont il [sic] cherchent la félicité.
On nous permettra donc, en rendant hommage aux deux grands hommes que
cite ici M. DE BECCARIA, de remarquer, que bien loin d'avoir relevé la
France, on doit regarder l'époque de leur Administration comme
celle des erreurs qui lui ont été le [sic] plus
préjudiciables, & dont nous ressentons encore les conséquences
funestes.
Louis XIV, aimoit passionnément la gloire; il vouloit être admiré de
ses Sujets & de ses Voisins. On lui persuada, & (il faut en convenir à la
| honte de l'esprit humain) ce furent principalement les louanges inconsidérées,
des Gens de Lettres, même les plus illustres de son tems, qui lui persuaderent
que la gloire d'un Souverain consistoit dans l'éclat de ses conquêtes, & dans
la magnificence de sa Cour. Il voulut donc être Conquérant. Il
fit périr un million de braves gens, & ruina des pays auparavant
heureux & fertiles , pour satisfaire cette fantaisie que des Courtisans,
des Poëtes & des femmes lui avoient inspirée. Peut être
fit-il pis encore, en attirant tous les grands Propriétaires auprès
de sa personne, en portant dans ses dépenses, & en les incitant à porter
dans les leurs le faste le plus excessif, en introduisant enfin, dans les moeurs
de la Nation, ce luxe dissipateur dont elle n'a pas cessé depuis d'être
la proie. Il aimoit son Peuple cependant; il auroit souhaité que ses
Sujets fussent tous riches, & heureux. Cela entroit même dans ses
vues de gloire, comme occasion de louanges, & comme moyen d'avoir un Empire
plus puissant & plus redoutable. Si l'on eût donc éclairé cette
passion dominante au lieu de l'égarer comme on fit, il est | certain
que son rêgne eût été aussi distingué, par
les avantages qu'il auroit procuré à la France, que sa personne & son
ame l'étoient par les qualités héroïques que lui
avoir prodigué [sic] la nature.
Mais afin de diriger constamment au bien des Peuples, l'amour que le Monarque
avoit pour les grandes choses, il auroit fallu que le zèle de M. Colbert fût
lui-même plus éclairé. Ce Ministre actif sentoit mieux
que personne que la prospérité de l'Etat, seroit le seul fondement
solide de la grandeur du Maître au service duquel il avoit voué ses
travaux. il s'occupa du bien public avec l'ardeur la plus laborieuse ; mais
plus on se donne de peine pour avancer quand on a manqué la route, & plus
on s'égare. M. Colbert vouloit, & travailler, & faire
remarquer à son Prince qu'il travailloit beaucoup. Il tourna donc ses
soins vers les manufactures de luxe, dont on pouvoir faire venir les Ouvrages à la
Cour. Il appella des Artistes étrangers, & d'une main leur donna
des priviléges exclusifs, tandis que de l'autre il gênoit leurs
travaux par des réglements. Les Priviléges exclusifs nuisirent à l'industrie
natio-|nale de ceux qui auroient concouru avec les nouveaux venus. Les Règlements empêcherent
la leur de prospérer. Soit que M. Colbert, qui méconnoissoit
entièrement la véritable source des richesses, de même
que les droits naturels des Citoyens, & qui croyoir pouvoir disposer de
tout avec des Ordonnances, imaginât de soutenir ces Manufactures
recherchées, en nourrissant leurs Ouvriers à bas prix ; soit
qu'il partageât les terreurs antiques sur la liberté du Commerce
des Grains ; il resserra considérablement & interdit fréquemment
le débit de cette production principale du territoire. Les autres productions
ne furent bientôt guères mieux traitées, la magnificence
ruineuse du Monarque & l'augmentation prodigieuse des Troupes, accroissoient
tous les jours ce qu'on appelloit les besoins de l'Etat. Le Ministre
accrut les taxes arbitraires & les impositions indirectes. Il établit
des droits d'entrée & de sortie sur toutes les marchandises ; il
fit des tarifs, & encore des tarifs ; il réputa étrangères
des Provinces du Royaume, pour multiplier les droits sur les communications
intérieures. Il garota de | toutes parts le Commerce qu'il avoit d'abord
voulu encourager. Il surchargea les vins dans le tems même où il
avoit déja ruiné le Commerce des bleds. Il rédigea des
Ordonnances prodigieusement compliquées, dans lesquelles les Articles
les plus clairs, comme celui qui dit que les Commis seront reçus à leur
serment en justice, sans information de leurs vie &moeurs, &sans conclusions
de la partie publique, (Ord. des Aid. Droits de détail. tit. V,
art. 1, & en plusieurs autres endroits) ne sont pas les plus honnêtes
: ou plutôt dans lesquelles le fond entier du systême adopté par
le Rédacteur, décele une profonde ignorance du droit naturel, & des
vrais principes de l'impôt, qui doit être également profitable
au Prince & au Peuple, à la chose publique & à tous les
Particuliers Tout cela cependant fut beaucoup vanté par les Ecrivains
de ce tems, qui étoient eux-mêmes fort ignorants en économie
politique ; qui devoient très aisément se laisser séduire
par l'appareil imposant des Arts de luxe; qui d'ailleurs étoient tous
payés ou aspirants à l'être, & qui avoient vu priver
le vertueux Mézeray de sa pen-|sion, pour avoir écrit
la vérité, même au sujet d'époques fort éloignées.
Les faits ne dirent que trop ce dont les beaux esprits n'auroient eu garde
de parler. Dès la seconde guerre que le Prince eût à soutenir,
l'affoiblissement de la Nation commença à se manifester. Les
persécutions religieuses & la révocation de l'Edit de Nantes,
causerent certainement de grands maux; mais ces maux ne firent que combler
la mesure de ceux que les persecutions fiscales & la révocation
des privilèges naturels de la liberté du Commerce, prononcée
par une foule de Réglements absurdes & tyranniques avoient déja
accumulés. Ces maux devinrent si grands, que vers la fin du siécle
passé, M. DE BOISGUILBERT représentoit, comme un fait notoire,
que pendant les trente-six années qui avoient suivi l'avénement
de M. Colbert au Ministère, le revenu des terres étoit
diminué de moitié. M. le Maréchal DE VAUBAN, qui
atteste aussi la diminution, ne la porte, pendant ces trente-six ans, qu'à un
tiers, ce qui seroit encore bien considérable. Mais il convient
deux pages plus bas, que les travaux de la culture étoient | réduits à environ moitié,
ce qui se concilie très bien avec l'assertion de M. DE BOISGUILBERT.
L'Etat étoit de plus chargé d'une dette énorme qui n'a
jamais été payée.
Nous ne comprenons pas comment après avoir trouvé le secret effrayant
de dévorer la moitié d'un Empire en trente-six ans, on peut être
loué par M. DE BECCARIA, & loué comme si on l'avoit relevé.
Le bel esprit, prévénu [sic] pour des hommes bien intentionnés,
qui ont chéri les Lettres & favorisé ceux qui les cultivoient,
a fait illusion ici au Philosophe humain & politique.
141 (22) M. le Maréchal DE
VAUBAN, dont le témoignage eut pû suffire pour suspendre
les éloges que M. DE BECCARIA vient de prodiguer à M. Colbert;
cet illustre & bon VAUBAN, dis-je, avoit très bien vu, très
vivement& très fortement senti une partie des inconvénients énormes
qui étoient résultés des opération [sic]
de ce ministre. Mais la raison économique ne lui avoit
pas indiqué le remède, & même elle ne lui avoir
pas fait connoître à quel point les principes du mal qu'il
voyoit étoient pernicieux. Il propose une dixme en nature & proportionnée
au produit total du territoire, comme la dixme ecclésiastique.
Il ne voit pas qu'un tel impôt est excessivement irrégulier, & parconséquent
injuste, puisque le même produit total donne beaucoup, ou peu,
ou point de revenu net, selon que les frais de la culture sont ou | ne
sont pas considerables. Il ne sait pas que ces frais qui font renaître
les productions & les richesses ne doivent jamais être imposés, & que
leur quotité, par tout nécessaire à connoître & par
tout différente, est déterminée par l'espèce
de la culture, par la qualité du terrein & par la diversité des
moyens qu'on peut employer en avances foncières & primitives,
au soulagement des avances annuelles. Il propose de dixmer aussi les
salaires de l'industrie. Il ne s'apperçoit pas que ces salaires
sont indispensables à ceux qui les reçoivent, qu'il faudroit
donc les augmenter en raison de l'impôt, & que cet impôt
seroit par conséquent payé deux fois par les Propriétaires,
dont le revenu auroit déja acquitté l'impôt territorial.
Il veut dixmer les rentes sur le ROI, malgré la convention : les
pensions, les gages, les appointements, quoique donner & retenir
ne vaille. Il veut conserver la Gabelle en reduisant le prix du sel
de dix-huit à trente livres le minot, quoiqu'il
aie reconnu les maux qu'entraine la Gabelle. Il veut aussi les droits
de Francs-Fiefs, & d'Amortissement; le Papier timbré ; les
Douanes sur les frontieres ; des | Taxes fur la consommation du tabac,
des eaux-de-vie, du thé, du café, du chocolat. Il vend
la permission d'avoir des carosses, & celles de porter l'épée
aux Roturiers. Il laisse même un petit droit d'Aide sur la consommation
du vin, du cidre & de la bierre dans les cabarets. Pour en venir à ces
conclusions, ce n'étoit presque pas la peine d'entreprendre de réformer
l'impôt.
143 (23) Nous n'avons pas l'honneur, mais
M. DE BECCARIA nous inspire bien le désir de connoître les
Ecrits de M. l'Abbé GENOVESI.
Pour Monsieur Melon, l'Avocat du luxe, qui confond le gaspillage des
richesses avec leur source; qui demande qu'on ne permette la circulation du
bled de Province à Province, qu'aprés avoir eu l'état
exact de la quantité récueillie dans chacune, & le dénombrement
des habitants, qui... qui.. qui.. .
Il ne méritoit pas l'honneur d'être nommé.
Les autres demandent plus de considération.
L'Immortel MONTESQUIEU aura toujours des droits sur la reconnoissance
des hommes pour les avoir puissamment excités à se tourner vers
les | Etudes économiques. Il aura toujours des droits sur leur admiration,
par son esprit, par son éloquence, par son courage philosophique, par
l'étendue de son érudition, par le sel de ses épigrammes,
par la tournure singulière de son brillant génie, qui sait, & qui
sait presque seul jusqu'à ce jour, allier sans cesse la finesse au sublime.
Mais il voulut bâtir des Gouvernements sur des affections morales, sur
la vertu, sur la modération, sur l'honneur, sur la crainte. Il a entièrement
ignoré que les Loix fondamentales de l'ordre social fussent des Loix
physiques, & tirées de la nature & des besoins de l'homme. Il
a presque borné son long & pénible travail, à chercher
des raisons aux usages qu'il a vus établis dans les Gouvernements desordonnés.
Il a vu le courage ou la lâcheté des Peuples sur une langue de
mouton. Il a méconnu les Loix de la reproduction des subsistances & celles
de la liberté des échanges, si directement dépendantes
de celle de la propriété. Il a examiné sérieusement
s'il y avoit des Nations auxquelles il fut désavantageux de commercer
: Et il s'est décidé pour l'affirmative ! |
Don Hieronimo de Ustariz, dans un tems & dans un Pays où les
Principes de l'Economie politique étoient encore très généralement
ignorés, vit en gros que les privilèges exclusifs & l'excès
des droits sur toutes les ventes étoient nuisibles. Il proposa d'introduire
quelques variétés dans ces droits. Il prétendit qu'en
les combinant avec intelligence, l'impôt pourroit retirer annuellement
de chaque capital mis dans le Commerce, une somme égale à la
valeur de ce capital. Il vouloit arranger le Commerce de l'Espagne, de manière
qu'elle ne payât jamais en argent les productions & les
marchandises des autres Nations, & qu'elle fût au contraire payée en
argent par elles ; c'est-à-dire qu'il vouloit, sans le savoir,
interdire le débit d'une des principales productions nationales, & faire
abandonner les mines du Mexique & du Pérou. Pour rétablir
la prospérité de sa Patrie, il ne se doutoit pas qu'on dût
principalement songer à procurer des avances à l'Agriculture, & à faciliter
le débit de ses productions, en les affranchissant de toutes les douanes & de
toutes les taxes sur les Consommations tant multipliées en Espagne.
| Entrainé par l'esprit manufacturier de M. Colbert, qu'il
avoir pris pour modèle, il ne pensoit qu'à appeller des Fabriquants étrangers, & encore
vouloit-il les établir dans les Villes les plus considérables.
C'étoit un bon citoyen & un honnête homme, mais ce n'étoit
pas un grand politique.
Dou [sic] Bernardo DE ULLOA qui marcha sur ses traces, quoiqu'ayant
un peu plus songé à l'Agriculture, se tient en général
aux plans de Ustariz, & n'a pas plus d'idée que lui des
moyens de la favoriser. Il est impossible de faire de grands progrès,
quand on se fixe servilement à une route dans laquelle ses devanciers
se sont égarés.
Reste le Philosophe HUME, observateur ingénieux, historien savant & fécond, écrivain
intéressant, mais qui ne connoissoit pas encore les principes naturels
de l'impôt, ni les avantages de l'entière liberté du Commerce & du
travail, ni dans toute l'étendue du droit indélébile
que les hommes ont à cette liberté, quand il a publié ses écrits
estimables.
En tout, il nous semble que la Bibliothèque d'Economie politique de
M. le Marquis DE BECCARIA n'est pas assez complette, & peut-être
| faudroit-il dire quelque chose de plus. Il est étonnant qu'il ne cite
ni M. DE GOURNAY, qui avoit si bien senti le prix de la liberté générale
; ni le Docteur QUESNAY, qui par ses mots Fermiers & Grains dans
l'Encyclopédie, par la découverte du produit net, par
celle de la propriété exclusive qu'a l'Agriculture de produire
des richesses, par celle des Lois physiques de leur distribution & de leur
réproduction , énoncées en abrégé dans son
TABLEAU ÉCONOMIQUE, a changé la face de la Science de l'économie
politique, ou plutôt a fait une Science exacte & régulière
de cette étude, qui n'avoit été jusqu'à lui que
celle d'un amas de conjectures hasardées, & de prétentions
inconséquentes & jalouses ; ni le célèbre AMI DES
HOMMES, premier promulguateur de la Doctrine inventée par l'Auteur du
Tableau économique, & qui par sa THÉORIE DE L'IMPOT, par
sa PHILOSOPHIE RURALE, & par tous ses autres écrits, a si bien mérité la
reconnoissance dont le genre humain l'honore, & le titre flatteur dont
il est décoré ; ni M. DE LA RIVIERE, qui dans son excellent Ouvrage
intitulé, | l'ORDRE NATUREL ET ESSENTIEL DES SOCIÉTÉS
POLITIQUES, a développé d'une manière si méthodique,
si complette, si noble & si claire tous les principes de ses deux devanciers.
Il faut que le défaut de communications faciles entre les divers Pays,
qui s'opposent tant au progrès des lumières, & qui nous a
empêché de profiter de celles de M. l'Abbé GENOVESI,
ait pareillement privée M. le Marquis DE BECCARIA des Livres
précieux de ces trois illustres Auteurs. Nous regrettons infiniment
qu'il n'en ait pas eu connoissance. Pour peu qu'il les eût médités,
il nous auroit épargné les observations que nous nous sommes
vus forcés de joindre à son Discours. Il eut été doux
pour nous d'avoir à lui payer sans mélange le tribut d'éloges
qu'il mérite à tant d'égards. Il ne tardera pas, sans
doute, à nous mettre dans le cas de nous livrer, en parlant de ses Leçons à toute
l'effusion de coeur que les succès des grands hommes inspirent aux hommes
de bien. Nous le prions en attendant d'excuser notre franchise, que nous avons
regardée comme un devoir vis-à-vis d'un philosophe & d'un
| professeur tel que lui, & comme l'hommage le plus expressif que notre vénération
put lui offrir. |